EXTRAITS DU JOURNAL DE RÊVES LUCIDES OU ASSOCIÉS DE CHRISTIAN

II

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OCTOBRE 1981(suite)

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Rêve de faux éveil du 31 octobre 1981

Visite de Sita

Ma cousine Sita (qui réside à New Delhi) nous rend visite de nuit. Elle entre dans l’appartement après avoir sonné à la porte. J’avais entendu sonner, mais je n'avais pas répondu, ignorant qui c'était. Elle est allé s’assurer que ma sœur Catherine est bien rentrée de son long séjour en Chine en allant jeter un œil dans la chambre où elle dort.

Ce rêve est un faux éveil de type 2. Je m’y " réveille " dans ma chambre, à la suite de rêves précédents et j’entends sonner à la porte d’entrée de l’appartement. La suite de l’action est complètement tournée vers le rêve en cours, à tel point que les rêves qui viennent d’être vécus sont totalement occultés. Mon journal de rêves n’en contient pas non plus de traces, ils ont manifestement été complètement oubliés, même si je me souviens encore qu’ils ont eu lieu. En supposant même que ce n’eût pas été le cas, ce rêve n’en resterait pas moins un faux éveil, c’est-à-dire un rêve au cours duquel on croit se réveiller.

Il présente toutefois un aspect particulier, une sorte de saveur que ne peut rendre la description, et qui me laisse penser qu’il s’est produit, dans le cas présent, un entremêlement de l’état intermédiaire et du rêve proprement dit. En effet, à l’époque, ma sœur venait de passer un an et demi en Chine et nous ne l’avions pas vue pendant toute cette période. Quant à ma cousine Sita, elle venait de démarrer ses études dans un campus universitaire en Inde. J’ai eu curieusement le sentiment, impossible à prouver, que Sita était effectivement venue, d’une façon qui reste à déterminer, pour s’assurer que tout se passait bien pour ma sœur. De fait, j’ai " vu " Sita entrouvrir la porte de la chambre de ma sœur, alors que j’étais resté dans la mienne. Le rêve s’est donc déroulé sur deux niveaux : un niveau onirique perceptif immédiat (je suis dans ma chambre, j’entends sonner à la porte) et un niveau de perception plus large, pas exactement omniscient, mais sans doute proche de ce que serait une voyance perceptive non focalisée en un point de l’espace (je vois Sita se déplacer dans l’appartement, comme si j’étais là).

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NOVEMBRE 1981

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État intermédiaire du samedi 14 novembre 1981

La fille dans les escaliers

Tentative de rêve lucide. Comme d'habitude je m'efforce de sortir de mon corps, mais une force entrave mes progrès.

Cela se termine dans un rêve. Je sors de la maison et, au-dehors, je vois la plage. Il y a là une fille magnifique, grande, blonde, qui monte les escaliers. Je passe devant elle sans la voir, je fais même semblant de ne pas la remarquer. Cela ne peut que l'attendrir, pour elle je suis un enfant.

Ce récit comporte deux parties : un passage dans l’état intermédiaire et un rêve qui en résulte directement. L’état intermédiaire fait suite à un endormissement conscient au cours duquel je fais une " tentative de rêve lucide ", ce qui revient à dire que je me " pousse " hors de mon corps afin de faciliter mon insertion dans l’univers intermédiaire/onirique. Il est difficile de préciser la nature de la force qui s’oppose à ma tentative. Je n’ai toutefois pas l’impression qu’elle corresponde à la résistance qui me donne habituellement l’impression de tirer sur un élastique, car elle se présente comme une force plus intense et au champ d’action plus généralisé.

La suite correspond à un rêve non lucide, comme suffirait à le montrer l’état d’esprit puéril du personnage que j’endosse. Mais à quoi correspond ce manque de lucidité ? Cette question est ici pertinente : après tout, je suis passé par l’état intermédiaire et j’ai " tenté " la lucidité. Il devrait donc résulter de tout cela un certain " accroissement " de conscience.

Or, tel que le récit se présente, cette absence de lucidité résulte de l’échec de la " sortie " onirique (" Cela se termine dans un rêve "). On peut mettre en cause ici mes croyances implicites de l’époque : j’avais sans doute pris l’habitude de penser que pour obtenir un rêve lucide, il me fallait réussir une certaine opération - dans le cas présent, quitter mon corps sur un mode onirique. Mais cette explication me paraît insuffisante. En d’autres termes, il me semble que s’endormir consciemment jusqu’au moment où l’on entre dans l’état intermédiaire ne suffit pas pour obtenir la lucidité, du moins si l’on n’a pas une grande pratique de cet état. Il faut en effet s’installer en lui avant de rejoindre le rêve proprement dit, faute de quoi la conscience de rêver risque fort de ne pas se manifester. Cela signifierait que l’état intermédiaire procure une certaine énergie conscientielle à celui qui s’y attarde, et que pour s’y attarder il faut connaître son existence, le reconnaître quand on le traverse et ralentir au moment où on y passe, et même, si possible, s’y arrêter. Ma méthode spontanée de " sortie " correspondait probablement à ce genre de tentative pour " ralentir ".

Il semble que si ma tentative de lucidité a échoué, elle a tout de même donné une certaine énergie au rêve qui a suivi, si j’en crois la brillance de ses couleurs et la splendeur du cadre onirique.

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DÉCEMBRE 1981

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Rêve à l’endormissement du jeudi 3 décembre 1981

Sita me montre un jeu

(… Avant de m’endormir, je pense à un cube auquel on ajoute une dimension et, pour cela, j'utilise le cube de Rubik en imagination.)

Sita vient me montrer un jeu équivalent qu'elle ramène des pays d'Asie. Elle se colle contre mon côté pour m'expliquer comment on y joue. Il contient des animaux composés de parties de couleurs différentes et qu'il faut reconstituer avec du fil et une aiguille sur un fond rouge en plastique représentant l’animal. Il y a des fonds différents pour chaque animal à reconstituer.

Ce rêve ordinaire permet de mieux comprendre la différence entre le rêve d’endormissement, proche de la lucidité, et le rêve fait à l’endormissement, mais qui ne présente pas de caractéristiques particulières. La continuité avec l’état de veille est ici remarquable : alors que je ne dors pas encore, j’essaie, en pensée, de donner à un cube une dimension supplémentaire afin d’obtenir un hypercube, c’est-à-dire une figure se situant dans un espace à quatre dimensions. Je m’endors sans même m’en rendre compte (je note au passage que ce genre d’expérience " aux limites " tend à me projeter dans le sommeil à une vitesse foudroyante) et le rêve qui survient se situe dans la proximité immédiate de la situation imaginée : je passe du jeu du Rubiscube, qui est un cube aux parties mobiles et diversement colorées, à un autre jeu, tout aussi mobile et coloré. Si l’on effaçait les remarques indiquant que le début se situe à l’état de veille sur le plan mental, on pourrait obtenir un récit homogène.

Par ailleurs, ma conscience ne présente ici aucun développement. Comme je l’ai déjà noté plus haut, ma cousine Sita poursuivait à l’époque ses études à New Delhi, et sa présence était tout à fait improbable. Toutefois cette incongruité ne m’a pas poussé à m’interroger, dans le rêve, sur la nature de la situation.

On peut également se demander à quelle catégorie onirique appartient ce passage. S’agit-il d’un " petit rêve ", un " dreamlet " comme on en trouve à l’endormissement, ou du début d’un rêve plus vaste mais dont je n’ai pas gardé le souvenir ? Malheureusement, je n’ai pas noté l’ordre des trois rêves de cette nuit, même s’il me semble que celui noté en dernier, et rapporté ici, a été obtenu en tout début de nuit, et que le souvenir que j’ai du début est dû à sa proximité de l’endormissement, le reste ayant été effacé autant par le temps écoulé que par les rêves subséquents.

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Flash de lucidité du lundi 7 décembre 1981

Version grecque - 6h55 -

Je dois faire une version grecque sur table. Je m'installe à ma place. Declerq, mon professeur de grec en khâgne, dirige la version. J'ai préparé tous mes textes en grec sauf la traduction, c'est-à-dire que j'ai avec moi toutes les feuilles avec le texte grec, et il ne me reste plus qu'à traduire. Declerq me dit qu'il faisait ça, lui aussi, et que ça lui prenait des heures. Mais je ne retrouve pas le texte que l'on doit traduire aujourd'hui.

Je m'aperçois que j'ai oublié mon Bailly. Je parcours la salle de classe jusqu'au fond. Sur le chemin, je trouve des dictionnaires grec-turc, grec-grec, ce n'est pas ce que je cherche. Vers le fond de la salle de classe, il y a les BD et les livres pour enfant qui tapissent le mur jusqu'au plafond. Je retourne en début de salle. Quelqu'un me dit qu'y a un dico dans le bureau auquel s'assied le prof. J'ouvre les tiroirs et en sort d'abord un livre dont je n'ai pas besoin. Dans un autre, ou dans le même plus au fond, je touche de la main un Bailly, mais une autre main se précipite pour me le disputer. C'est Frank Lelièvre (un camarade de khâgne). Je lui dis que j'ai oublié mon Bailly et que, puisqu'il a apporté son abrégé, je suis prêt à le lui échanger temporairement contre le gros Bailly qui est dans le tiroir. Il répond que ça ne fait rien et que je peux garder le gros.

Je retourne à ma place, mais une mauvaise surprise m’attend. Nicolas (un autre camarade de khâgne) a pris ma place. Non pas Nicolas puisque Nicolas Schneider est à côté de celui qui a pris ma place. Quoique si, celui qui y est s'appelle aussi Nicolas, ce qui fait deux Nicolas côte à côte. Ils ne veulent pas me rendre ma place. Il y a des places de l'autre côté de la salle, mais j'aurais préféré être placé près de la fenêtre. De toute façon je n'aurais pu m'asseoir là, puisque tous se sont déplacés, et je me serais retrouvé assis à côté de Vincent (autre khâgneux).

Je vais à la fenêtre où sont empilés chaises et bureaux, sans doute par moi hier, et je jette les chaises à terre pour faire de la place. Ça ne fait pas de bruit. Je continue avec un soupçon de colère. Le surveillant me regarde avec désapprobation et, quand il fait le compte rendu de l'examen, il me donne ma note : 56,06. J'ai réussi, bien que, d'après ma conduite, ce n'était pas prévu. J'ai eu la moyenne.

Je me réveille. Il faut d'abord que je note cette note qui est peut-être un chiffre du loto. Je m'assieds dans l'escalier avec mon carnet. La porte de l'escalier du couloir est ouverte et ma sœur Catherine me demande quelque chose. Je lui dis de ne pas me déranger. Je note " 1° " pour le rêve en inscrivant des parenthèses. Mais le premier rêve ne veut pas revenir. Je m'apprête à noter le deuxième, mais je me rends compte que je dors encore.

Ce rêve ne devient lucide que tout à fait à la fin. Il semblerait que l’on se trouve en présence d’un faux éveil de type 2 débouchant sur la lucidité. En effet, bien que ma conscience soit tournée vers les rêves et cherche à les noter, je ne parviens pas à m’en souvenir. Ainsi, au lieu d’être en quelque sorte hypnotisé par un contenu qui ne revient pas, je suis conscient de la thématique du rêve en lui-même, ce qui entraîne probablement la lucidité.

Toutefois, le surgissement de cette lucidité est prévisible dans le cours du récit qui précède le faux éveil. Tout d’abord par la présence du thème du double (les deux Nicolas) généralement en rapport avec l’état intermédiaire dans lequel j’ai pris l’habitude de me " dédoubler ". Ensuite par une incongruité : les chaises qui, jetées à terre, ne font pas de bruit. Enfin par le faux éveil qui, en fait, marque une progression de la conscience. Je finis par me rendre compte que je dors encore, mais il s’agit plus d’un éclair de lucidité que d’un développement lucide, car le récit s’arrête là.

Cet arrêt lui-même peut indiquer que j’ai été en quelque sorte pris par surprise, comme c’est parfois le cas lorsqu’on se rend compte qu’on rêve, et que cette prise de conscience " réveille " le dormeur, par une sorte de sursaut intérieur. Il peut aussi être dû à des circonstances extérieures, malgré l’heure matinale (6h55). Mon journal ne donne pas de précisions sur ce point, mais l’absence d’autres récits faisant suite à celui-là incite à penser que la deuxième hypothèse est la bonne. A cette époque, après avoir noté les rêves, je n’hésitais pas, si aucune obligation ne me pressait, à me rendormir pour en obtenir d’autres (mon journal donne d’ailleurs deux récits entrés à 5h01 la même nuit).

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Faux éveil du 8 décembre 1981

Leçons dans le grand amphi suivi de Rêves en trois rubriques - 7h22 -

Les leçons d’agrégation ont lieu dans le grand amphi, amphithéâtre gigantesque et composé de deux étages. Un normalien de Saint-Cloud fait un exposé sur Kant, en deux fois, après une interruption pour la récréation. Au début je me trouve en haut, sur le balcon. Il s’adresse à moi et je lui réponds, à propos d'une capacité à faire quelque chose. J’arrive à me déplacer en passant par des endroits où il n'y a pas trop de monde. L’élève de Saint-Cloud reprend son exposé.

Il dépasse l'horaire. Je remarque qu'il est mieux que la première fois. Et il devient plus intéressant dans sa seconde partie.

Mon père l'interroge en lui posant une question qui est également une constatation, en rapport avec une demi-évidence. Dans le brouhaha ambiant, l’orateur monte sur l’estrade, habillé de noir et réplique : " que faire depuis le point de vue du croque mort ? " (ce qu’il faut comprendre : " que faire quand le croque mort parle ? ". Ce n'est pas gentil pour mon père, mais il y a quelque chose de juste. C'est cependant une réponse polémique.

Je suis à Ulm, dans un couloir menant aux chambres, assis dans l’obscurité pour renouer mes lacets ou enlever mes patins à roulettes. Des gens passent, probablement des ouvriers en bleu de travail, puis une moto, dont je vois arriver la lumière. Je crie à son conducteur de faire attention.

Ma cousine Annie, en sari rouge, ma sœur Catherine, et d’autres encore, veulent me faire visiter le Mexique. Je ne veux pas. Je leur dis que Jean-Luc y a été et que je ne tiens pas à suivre ses traces. Annie prétend que ça me fera du bien. Mais je ne veux pas qu’on décide pour moi. Cependant, à bien y réfléchir, pourquoi pas le Mexique ? (Retour à l’amphi pour le second exposé ?)

Le second exposé est fait par deux japonais. L'un pose à l’autre des questions en japonais. Je n'écoute pas vraiment, mais quelqu'un demande à un japonais ce que l'orateur a dit. Cette fois l'amphi a légèrement changé, comme si le balcon s'était allongé, et nous sommes installés transversalement. Les orateurs parlent toujours en bas, le professeur se trouve en haut.

Je note les rêves, sous forme de résumé, sous trois rubriques. Dans l'une d'elles, je mets " Papa " en ajoutant que " Papillon venait, c'était Papa ". Mon père est gêné par cette remarque. Elle indique qu'il est le (ou un) grand patron.

Ce rêve comporte un faux éveil dans son dernier paragraphe. On peut remarquer que le rêveur ne rêve pas qu’il se réveille, que ce soit dans sa chambre ou ailleurs, et que le récit n’indique pas qu’il ait quitté la scène du rêve, ce que semble confirmer la présence de l’un des personnages du rêve précédent au cours de ce faux éveil. Il n’y a donc ici faux éveil que parce que je me tourne vers le passé onirique immédiat et le considère comme un rêve à noter. Ce point est à remarquer, car du coup ce faux éveil n’est plus tant un échec de la lucidité que l’émergence de la reconnaissance d’une partie de l’expérience comme appartenant au rêve, reconnaissance qui n’existait pas précédemment. Ce type de faux éveil serait donc, par là même, une sorte de rêve pré-lucide, c’est-à-dire menant à la lucidité. Il aurait suffit que la reconnaissance de la nature de l’expérience s’étende au présent pour qu’il devienne lucide.

Par ailleurs, ce rêve a utilisé, pour se construire, un élément emprunté à mon futur immédiat. En effet, le lendemain matin, j’ai été suivre un cours d’agrégation à la Sorbonne, non pas dans un amphithéâtre gigantesque mais dans une salle de dimension moyenne et, au milieu de la leçon, j’ai entendu derrière moi une discussion en japonais.

Dans mon journal de rêve, la notation est éclatée. Les paragraphes 1, 3 et 6 forment un bloc, les paragraphes 4 et 5 un autre bloc, tandis que les paragraphes 7 et 2 sont notés ensuite de façon isolée. Cet éclatement est dû au fait que j’ai noté ce qui me revenait au fur et à mesure. Le bloc 4-5 pourrait bien toutefois correspondre à un rêve simultané : il ne s’insère pas dans la continuité du début du récit mais lui est collé dans le temps d’une façon que je n’ai pas réussi à déterminer au réveil.

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État intermédiaire du10 décembre 1981

Le corps qui vibre - 11h16 -

… En plus des rêves précédents, je fais une tentative de sortie hors du corps. Après un appel de J pour lui demander sa signification, réaction du corps qui vibre. Puis chute que j'essaie de transformer, peut-être trop vite, en sortie. Je finis par me retourner dans mon lit.

La notation des rêves en style télégraphique rend difficile leur compréhension près de deux décennies plus tard. Il est certain qu’à l’époque je savais ce que voulait dire " appel de J ", mais aujourd’hui j’en suis réduit à des suppositions. J’ai probablement voulu connaître la signification d’un rêve précédent et appelé de façon télépathique quelqu’un susceptible de m’aider pour cela. " J " pourrait être alors Jean-Philippe Schlumberger qui, avec Marcotte, animait le groupe de télépathie auquel je participais en tant qu’élève. D’une part, je n’avais pas de raison d’appeler quelqu’un ne pratiquant pas la télépathie et, d’autre part, les éléments des rêves précédents mettaient justement en scène Marcotte (" Histoire d’un restaurant où il se passe d’étranges choses. Avec Marcotte… ").

Ce qui est curieux, c’est que cette tentative de télépathie ait provoqué la vibration du corps et, par là, l’activation de l’état intermédiaire. Ce phénomène n’est pas isolé même s’il ne prend pas toujours cette forme. J’ai pu le constater aussi bien chez moi que chez d’autres, en corrélation avec des phénomènes " énergétiques " ( vibrations, sensations de courants dans le corps, etc.). Toutefois, cela ne semble " marcher " qu’avec certaines personnes, généralement des proches, ou qui s’intéressent aux phénomènes de conscience.

En règle générale, un sentiment de vibration me " réveille " dans le rêve, ou plus exactement me fait passer dans l’état intermédiaire à partir duquel je repars dans un rêve lucide. Ici, il a été suivi d’une sensation de chute que je n’ai pas réussi à exploiter pour provoquer une " sortie " hors du corps. En fait, cette tentative était sans doute une erreur due à une habitude trop ancrée. Garfield préconise de transformer la chute onirique en vol, ce qui semble plus conforme et indique, par ailleurs, que la " sortie " onirique a déjà eu lieu, puis que le vol onirique lui fait généralement suite. Aussi, vouloir " sortir " quand cela a déjà été fait a peut-être provoqué mon réveil.

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Rêve-réponse du15 décembre 1981

Acrobate dans un cirque - 4h30 -

Je suis acrobate et travaille dans un cirque. Mon numéro d’acrobate n’est pas prêt, mais le directeur est pressé et veut ma mort. Je me tiens à un bout d'une corde et celle-ci part alors que je ne m'y attendais pas, me lance le long d'un couloir roulant et me fait entrer à toute vitesse dans le cirque où je deviens un danger public. Le directeur, qui aime les cassages de gueules, engage Steve Mac Queen pour me descendre. Mais Steve est un ami. Il prévient le directeur : il compte mener à bien son boulot sans me faire de mal. Mais en fin de compte le directeur est plus malin. Il s'arrange pour que ça se termine mal.

Ce rêve, apparemment banal, présente des aspects particuliers. Tout d’abord le passage du couloir roulant franchi à toute vitesse ressemble à l’équivalent en images oniriques d’une sortie hors du corps dans l’état intermédiaire. Il est en effet possible que certains phénomènes se produisent dans l’état intermédiaire sans que le rêveur s’en rende compte. Il peut toutefois en avoir comme un écho dans le rêve qu’il vit à ce moment.

Un autre aspect particulier réside dans le souvenir que j’en ai. Ce rêve m’a en effet marqué et j’ai gardé, dès le début, le souvenir suivant de la fin du rêve : au moment où le tueur engagé par le directeur braque son fusil sur moi, je deviens ce tueur et je tourne l’arme vers le directeur et tire. Cette fin ne correspond cependant pas à celle qui a été notée. L’explication la plus simple résiderait dans la ré-élaboration du récit, phénomène fréquent dans le domaine onirique. Pourtant je n’ai pas le sentiment que les choses se soient ici passées ainsi. Il m’arrive souvent de noter un rêve qui n’émerge qu’en partie, et ce n’est que plus tard, alors que je suis en train de vaquer à une autre occupation, qu’il finit par émerger totalement. Pour peu que je sois déjà pris par une activité où je ne suis pas le seul impliqué, je n’ai plus le loisir de noter ce qui ressurgit avec retard, et parfois j’oublie de le noter une fois de retour chez moi, quand je ne l’ai pas déjà oublié tout entier. Dans le cas présent, le souvenir est resté, malgré la notation déficiente.

Cette situation me fournit l’occasion de faire une remarque sur la remémoration du rêve en général. On m’a rapporté que des études scientifiques faisaient état d’une période d’environ huit minutes suivant le réveil, au cours de laquelle il était possible de se souvenir de ses rêves, mais que, passé ce délai, le souvenir était perdu. Ce genre d’étude, comme des centaines d’autres sur des points différents, m’a toujours laissé perplexe. Il suffit de s’intéresser réellement à ses rêves pour se rendre compte, dans le cas présent, qu’un souvenir peut revenir au cours de la journée, bien des heures après le réveil, voire parfois plusieurs jours plus tard. Il est fort possible qu’un choix de sujets quelconques autorise ce type de statistique, mais il est dommage que les chercheurs qui les établissent ne s’intéressent pas par eux-mêmes à l’objet de leur recherche. Cela leur permettrait d’éviter d’établir des lois dont n’importe qui peut vérifier, avec un peu de pratique, qu’elle est fausse. (Sans compter que l’énoncé de telles " lois " risque de suggestionner ceux qui ne font que commencer à s’intéresser à leurs rêves.)

De rien, tu n'as besoin de rien - 6h09 -

... Je me trouve dans une voiture. Le conducteur conduit vite. J'explique que j'aimerais faire de la vitesse, mais en fait je ne sais pas conduire une voiture, ni une moto. D'ailleurs je pense que ce serait dangereux.

J'ai dû m'endormir car, quand je me réveille, la voiture est garée et je suis seul à l’intérieur. Les deux autres, le conducteur et un passager, ont dû aller faire un tour. La voiture est mal garée, dans un tournant qui donne sur une voie d'où émerge un train composé de différents wagons de marchandises, bien que je ne voie pas ce qu'il contient. C'est le matin et le temps est obscur. A chaque fois qu’un train passe, je crains que l'un des wagons heurte la voiture et la renverse, surtout lorsque des aspérités dépassent de l’extérieur des wagons. Je me débarrasse de l’ attirail qui me maintient à ma place, à côté de celle du conducteur : ceinture de sécurité, casque de protection, une première écharpe, un anorak, une autre écharpe, des chaussures… Des voitures passent. L’une d’elles attend car le véhicule où je me trouve bloque le passage, et je ne sais pas conduire.

La voiture dans laquelle je me trouve se met soudain à rouler. Je tire sur le frein à main de toutes mes forces. Mais ça ne suffit pas. J'appuie sur le frein moteur tout en tournant le volant pour manœuvrer la voiture et la garer le long du trottoir que je vois avancer vers moi, en face. J'y parviens, mais la voiture ne veut pas rester stable. Je manœuvre encore. Elle redescend et remonte sur le trottoir après avoir évité une voiture déjà garée. J'essaie de la stabiliser. Elle est mal placée, à hauteur de portes de propriétés.

J'essaie de sauver ce qu'il reste de la voiture pendant que c'est encore possible. Maintenant, ce n’est plus une voiture, c'est une mobylette. Je me retrouve nu et je veux récupérer des affaires. Une fille qui a l'air blonde, et peut-être nue également, mais que je ne vois pas vraiment, me dit que je n'ai besoin de rien. Elle le dit par ces mots : " Why you yallow ? Nothing, you yallow nothing ". Ce que je sais intuitivement vouloir dire : " De quoi as tu besoin ? De rien, tu n'as besoin de rien ", sans même m’interroger sur le sens des mots entendus.

Ce rêve pourrait passer pour un faux éveil de type 2 s’il commençait par le réveil dans la voiture. C’est d’ailleurs sous cette forme que je m’en suis souvenu au réveil réel, des éléments du début ne m’étant revenu qu’ensuite. En fait, il ne s’agit pas d’un faux éveil car l’endormissement fait partie du rêve. On ne peut pas dire qu’il soit à proprement parler inscrit dans l’histoire du rêve, mais l’idée de sommeil justifie après coup une absence de conscience et une modification de la situation. Il se pourrait qu’il y ait eu un rêve dans le rêve, mais je n’en ai pas de souvenir. Le " réveil " semble plutôt n’être qu’un élément du rêve, sans référence à autre chose qu’à la fonction qu’il y remplit.

Par ailleurs ce rêve n’est pas un rêve " naturel ". Il répond à une question que je me suis posée à l’endormissement. Le rêve précédent (Acrobate dans un cirque) m’avait à la fois impressionné et inquiété. Reprenant alors une proposition de Faraday, je me suis adressé au rêve comme à un être avec lequel il est possible de communiquer, et je lui ai demandé de m’envoyer un rêve susceptible de m’éclairer sur le précédent. J’ai bel et bien obtenu une réponse, à la fois dans le déroulement du rêve, où je me débarrasse de tout ce qui m’entrave, et dans le conseil d’un personnage onirique qui me précise dans un anglais que je comprends intuitivement, même si le mot principal n’a pas de sens, que je n’ai besoin de rien (en d’autres termes : que je n’ai pas besoin de me donner autant de travail pour préparer l’agrégation).

Il me semble que la fin du rêve était lucide, mais ce n’est pas mentionné dans mon journal de rêves. J’ai pu oublier de le noter, comme cela m’est souvent arrivé au début, notamment lorsque la lucidité était trop brève ou ne jouait pas de rôle précis dans le rêve. De plus, je garde un souvenir plus complet de la fin du rêve que celle qui est rapportée, tout comme pour le rêve précédent. Je me souviens qu’à la fin, la voiture se révèle être une Mobylette, mais que même de cela je dois me débarrasser tandis qu’un grand mur de lumière jaune, d’un jaune éclatant m’apparaît, et que la voix du personnage onirique parle de " yallow " qui signifie aussi " yellow " (jaune). A ce moment, je sais que je rêve et il m’apparaît que, effectivement, dans une telle situation je n’ai besoin de rien.

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Rêve lucide du 2O décembre 1981

Un œil ouvert dans le sommeil - 13h -

Des amis de ma sœur Catherine viennent nous voir. Nous nous retrouvons dans la même voiture. Charly, un ami d’enfance, est présent, ainsi que trois filles qui n'ont rien a nous dire. Nous passons dans ma chambre. Béatrix, une amie de ma sœur, s'aperçoit que, depuis une fenêtre, j'ai une vue sur la plage et la mer d’une belle couleur verte. C'est vrai. Mais d'habitude je ne le remarque jamais car les rideaux sont tirés et le temps est couvert. Je me dis que lorsque je vois la plage et la mer, je pourrais avoir l'impression d'être en vacance.

Je suppose qu’il y a dans le salon une fille avec un chien qui font du bruit pendant que je suis en train de dormir. Je sens que je me laisse aller et que je vais déféquer. Je rends dans la salle de bain. La cuvette des WC est triangulaire et d’utilisation malcommode. Je comprends que c’est parce que c'est un rêve. Mon peignoir de bain, suspendu au mur, me gêne. Je me demande si, dans la réalité, je me suis levé en état somnambulique pour aller aux toilettes. Ce serait amusant. Plus j'essuie les crottes sur la cuvette et plus il y en a. Elles sont bien alignées, et elles ont même un goût de chocolat. Ce n'est pas désagréable.

Voilà un rêve lucide peu ragoûtant en raison de son aspect scatologique, mais contenant néanmoins des éléments qui me paraissent devoir être notés.

Tout d’abord la première partie du rêve, non lucide, présente un élément qui, avec le temps, m’est apparu annonciateur de la lucidité : l’intensité des couleurs. C’est là un phénomène qu’on ne pense pas toujours à noter et que l’on risque d’oublier, concernant un récit donné, avec l’écoulement des années, mais qui me semble aussi important que l’incongruité. La force des couleurs indique chez moi une sorte d’éveil des sens oniriques, et nombreux sont les rêves rapportés par divers auteurs et qui, devenant lucides, gagnent en intensité. Ici la vue n’est pas la seule sollicitée, mais aussi les sensations cœnesthésiques, le toucher ou le goût, même si les circonstances paraissent contraires au " bon goût ".

C’est bien une incongruité qui m’amène à me rendre compte que je rêve, mais cet élément semble n’être qu’un simple déclencheur, la vague de surface d’un mouvement de fond que l’on remarque dans l’ensemble du déroulement du rêve. L’intensité des sensations est d’ailleurs telle que j’en viens à me demander si je ne ressens pas là les sensations réelles du corps physique. L’hypothèse qui me vient alors immédiatement à l’esprit est celle du somnambulisme : le rêve ne serait que le reflet d’une situation physique réelle à laquelle je n’ai pas vraiment accès. Mais il est à noter que je n’accorde pas d’importance particulière à cette idée que je trouve simplement " amusante ".

Mon journal de rêves comporte, de façon séparée, d’autres fragments oniriques qui, pourtant, semblent bien en rapport avec ce rêve, un peu comme des excroissances se prolongeant dans des temps perpendiculaires. Ainsi le morceau suivant paraît, a priori, dénué de rapport avec ce qui précède :

Papa corrige une leçon d'agrégation. Il commence par relever les fautes de français. Quelle différence avec Chedin (professeur en Sorbonne donnant des cours sur les " leçons ") ! Ça va être intéressant. Il s’est installé dans la salle de bain pour ce faire.

Mais si le thème principal de ce fragment ne rencontre pas celui du reste du rêve, la salle de bain pourrait toutefois en être le point de départ, ou tout au moins une sorte de connexion entre les deux rêves. Un autre fragment, apparemment autonome, lui aussi, pourrait se situer au moment où je dors dans ma chambre et que je ressens la présence d’une fille et d’un chien dans le salon :

J'ai l'impression d'avoir un œil à moitié ouvert sur ma chambre, tout en dormant.

Un troisième fragment pourrait se situer lors de la période au cours de laquelle je me suis promené en voiture en ville :

Je suis dans un bus qui se promène à travers les rues d'une ville ensoleillée.

Même si ce passage ne s’insère pas exactement dans le récit, son aspect ensoleillé est à mettre en rapport avec l’intensité des couleurs.

Au total, il n’est pas possible d’insérer ces passages dans le premier récit, mais ils semblent en constituer des fragments satellites, gravitant autour du récit principal tout en se situant dans d’autres espace-temps oniriques.

Mon journal de rêves comporte une indication en date du 9 mai 1990, mise en rapport avec ce deuxième fragment. J’y rapporte que ma compagne à observé ce même phénomène chez moi pendant que je dormais, le dimanche précédent. D’après elle, ce phénomène se produit régulièrement : je dors les yeux entrouverts, c’est du moins ce qu’elle peut constater lors d’une sieste, lorsqu’il fait jour. Je remarque toutefois que, lorsqu’elle me le signale, j’ai obtenu le même jour, au cours de la sieste, un rêve lucide ou de sortie hors du corps. D’autres expériences me laissent penser que ces deux phénomènes sont parfois liés, et sans doute les retrouverai-je dans mon journal en continuant à faire ici l’inventaire de mes rêves lucides.

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Rêve sénoï du 22 décembre 1981

Enlevés par une maffia - 10h30 -

Nous sommes enlevés par une maffia. Elle comprend des indiens et des hommes de main. Le véhicule qui nous emmène a pris la direction de l’aéroport, mais là, on ramène le reste de la famille (de la maffia). Il s’avère alors qu’il n’y a plus assez de place pour tout le monde, pour nous bien sûr, mais même pas pour les hommes de main, car il faut ajouter au lot un ou plusieurs enfants. Chacun s'accroche aux portières du véhicule. Je saute dans le compartiment arrière et demande au jeune bandit qui se trouve là si, oui ou non, il est décidé à se battre pour m'empêcher de rester là. Il répond oui. Pas à hésiter, je lui saute dessus. Sa tête est bien protégée, mais je lui fais heurter la paroi en le saisissant par les épaules, puis je lui expédie un coup dans l'entrejambe et je le jette dehors. Reste alors la famille indienne. Le chef de famille dispose peut-être suffisamment de riz car il semble bien à sa femme qu'il y en a dix kilos. Cela suffirait donc pour tout le monde et il ne serait plus nécessaire de mettre quelqu'un dehors. La femme est en train de préparer des petites pâtes qu’elle assaisonne d’une sauce verte.

Dans ce récit, l’état de conscience est sans aucun doute proche de la lucidité dans la mesure où, pour demander à un personnage de collaborer, il faut savoir, au moins obscurément, que l’on est dans un rêve. Je ne suis pas conscient de rêver au point de le remarquer de façon claire, mais j’agis ici conformément à des consignes concernant les rêves et cherche à en respecter les étapes.

Il s’agit là en effet d’un rêve de type sénoï tel que défini par Garfield dans Creative Dreaming, et plus précisément d’un rêve " d'agression et de défense ". Une des consignes des Sénoï, d’après Garfield, consiste à demander aux personnages oniriques de collaborer, et en cas de refus, de les combattre, si nécessaire jusqu’à la mort, cette dernière étant suivie d’une résurrection onirique au cours de laquelle des cadeaux, notamment de la nourriture, doivent être partagés. Mon univers onirique a manifestement été influencé par cette lecture car ces étapes sont ici respectées. Tout d’abord je demande à un personnage s’il compte se comporter en allié ou en ami. Il refuse, donc je le combats, jusqu’à son éviction du véhicule en train de rouler. A la fin, il y a du riz pour tout le monde et nous allons partager de la nourriture.

Toutefois, à y regarder de plus près, certains détails sont curieux. En effet, je demande au bandit s’il est prêt à se battre. Dans la mesure où il répond oui, cela peut passer pour un acte de coopération et non l’inverse. Dans de telles conditions, la raison de l’affrontement devrait disparaître à partir du moment où l’affrontement est accepté. De plus, après un combat inutilement violent, je jette mon adversaire comme un malpropre hors du véhicule, ce qui ne laisse aucune possibilité de partager quoi que ce soit avec lui (à moins que les autres occupants ne lui servent de substitut). D’ailleurs le partage n’a pas vraiment lieu, il n’est que suggéré, sans compter qu’il ne va pas tout de suite de soi et qu’il faut encore estimer la quantité de riz afin de s’assurer qu’on pourra nourrir tout le monde. On voit que la situation onirique ne manque pas d’humour conceptuel, et le déroulement du rêve manifeste plutôt une critique des consignes Senoï.

Si l’on excepte les sévères mises en doute des travaux de Kilton Stewart, ces consignes ne sont qu’un conditionnement onirique, un de plus. Elles présentent certains avantages pour la pratique du rêve : en demandant au rêveur d’agir selon certains lignes directrices, elles augmentent sa capacité d’appréhender le rêve comme tel. Il y a en effet un écart entre chercher simplement à être conscient que l’on rêve et vouloir appliquer certaines consignes précises telles que combattre à mort l’opposant onirique. Dans le premier cas la conscience ne peut compter que sur elle-même, dans le deuxième c’est l’action qui active ou réactive une lucidité qui trouve enfin matière à s’exercer. Ce n’est en effet pas tous les jours que l’on combat à mort le malheureux qui s’est contenté de refuser de nous aider, qu’on le tue afin de le voir ressusciter, que l’on transforme une chute en vol, etc. Le procédé est donc d’autant plus utile que les actes prescrits sont très différents de ceux de la vie de veille. Toutefois les directives proposées peuvent aussi rigidifier l’univers onirique ou, plus sûrement, l’attitude du rêveur. L’intérêt des consignes sénoï ne réside, à mon avis, que dans l’aide qu’elles apportent au développement de la lucidité. Mais une fois celle-ci atteinte, continuer à les respecter constituerait simplement une aberration. Ces règles n’ont, à mon sens, aucune valeur absolue pour le monde onirique.

En ce qui concerne le rêve rapporté ici, et qui a été obtenu en fin de nuit, c’est-à-dire, en fait, en milieu de matinée, il dans une catégorie dont j’ai été un temps coutumier, celle des rêves du petit matin où l’on affronte toutes sortes d’adversaires comme dans un film d’action. Quiconque a connu ces rêves d’avant le réveil sait que plus on combat d’ennemis, plus il en survient. Ce n’est sans doute pas la meilleure façon de passer une nuit tranquille.

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Rêve associé du 23 décembre 1981

Les morts en falaise

Se pose un problème de statistiques. Autant de gens meurent pendant les périodes de trouble qu’en temps de paix. Ça doit pouvoir s'expliquer. Une dame reçoit dans un train un paquet de sa mère. Elle l'ouvre. Une bombe se trouve dedans. Elle explose. Tout le monde meurt. La différence entre les morts et les vivants c'est simplement que ces derniers disposent en plus un corps matériel. Leur erreur est de penser qu'ils n'ont que ça. Nous sommes sur un niveau de compréhension plus grand que celui de la femme qui a reçu la bombe, raison pour laquelle nous comprenons tout de suite. Mais pour cette femme devenue fantôme, on assemble tous les morts en falaise afin qu'elle comprenne où elle est.

L'important est de jurer allégeance à Shiva ou à la mémoire, car dans le monde des morts la parole a valeur de fait et on ne peut revenir dessus comme dans le monde matériel.

Ce rêve n’est pas un rêve lucide, mais ce n’est pas non plus un rêve habituel. Je le qualifie de " réflexif " car les idées générales y prennent plus de place que les événements imagés qui paraissent réduits ici à un rôle de simple illustration – à tel point qu’on pourrait douter de son aspect onirique. On a en effet parfois défini le rêve au sens strict par la vivacité et la richesse des scènes, reléguant le reste dans la catégorie de ruminations mentales plus ou moins mêlées d’images. Or il ne s’agit pas de cela ici, au moins pour deux raisons. La première est que ce passage appartient à une série de fragments de rêves recueillis au réveil de 11h25, donc après une nuit plutôt longue, à un moment où la quantité de sommeil paradoxal est élevée et où les rêves intenses sont monnaie courante. La deuxième tient à l’impression que m’a fait le rêve : sa qualité onirique m’est apparue avec netteté, mais par la nature même de la situation, il me situait dans un " monde " réflexif. Il ne s’agit donc pas d’une réflexion agrémentée d’images dans le sommeil, mais d’un rêve mettant en scène un sujet désincarné, et par là fonctionnant sur un mode différent de celui de la perception onirique habituelle. D’ailleurs les scènes présentées par le rêve (explosion de la bombe, falaise de morts) appartiennent de plein droit à l’ordre onirique.

Par sa thématique, ce rêve appartient à la catégorie des rêves associés. Il n’y a en effet pas une frontière très grande entre rêver qu’on est mort (ou sorti de son corps) et rêver qu’on rêve, quant à la visée de la conscience, même si cela ne préjuge pas de sa qualité. Et il n’est pas rare que les rêves d’après vie, tout comme les rêves de sortie hors du corps, débouchent sur la lucidité.

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Rêves lucides du 25 décembre1981

Ouverture sur l'inconnu

Ma chambre, dans notre maison de campagne, telle que je vois depuis mon lit, m’apparaît plus ouverte sur le mystère, dans cet état, que dans le monde ordinaire. A ma gauche, côté fenêtre, tout est comme d'habitude, mais à ma droite, côté porte, une ouverture donne sur l'inconnu, lieu plongé dans l'obscurité et que je devine intensément profond. Pour sortir de mon corps je ne me débats pas, mais je me répète que je peux le faire.

La lucidité de ce rêve est attestée à la fois par mon état d’esprit (je compare l’état présent et le monde ordinaire de la veille), la notation " rêve lucide " précédant le récit dans mon journal de rêve et la tentative de sortie hors du corps. Toutefois, un phénomène inhabituel se produit : je tente de sortir de mon corps alors que je suis déjà lucide. Or, habituellement, c’est plutôt pour entrer dans un rêve lucide que je sors de mon corps. Plusieurs explications sont ici possibles.

Selon la première, ma lucidité, bien que présente, n’est pas suffisante pour me préserver de certaines habitudes oniriques. Cette objection tombe d’elle-même lorsqu’on s’aperçoit que j’inaugure une nouvelle méthode de " sortie " qui ne m’est absolument pas habituelle. Selon la seconde, je serais, bien que lucide en rêve, en quelque sorte " coincé " dans mon corps onirique et il me faudrait recourir à une tentative de sortie pour enfin me mouvoir. Cette réponse n’est pas non plus satisfaisante puisque je n’ai même pas vérifié que je pouvais ou non me mouvoir, en raison, justement, de la nouvelle méthode utilisée. Selon une troisième explication, je me trouve tout simplement dans l’état intermédiaire que j’ai reconnu comme tel, bien qu’à l’époque je ne le nommait pas ainsi. La situation est toutefois inhabituelle pour moi, à cette époque. J’avais en effet l’habitude de passer rapidement par l’état intermédiaire, et soit j’émergeais dans un rêve, lucide ou non, soit je me réveillais. Ici, il semble que l’état intermédiaire se soit présenté à moi alors que je dormais déjà. J’ignore s’il fait suite ou non à un rêve, mais ma conscience comparative a alors été activée. Contrairement à ce qui s’était produit jusqu’à présent, je suis entré dans l’état intermédiaire sans rien faire, et j’y suis resté un certain temps avant de retomber dans un rêve ordinaire.

Etirement du corps - 11h20 -

Viennent des images diverses. Puis une impression d'étirement du corps. Je suis conscient de la présence d’un lama à cheveux noirs dans le couloir, plus précisément derrière la porte du couloir.

Un autre rêve lucide, catalogué comme tel. Cette fois le passage par l’état intermédiaire est plus classique : les images hypnagogiques se présentent d’abord et indiquent que je descends les premières marches du sommeil, puis vient l’étirement du corps que je ne provoque pas mais qui se produit de lui-même. La suite du rêve a été oubliée, à moins que la lucidité n’ait été perdue. Ce rêve lucide, ou plus exactement la façon dont il se déclenche dans l’état intermédiaire, semble constituer la réponse, obtenue avec retard, à la nouvelle méthode utilisée spontanément dans le rêve lucide précédent de la même nuit.

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Rêves lucides du 28 décembre 1981

Voir s'il me voit - 13h00 -

Je sors de mon corps et descend jusqu'au salon où discute Oncle Claude. Je bouge mes doigts devant ses yeux pour voir s'il me voit. Sa vue se trouble. Je n'aurais pas dû faire ça.

J’utilise la méthode habituelle pour entrer dans le rêve lucide : je sors de mon corps et passe ainsi dans l’équivalent onirique de la maison. Je sais que je rêve et j’en profite pour me livrer à une petite expérience. Toutefois, la nature même de cette expérience montre que je ne peux me défendre de la pensée que je suis, d’une certaine façon, ne serait-ce qu’à l’état de fantôme, dans le monde " réel ". J’ai eu tendance à qualifier de tels rêves de " demi lucides ", dans la mesure où la lucidité ne concerne qu’une seule visée de la conscience – dans le cas présent : moi qui rêve, tandis que le monde qui m’entoure conserve un statut trouble. Toutefois, cette explication m’apparaît moins évidente aujourd’hui. En effet, des rêves pleinement lucides me semblent présenter la même qualité de conscience que celui-là. Où réside alors la différence ? L’attitude ambiguë dans ce rêve vient du type de décor qui s’y présente et qui renvoie irrésistiblement au monde de la veille. Mais s’il arrive que le décor change après une incursion dans le double onirique du monde, situation que l’on verra se produire le jour suivant, je ne me laisse plus prendre à de tels pièges et me considère parfaitement lucide, alors même que la qualité de ma conscience n’a pas réellement changé. Il faudrait donc distinguer entre les comportements oniriques induits par un certain type de décor et ceux provoqués par la présence de la lucidité.

Cette lucidité a sans doute été obtenue en raison d’une nuit de rêves déjà bien remplie. Je compte en effet 12 récits de rêves précédant celui-là, dont certains relativement longs, notés à 9h40. Ce rêve lucide est d’ailleurs accompagné d’un autre qui semble le suivre de près :

Lucidité perdue

Un deuxième rêve lucide, mais la lucidité est perdue en cours de route.

Une foule de gens entrent dans ma chambre. Ce sont des indiens : un très grand, un tout petit, d’autres très raffinés, manifestant une grande classe, et un autre bien armé. A la fin je vois même entrer ma cousine Sita.

Mes notes ne permettent pas de déterminer avec exactitude ce qui s’est passé. Je suis manifestement entré dans un rêve lucide dont la lucidité m’a échappé. Le passage rapporté semble bien être une fin onirique non lucide d’une expérience lucide qui aurait commencé dans l’état intermédiaire, donc dans un équivalent de ma chambre, et se serait, pour cette raison, terminé également dans ma chambre, mais de façon tout à fait onirique comme en témoigne la foule qui y pénètre alors (l’état intermédiaire a, pour sa part, plutôt tendance à être désert). Ce qui est curieux, c’est que j’ai perdu le souvenir du rêve lucide en même temps que la lucidité, tout en me souvenant parfaitement avoir été, à un moment donné, lucide.

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Rêves lucides du 29 décembre 1981

Charly devant l’ambassade - 9h10 -

Je suis dans un bus qui a l'habitude de suivre un trajet précis. Mais voilà qu’il change d’itinéraire, et je descend dans une rue qui porte deux noms. Je tombe sur Charly, un ami d’enfance, devant une ambassade. Charly s'étonne de me trouver. Est-ce que je travaille à l'ambassade maintenant ? Je lui explique que je suis en train de rêver. Il me demande ce que je vois. Je lui décris la rue : elle se termine sur un immeuble en saillie qui la bouche [dessin]. Il s'esclaffe parce que ce n'est pas du tout ce qu'il voit. Donc moi je rêve tandis que lui est éveillé. Le décor change, preuve que je rêve. Pour Charly, le décor ne change pas.

Charly tient un magasin où l’on donne des leçons de musique. Une inscription à l'entrée indique que les sots doivent déposer leurs discours sur la table. Une fille veut sortir. Je la laisse passer. Puis je rentre en mimant quelqu'un qui porte de lourds discours et je m'écrie : " vite ! c'est lourd, il faut que je le dépose ". L'intérieur du magasin change et je demande à Charly un massage thaïlandais ?

On est d’ordinaire lucide lorsqu’on sait qu’on rêve. Mais que signifie " savoir qu’on rêve " ? Dans ce rêve, je sais que je rêve, mais je concède au personnage rencontré qu’il ne rêve pas. A première vue, cela semble simplement indiquer une lucidité partielle : même si je sais que je rêve, cette lucidité souffre de zones d’ombres assez courantes comme celle qui consiste à croire que les personnages sont des émanations de personnes réelles et que, loin de faire partie du décor, ils partagent le rêve avec le rêveur. (Un cas de ce genre est rapporté dans l’ouvrage de Celia Green ou le rêveur tente de convaincre sa mère qu’ils sont tous deux dans un rêve et de s’en souvenir au réveil.) Il est vrai que je m’adresse au personnage comme à un témoin extérieur (je lui explique que je rêve comme si lui n’était pas concerné).

Pourtant la situation est plus complexe que dans le cas d’un rêve que l’on croit simplement partagé. Ici le personnage se livre à une vérification à l’issue de laquelle il s’avère que lui ne se trouve pas dans mon rêve. L’échange " verbal " est donc notre seul lien " réel " et ce que je rêve ne concerne pas vraiment le personnage, pas même, sans doute, le rôle que je lui fais jouer dans le décor onirique. D’une certaine façon, il est dans son monde et moi dans le mien (et il importe peu qu’il qualifie son environnement de rêve ou de veille). Tout se passe comme si nous communiquions à un niveau non représenté et que la représentation perceptive venait s’ajouter à notre rencontre, comme un élément étranger, adapté à la situation de chacun : monde stable pour celui qui se présente comme réveillé, changeant pour celui qui se sait en train de rêver.

Le couloir qui mène au cinéma - 11h 06 -

Je sens mon corps s'étirer pour sortir de lui-même dans un rêve lucide. Je sors de ma chambre. A l'étage inférieur, dans l'escalier, je rencontre mes parents. Dans mon état, je ne suis pas perceptible. Je touche Maman de la main. Elle pense alors distinctement : " Christian ". Je lui demande alors si elle me voit. Elle me répond que oui. Papa aussi dit qu’il me voit. J’objecte qu'ils ne peuvent pas, puisque je suis immatériel. Ils ne veulent pas me croire. En fait, l'escalier n'est pas disposé de façon habituelle et la maison a changé d’aspect. Tout cela se passe donc dans un rêve (et non dans le monde physique que je visiterais sous forme désincarnée). De plus, la maison ressemble à un magasin ou d’une librairie remplie de clients. Je me dirige vers une fille dont les seins sont peu développés mais, lorsque m’apprête à la toucher, elle se transforme en garçon. Je me rappelle qu'il vaut mieux ne pas manipuler le rêve et laisser faire. Je continue à me promener dans le magasin. Une enfilade de couloirs se présentent à moi [dessin]. Ces couloirs me paraissent tourner les uns autour des autres. A partir d’une certaine limite, le reste du magasin n'est autorisé qu'à ceux qui ont dépassé l’âge de 18 ans. Quelqu’un garde l'entrée de cette partie du complexe. Il est assis derrière une table et me laisse passer en disant que c'est bien : je suis torse nu et il peut voir que j'ai plus de 18 ans. Cette interdiction est due au fait qu'il y a une sorte de sex-shop plus loin. A chaque angle de couloir on trouve des portes d'ascenseurs, certaines coulissantes, d’autres donnant simplement sur des cuisines, et une table comportant des bols. Peut-être les employés mangent-ils là plutôt que dans la cuisine. Je me fais la réflexion que les couloirs doivent tourner les uns autour des autres. Depuis que j'ai franchi la table marquant la limite de cette partie du magasin, je n'ai plus rencontré personne. J’entre dans une salle de cinéma vide. Comme Ouspensky, j'essaie de cogner les doigts sur ce que se présente à moi. Le plastique rouge des tablettes des sièges de cinéma est dur sous mes doigts. Puis je m'envole comme si je déployais des ailes …

(J'entreprends de me réveiller ?) Le cinéma disparaît et je me retrouve dans ma chambre, souffrant. Je me pose à moi-même la question de savoir ce que je dois faire pour être en bonne santé. J'ai l'impression de tomber dans des profondeurs circulaires concentriques. Dans ma chambre, je passe devant une paire de bottes, et un réveil se met à sonner de façon continue. Je suppose que les Franquet sont arrivés car j'entends la voix de monsieur Franquet. Je regarde ma montre, c'est une montre sous marine, elle marque deux heures : 9h et 7h, et une date plus grande qu'il n'est possible.

C’est là un rêve lucide survenant à la suite de l’état intermédiaire, lui-même obtenu de façon spontanée. Au début, je crois encore, d’une certaine façon, à la sortie hors du corps, puisque je vérifie mon intangibilité en touchant un personnage de rêve. Je suis donc, du point de vue de la conscience, dans une situation particulière : je sais que je dors sans encore savoir que je rêve, situation qui rend compte de nombre de récits de " voyages hors du corps ". Mais la modification totale de l’environnement d’une part, et le fait que ma présence est perçue par les autres personnages d’autre part, m’obligent à me rendre compte qu’il s’agit bel et bien d’un rêve. Par la suite, je pousse même le scrupule jusqu’à m’assurer de la solidité des objets oniriques.

A cet égard je remarque que ce rêve a été influencé par mes lectures. Au cours du rêve, j’attribue à Ouspensky la vérification de la solidité des objets, mais cette expérimentation renvoie en fait à Van Eeden, dont j’avais lu les expérimentations dans le livre de Garfield. Par ailleurs, dans une scène antérieure, j’évite d’entrer en contact avec un personnage onirique pour " laisser faire le rêve ", influencé en cela par une remarque de Faraday qui prétend qu’il ne faut rien entreprendre de volontaire en rêve lucide.

Ce rêve qui commence par l’état intermédiaire se termine par un faux éveil : la scène précédente paraissant avoir atteint sa conclusion avec mon envol, je crois me réveiller. Toutefois ce faux éveil reste partiellement lucide puisque je me considère être dans un état où je peux m’interroger moi-même au sujet de mon état de santé (sans pour autant obtenir de réponse). Mais cette lucidité n’est que partielle, ou plus exactement elle est tempérée par l’impression d’être en partie réveillé puisque je crois entendre des voix provenant du monde de la veille.

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RÉCAPITULATION DES RÊVES

POUR LA PÉRIODE ALLANT DE FIN AOÛT À DÉCEMBRE 1981

La récapitulation qui suit a pour objectif de donner une sorte de " paysage onirique " d’ensemble. Mes rêves lucides ne sont en effet pas des phénomènes isolés dans mes nuits de sommeil comme le seraient des îles dans l’océan. J’y trouve différents types de rêves qui, du point de vue de la conscience, sont en corrélation. Si l’on se rappelle que le seul intérêt porté aux rêves peut permettre de les rendre lucides, comme ce fut le cas pour Hervey de Saint-Denys, on comprend comment l’intérêt porté à ces rêves corrélatifs peut pousser vers la lucidité toute une portion de la vie onirique qui se trouve comme " en attente " d’un surcroît de conscience. Ainsi, par exmple, s’intéresser à ses rêves en général provoque des rêves où il est question des rêves. La préoccupation qui consiste à les noter, qui implique une " action " ou en tout cas une attitude plus " engagée " envers son monde onirique, induit des rêves de notation. Si l’on fait un pas supplémentaire et qu’on se penche plus particulièrement sur ces rêves de notation, on finit par reconnaître des incongruités au cours de ces rêves et par se poser, en dormant, des questions sur la nature de l’expérience vécue, ce qui débouche sur la lucidité. Comme on peut le constater, cela n’aura pas demandé d’autre méthode que de s’intéresser à ces rêves de notation et, en quelque sorte, de les prendre pour cibles. Il est bien sûr possible, et même souhaitable, de renforcer ces résultats en faisant intervenir d’autres méthodes, par exemple, pour reprendre la situation proposée, de s’interroger sur le type de réalité que l’on est en train de vivre lorsque l’on note ses rêves à l’état de veille, afin d’introduire cette attitude dans la vie onirique. Mais l’on voit que c’est l’intérêt porté aux rêves qui a tout d’abord modifié le paysage onirique selon des perspectives qu’il est possible d’approfondir.

Pour conduire à la lucidité, l’intérêt porté au monde onirique doit donc s’impliquer dans des directions précises. Dans le cas contraire, la conscience ne se développe que de façon sporadique, comme on le constate dans les journaux de rêveurs qui, s’intéressant au rêve uniquement dans le cadre de l’interprétation, et ne connaissant pas le phénomène du rêve lucide, constatent simplement de temps à autre, qu’ils sont conscients de rêver, sans que cela n’excite leur curiosité. Et même lorsque tel est le cas, dans la mesure où leur attitude de veille est exclusivement tournée vers l’interprétation (et qu’ils ne comprennent pas qu’il y a là une faculté à développer), ces rêves restent des phénomènes isolés. Il faut donc, comme Hervey de Saint-Denys, élargir ses centres d’intérêts concernant les éléments qui composent la vie onirique et y inclure non seulement la conscience onirique, dont on évaluera la qualité, mais aussi les événements particuliers dont on a pu constater la fréquence dans les environs de la lucidité. L’attitude qui consiste à ne prendre en compte que ses rêves lucides s’avère donc aussi limitée que celle qui consiste à ne s’intéresser qu’à l’interprétation des rêve : c’est l’ensemble de la vie onirique qui doit être examinée, de la même façon qu’on prend soin de l’arbre tout entier, même si l’on en consomme que les fruits.

Si je m’interroge sur les formes qu’a pris mon intérêt pour les rêves, et les activités qu’il a provoquées, je constate d’abord que je me suis mis à noter les rêves, activité que j’avais abandonné depuis des années, et à en noter le plus possible. Je n’ai en effet repris un journal rêves qu’après avoir lu l’ouvrage de Garfield. Il m’a fallu au début, et malgré un rêve lucide obtenu immédiatement après avoir fini son livre, rétablir leur souvenir sur une base régulière : j’avais depuis longtemps perdu l’habitude de m’en occuper. Je me suis également mis à lire sur le sujet et mes rêves ont parfois été influencés par ces lectures : c’est le cas pour les rêves sénoïs (Garfield) ou pour la non intervention en rêve lucide (Faraday). Mon journal comporte quelques tentatives d’interprétations systématiques, vite abandonnées au profit d’une compréhension intuitive. Mais ce n’est que plusieurs années plus tard que je me suis mis à relire mon journal pour y trouver, à mon grand étonnement, des passages lucides que j’avais omis de noter comme tels. Cette inattention vient principalement du peu de temps dont je disposais alors pour la notation. C’est en relisant mon journal que je me suis rendu compte que les arbres pouvaient cacher la forêt, en d’autres termes que les rêves lucides pouvaient dissimuler les variations du paysage conscientiel onirique. La notation réduite au minimum des premières années m’a sans doute fait perdre des éléments d’informations dont je n’avais alors pas compris l’importance.

 

Date

Liste des rêves

Type de rêve

Observations

AOÛT 1981

?

Règles de conduites

 

 

?

La fausse Meena

associé

Rêve de double

?

" Tuesday ", dit Ghita

Faux éveil

Paralysie, sortie onirique hors du corps

22.8

La souricière

   
 

Raiders of the Lost Arch

   
 

Le singe et le centaure

   

23.8

Le docteur

   
 

La dissertation philosophique

   

24.8

Le lycée et le patin à roulettes

   

25.8

Une nuit dans la salle de bain

   
 

Le pays des margouillais

   
 

Maman change

   
 

La chambre déformée

lucide

 

26.8

Tante Marie-Ange et le Dream recall

   

27.8

Un nouveau visage

lucide

Rêve éveillé/rêve lucide

 

Modeste et le pirate

   
 

Le steak qui tue

   
 

Bourdon dans la bibliothèque

   
 

Le roman de Charly

   

29.8

Bouddhisme tibétain contre magie noire

   
 

Crêpes et gâteaux

   
 

Le visage rouge du démon

   
 

L’appartement de tante Françoise

   

30.8

Olivier gagnant

   
 

Le billet de banque

   
 

Ma femme travaille pour les japonais

   
 

Catherine est de retour

   

31.8

Retourner à Dakar

   
 

Une khâgne de trop

   

SEPTEMBRE 1981

1.9

Chez le coiffeur

   
 

L’hôtel des Sandjivy

Faux éveil

 

2.9

Loco-cyclette

   
 

Le pays socialiste

   
 

Divi et Ghita dans l’obscurité

Associé ?

 

3.9

Robe blanche et chaussures noires

   

4.9

L’armoire de madame Moguy

   
 

Refus du plaisir

   
 

Comité de lecture

   
 

Attention à l’eau

   

5.9

Mort-mouton

   

6.9

Charlot réparteur d’immeubles

Associé ?

semi lucide ?

 

Efforts pour respirer

   
 

Comment marier Catherine ?

   

7.9

L’oiseau gelé

   
 

Le plancher de verre de Saint-Sylvestre

   

8.9

Un cours de chinois dans le hall d’entrée

   
 

Combat contre les êtres qui habitent le soleil

   

9.9

Station de métro

   
 

Réveil conseil

Faux éveil

Sortie onirique hors du corps

10.9

Le train pour Dijon

Faux éveil

 

12.9

Pourquoi Christian n’aime pas Véronique ?

   
 

Je tape mes rêves à la machine

associé

 
 

Premier cours de science à Ulm

   
 

Le masque du lion et le maque de Batman

   
 

Tous les français se ressemblent

   
 

L’enseignement de la télékinétique

   
 

Les gens verts dans la bibliothèque

   

13.9

Rêve que je rêve de départ

associé

Rêve dans le rêve

16.9

Maître de deux étages

   
 

Un homme en contient plusieurs

   
 

Rêves notés au stylo vert

associé

 
 

D’une semaine sur l’autre

   

17.9

La mystérieuse fiancée, histoire policière

   
 

Echapper à mon corps

lucide

 
 

Armoire de passe-passe

lucide

 

18.9

L’homme rêve sept fois

prémonitoire

 

21.9

La fille agent secret

   
 

Une visite d’Horvilleur

   
 

Où je manque la gare d’arrivée

   

22.9

(Sans titre)

   

23.9

Une chambre dans un hôtel

   
 

Le problème des hormones

   

25.9

Sara est lointaine

   
 

Sara et le désordre mental

lucide

 
 

Le rêve de maman sur le soleil et la lune

Faux éveil

 
 

Fuite par les escaliers latéraux

   

26.9

Dans la grande école aux étages circulaires

   
 

Révélations de Papa

   
 

Géant dans la ville nocturne

   
 

Parel découvre mes lectures

   

28.9

La cuisine des marins

lucide

 
 

Un catalogue de livres de SF et F

   

30.9

Catherine est rentrée plus tôt que prévu

   

OCTOBRE 1981

2.10

Camping avec Jean-Luc

   
 

Vrai moi et faux moi

Associé ?

 

3.10

Le prince des étoiles

Faux éveil

Rêves simultanés

4.10

Ulm profond

   
 

(tentative de rêve lucide)

   
 

Deux voitures rouges

   
 

Ecouter les communication

   

5.10

Le crachat

   
 

Le robot insecte : deux étapes d’un rêve

   
 

Où je raconte mon rêve à papa

Faux éveil

 
 

Ma tante a envoyé un os

   
 

Un morceau de gâteau

   
 

Sois sage

lucide

 

6.10

Le chien sans estomac

   
 

Le rêve de maman : Pierrot assassiné

Faux éveil

 

8.10

Enfant-ligne de recherche

   

9.10

Pascal Thomas et Catherine Vignaud

   

10.10

Panneau loto

   
 

Auto-assassinat d’un homme arrivé par un clochard

   
 

Repas imparfait

   
 

La visite d’Isabelle Cavy

   
 

Cabrioles surnaturelles

vol

 
 

Papa, monsieur Bertrand, l’informatique…

   
 

Métro : renouveau du contrôle

   
 

Rencontre de VGE dans un magasin

   

11.10

Ma chambre à Dakar

associé

 

13.10

Les points de l’espace-temps

   
 

La BD de Jacques Bousquet

   

?

Coercition

   
 

Code de conduite des chevaliers

   

17.10

J’accompagne Bertrand Russell

Vol

d’un personnage

18.10

Conscience de Krishna et Francs-maçons

   
 

Patin à roulettes en Inde

   
 

Accroché au plafond

associé

 
 

Une centrale d’énergie nouvelle

   
 

Pas de date limite

   

19.10

J’écris un livre sur le mythe de littérature

   
 

Papy au restaurant

 

Rêve de décédé

21.10

La mémoire affective de Proust

   
 

La maison de campagne de Dalida

   

23.10

Voyage avec Jean-Luc

   
 

Un endroit pour apprendre l’anglais

   
 

Le loto dans le journal

   
 

Tentative de sortie hors du corps

lucide

 

24.10

Voir Pascale

lucide

 
 

Je tourne sur moi-même

lucide

 
 

La maison est gigantesque

Faux éveil

 
 

Je vois Tata

Semi lucide

 

26.10

Bob Morane et les coordonnées du globe terrestre

   

30.10

Visite de Sita

Faux éveil

 

NOVEMBRE 1981

1.11

Chez Papy dans le salon n°2

   

3.11

L’homme au vagin

lucide

 

9.11

Des immeubles d’où sort de la fumée

   

14.11

La fille dans les escaliers

Etat intermédiaire

 

DÉCEMBRE 1981

1.12

USA

   

2.12

Charly gagne 100 000 dinars par mois

   

3.12

Sita me montre un jeu

 

Rêve à l’endor-missement

 

Dans un théâtre ou au cinéma

   

5.12

Des vieux films du siècle dernier

   

6.12

Mariage

   

7.12

Un cours dans une église

   
 

Version grecque

Faux éveil et flash de lucidité

 

8.12

Leçons dans un amphi de deux étages

 

Elément prémonitoire

 

Rêve en trois rubriques

Faux éveil

 

10.12

Le corps qui vibre

Etat intermédiaire

 
 

La puérilité et la spiritualité

   

11.12

Dans un prisunic

   
 

Un restaurant où il se passe d’étranges choses

   
 

Le corps qui vibre

Etat intermédiaire

 

12.12

Un appartement qui ressemble à celui de Dakar

   
 

On a sonné

   
 

Dans une grande salle avec une fille

   
 

Comportement de Desroches à Ulm

associé

 

13.12

Le butin du barbu

 

Semi éveil

 

comme un fantôme

 

Rêve de rendormissement

 

Tête d’inhumain

   
 

Oublié en Italie

   

14.12

Le quartier où habite la famille de Charly

   
 

Au lycée à Dakar

   
 

Maman passe un examen

   

15.12

Acrobate dans un cirque

   
 

Why you yallow ? Nothing, you yallow nothing

 

Rêve réponse

16.12

Changer de chambre à Ulm

   

17.12

Cours à Ulm (et autres rêves)

   

18.12

Gurdjief était un pseudonyme d’Ouspensky

   
 

Village d’étude

   

19.12

Si je réussis l’agreg et que je reste en France

   

20.12

Un œil ouvert dans le sommeil

lucide

 

21.12

Un trottoir à éviter

   

22.12

Nous sommes deux

   
 

Y a pas que la neige, y a le temps

   
 

Une maison appartement

   
 

Enlevés par une maffia

Associé

(sénoï)

23.12

Les morts en falaise

associé

Post mortem

 

Marie-Jane a été enlevée par un bandit

   
 

Après une bagarre

   

24.12

Une femme a besoin de connaître ses limites

   

25.12

Ouverture sur l’inconnu

lucide

 
 

Etirement du corps

lucide

 

28.12

Pour aller de l’autre côté de la frontière

   
 

Voir s’il me voit

lucide

 
 

Lucidité perdue

lucide

 

29.12

Charly devant l’ambassade

lucide

 
 

Le couloir qui mène au cinéma

lucide

 

31.12

Inondation de la rue (et autres rêves)

   

L’examen d’un tableau de rêves permet un certain nombre de constatations et de prises de conscience. A titre d’exemple, je remarque ici que le mois de novembre est, pour moi, relativement pauvre en rêves. Cette remarque s’avérera également valable les années suivantes. Je peux également constater une série de rêves lucides obtenus fin décembre (six sur une période de cinq jours), ce dont il m’est possible de rendre raison après coup : j’étais en vacances et dans la maison de campagne familiale, donc libéré des contraintes horaires et dans un environnement plus agréable et plus sain. J’ai d’ailleurs remarqué que mes rêves sont plus intenses, plus longs et plus nombreux lorsque je quitte la région parisienne, et j’ai pu constater que c’était aussi le cas de certains de mes sujets d’expériences.