Conscience et capacités des personnages de rêve observés au cours de rêves lucides

Paul Tholey

Extrait de "Rêver" n°2

Au cours des rêves lucides, les personnages de rêve donnent parfois l'impression d'avoir une conscience propre. Ils parlent et se comportent de manière logique, réalisent des choses étonnantes du point de vue cognitif, leur comportement exprime des buts et des sentiments différenciés, mais possèdent-ils une conscience propre ? De nombreux scientifiques n'hésiteraient probablement pas à répondre ³ non ² à cette question où même à la rejeter parce dénuée de sens. Afin d'éviter les jugements abrupts, nous voulons exposer précisément le problème en le distinguant des autres interprétations.
Lorsque nous posons que les personnages de rêve ont une conscience propre, nous ne voulons pas dire qu'ils seraient des êtres indépendants à la manière des esprits ou des fantômes dont parlent les occultistes ou les spiritualistes. Nous pensons plutôt que tous les personnages de rêve, y compris le moi de rêve, naissent dans le cerveau du rêveur. Cet argument est étayé par l'hypothèse de travail du parallélisme, ou isomorphisme, psychophysique. De même que les données sensorielles ont tendance à dominer les contenus et l'organisation de notre perception du monde à l'état de veille, les processus du cerveau central sont majoritairement responsables des événements qui surviennent au cours de nos rêves. Une caractéristique de ces processus cérébraux est qu'ils sont reliés à nos processus mémoriels affectifs et cognitifs. On croit que le fait que certains processus cérébraux deviennent conscients dépend des caractéristiques dynamiques de ces processus— dont nous savons fort peu de choses actuellement. Il est donc théoriquement possible que plus d'une conscience puisse se développer dans un seul cerveau.
Cependant, en premier lieu, nous voudrions établir une distinction entre plusieurs significations du mot ³ conscience ². Quand on dit que quelqu'un a ³ perdu conscience ² (par exemple comme conséquence d'un coup de marteau sur la tête), nous voulons dire que toute sa perception du monde, ou champ, phénoménal (mental) a disparu. Des expériences menées sur des sujets ayant une scission hémisphérique tendent à montrer que chez de tels patients, chaque hémisphère cérébral peut avoir une conscience ou un champ phénoménal. Cela dit, chaque conscience est strictement séparée de l'autre s'il n'existe plus de connexions dynamiques directes entre les deux hémisphères.
Il nous est donc possible d'expérimenter une double conscience, c'est-à-dire d'avoir un monde phénoménal double. Cela se produit parfois lorsqu'on s'éveille d'un rêve. A de tels moments, il est possible de sentir un moi de rêve dans le monde du rêve en même temps qu'un moi de veille allongé dans le lit. Cette possibilité est due à un chevauchement de deux champs phénoménaux - le monde du rêve et le monde perceptif de la veille.
La différence essentielle entre ces deux cas est que l'existence d'une double conscience chez un patient avec une césure inter-hémisphèrique ne peut être déterminée que par l'examen de ses paroles, de ses actions et des manifestations de ses expressions, tandis que dans le dernier cas, le sujet expérimente directement une double conscience.
Par opposition à ces deux définitions, ce que nous entendons ici par ³ conscience ² n'est pas un champ phénoménal, mais des faits qui se produisent dans le monde phénoménal. La conscience peut être définie comme la participation d'un ³ Je ² phénoménal à des événements ou des objets phénoménologiques depuis son propre point de vue, non seulement grâce à sa perception, mais aussi par son imagination, sa mémoire et ses pensées (Duncker 1947). D'après cette définition, le moi de rêve possède une conscience dans le rêve lucide. Il observe la scène du rêve depuis son propre point de vue, fait montre de bons moyens de mémorisation et peut faire usage de sa raison. Dans de précédentes expérimentations, nous avons décrit les tâches cognitives qui peuvent être accomplies par le moi de rêve (Tholey 1981). Ici, cependant, notre propos est de savoir si d'autres personnages de rêves, qui rencontrent le moi de rêve, possèdent une conscience telle que nous venons de la définir. Cette question ne peut recevoir de réponse définitive à cause de ses implications métaphysiques. Pourtant, elle peut être recherchée empiriquement, jusqu'à un certain point, avec l'aide d'expériences phénoménologiques et psychophysiologiques. D'après une discussion de résultats phénoménologiques, nous donnerons des suggestions pour des expérimentations psychophysiologiques susceptibles d'éclairer ce problème.

Notre but était d'établir si oui ou non les personnages de rêve peuvent réaliser des actions qui confirment ou infirment l'hypothèse qu'ils voient et agissent sur la scène de rêve depuis leur propre point de vue, qu'ils possèdent un accès personnel à la mémoire, et qu'ils sont capables de pensées créatives et indépendantes. A cette fin, il a été demandé à des rêveurs lucides expérimentés de faire effectuer différentes tâches à leurs personnages de rêve au cours de leurs rêves lucides.


METHODE

Au cours de notre étude, nous avons utilisé l'approche expérimentale appelée phénoménologique. Pour plus de détails voir Tholey (1986). Par opposition aux méthodes expérimentales traditionnelles, les variables indépendantes et/ou dépendantes sont de nature subjective. Malgré cela, les expérimentations phénoménologiques possèdent une validité intersubjective et sont reproductibles, si on dispose de rapports de différents sujets, indépendant les uns des autres, des mêmes expériences.
Neuf sujets hommes (7 étudiants et 2 psychologues) ont pris part à l'étude. Tous étaient des rêveurs lucides expérimentés qui avaient appris à induire les rêves lucides avec la méthode de réflexion combinée développée par l'auteur (1977).(...)
Il a été demandé aux sujets de faire effectuer certaines tâches à leurs personnages de rêve pendant leurs rêves lucides. Les tâches consistaient à dessiner ou à écrire : (1) écrire ou dessiner quelque chose qui soit opposé ou inversé par rapport à la position du moi de rêve (l'autre personnage de rêve se trouvant en face du moi de rêve); (2) prononcer un mot inconnu : prononcer un mot inconnu du moi de rêve, trouver des mots qui riment, trouver un mot rimant avec un mot particulier; (3) énoncer une strophe en rimes; (4) faire du calcul arithmétique : résoudre des opérations et des problèmes simples demandant un calcul mental et des problèmes qui requièrent un calcul mental mais n'ayant pas été résolus auparavant par le moi de rêve. A cette fin on a demandé aux sujets de soumettre aux personnages de rêve des tâches arithmétiques, additions et multiplications d'une difficulté variable ².
Dans un même rêve lucide, les sujets on été autorisés à soumettre à différents personnages de rêve une ou plusieurs tâches. (Voir "Divers" ci-dessous). Le récit du rêve était enregistré soit par écrit soit sur cassette, immédiatement après le réveil du sujet. Au début de l'étude, ni les sujets ni l'expérimentateur ne savaient dans quelle mesure les personnages de rêve seraient capables de réaliser ces tâches. Au cours de l'étude, les sujets n'ont pas échangé entre eux d'informations concernant leur propre expérimentation. L'étude a duré plusieurs mois.


RESULTATS

Nos résultats à ce jour sont fondés sur des rapports de 92 rêves lucides. Au moins six rêves lucides par sujet sont pris en considération. Il est important quand on évalue les résultats de se souvenir que, dans notre étude exploratoire, nous avons simplement cherché à établir si oui ou non, n'importe quel personnage de rêve apparaissant pouvait effectuer la tâche qu'on lui demandait.
C'est vrai qu'un récit de rêve individuel ne peut pas être testé intersubjectivement, mais des régularités fondées sur des récits de rêves indépendants de plusieurs sujets possèdent un certain degré d'intersubjectivité. Donc, si au moins trois des sujets ont déclaré qu'un personnage de rêve avait réussi à accomplir une tâche, nous avons considéré que c'était un indice qu'une telle tâche pouvait être accomplie. Si les résultas donnés sont vus sous cet angle, il peut alors soutenir que les différents personnages de rêves étaient, en réalité, coopératifs et capable de résoudre les quatre premières tâches. Cependant, le nombre de résultats corrects a varié grandement d'un sujet à un autre. Ce nombre semble dépendre du degré de maîtrise du rêve lucide par les rêveurs, mais aussi de l'expérience que le personnage du rêve a de la résolution du problème. Pour illustrer la manière de résoudre un problème donnons un exemple de chaque tâche.

Tâche 1 : Dessiner ou écrire
Exemple 1— "L'homme me prend alors le crayon des mains et se met à dessiner rapidement sur la couverture d'un magazine un croquis précis de visage. De mon point de vue, il est à l'envers. Très étonné, je tourne la revue de 180° pour regarder le dessin plus attentivement. Le dessin ne change pas. Au bout d'un instant, pourtant, je le vois "correctement" (il se produit un retournement). Le dessin représente un homme qui joue au billard mécanique ; il a la tête baissée, de sorte que seuls son nez et sa moustache sont apparents, vus par en dessus. Je regarde à nouveau ce dessin ; l'effet ne pouvait pas être mieux rendu."
Exemple 2— Je demande à ma petite amie de m'écrire quelque chose. Très lentement et un peu maladroitement elle écrit '3ZWG'. Je ne comprends pas le sens de ce signe. Elle est debout juste derrière moi et alors qu'elle écrit le 'G', je remarque clairement les mouvements que sa main fait en formant la lettre. Quand elle a fini, elle s'en va. J'arrive a lui faire écrire de nouveau ; elle est maintenant debout face à moi et écrit sur une sorte de tableau. Avec des mouvements raides elle écrit le mot 'Lippestrasse'. L'écriture est retourné de mon point de vue (le mot qu'elle écrit est le nom de la rue dans laquelle je vis). Son écriture à une belle apparence uniforme. Je suis très content."
Celles-ci et d'autres expériences appuient l'hypothèse que quelques personnages de rêves peuvent écrire ou dessiner comme s'ils étaient en train d'observer la scène de rêve d'un point de vue d'observateur. Le dernier rêve relaté a pris un tour intéressant. Plus de deux mois après le rêve, l'étudiant exposa son rêve lucide. Quand il écrivit '3ZWG' sur le tableau, on lui fit remarquer que c'était l'abréviation courante pour '3-Zimmer-Wohnung' (appartement de trois pièces). Cette explication est liée à un de ses problèmes de l'époque. Son amie voulait qu'il déménage de son appartement de la 'Lipperstrasse' pour emménager avec elle dans un trois pièces.
La tournure des événements illustres un intéressant point de vue sur le rêve lucide, à savoir qu'un personnage de rêve est capable d'exprimer sans ambiguïté quelque chose sans que le rêveur lui-même comprenne le sens de ce que le personnage de rêve est en train d'exprimer, même une fois réveillé.

Tâche 2 : Prononcer un mot inconnu
Exemple 3— "Dans la chambre, je rencontre une femme que je connais. Comme je l'avais projeté, je lui demande de me dire un mot étranger qui ne me serait pas familier. Aussitôt, elle dit : ''Orlog. Le mot Orlog décrit très bien notre relation". Je ne la compris pas puisque le mot 'Orlog' ne m'est pas familier. Quand plus tard je lui demandais ce que ce mot signifiait, elle nia l'avoir prononcé arguant qu'elle avait utilisé le mot 'Charme'. Tout en m'expliquant cela elle m'adressa un regard d'avertissement."
Après s'être éveillé, le sujet cherche "Orlog" dans un dictionnaire et découvre que c'est un mot hollandais qu'on peut traduire, approximativement, par "querelle". Le point intéressant ici est que les personnages de rêve sont apparemment capables de mentir , ainsi que d'autres expériences tendent à le prouver. (Pour un autre exemple, voir "Divers" ci-dessous).

Tâche 3 : Trouver des rimes
Exemple 4— "Je roule dans une rue secondaire et j'arrête ma voiture parce que je remarque un vieil homme, un étranger. Je me demande un instant quel mot je vais choisir pour lui demander une rime et je dis : "Excusez-moi. Voulez-vous me donnez une rime à 'Tanne' (sapin)?' Il me jette un regard hagard. Entretemps j'ai pensé au mot 'Wanne' (baignoire) and 'Kanne' (broc). Cependant, à ce moment l'étranger dit : 'Panne.'(accident). Cela me rappelle immédiatement un accident qui m'est arrivé quelques jours auparavant dans le monde réel quand ma voiture m'a lâché. Peu après je m'éveillais."

Tâche 4 : Rimer
Exemple 5— "Je demande à un groupe de psychologues : 'Pouvez-vous me dire quelque chose sur moi en rimes ?' Le psychologue debout le plus près de moi dit : 'In dem Dunkel der Nacht/hat er sich imgerbracht.' (Dans la nuit noire/ il prit sa propre vie.) Ce vers me rappela sur le champ un rêve lucide que j'avais eu des années auparavant, à une époque où j'étais en pleine crise. Le rêve commençait avec les mots : 'Ich ging den Abend/und suchte die Nacht/die Gedanken in's Dunkel zu senken.' (Dans la pénombre de la soirée/Je cherche la nuit/pour noyer mes pensées dans le noir)'
Le rêveur, un psychologue, interpréta cette strophe en disant qu'il avait abandonné son propre moi durant la crise dans laquelle il avait vécu le premier poème. En référence à notre problème, il semblerait significatif que le personnage du rêve peut non seulement se souvenir de morceaux de la vie de veille mais peut en plus se souvenir de rêves antérieurs.
Le récit suivant est dû à un psychologue qui à l'époque du rêve se sentait mourir d'amour.
Exemple 6— "Je suis couché dans un pré, regardant le ciel nocturne au-dessus de moi. J'y vois apparaître des créatures d'aspect angélique - mais je ne peux pas dire exactement ce qu'elles sont. Je lève les yeux au ciel et je m'écrie : "Pouvez-vous me réciter un poème ?" J'entends alors au-dessus de moi un ch¦ur de voix mélodieuses, mais tristes. Elles chantent en français, et comme c'est une langue où je n'excelle pas, je n'arrive à comprendre que le premier couplet : "Chantez sur la maladie / d'amour / C'est une mélodie / contre la vie!" (Chanter sur les douleurs de l'amour/ c'est chanter contre la vie!)"
Exemple 7— "Je vois un petit garçon dans le corridor. Je lui dis "Récite moi une strophe d'un poème !" "Postal erhälst Du Dein Geld direckt !" (La poste va transférer votre argent directement !) répond-t-il. Je le prends comme concernant un transfert d'argent, mais je montre mon désappointement que le vers ne rime pas. A cela le garçon réponds : "Ah, je ne voulais pas dire 'direkt', mais 'direktal'". Il a créé un nouveau mot qui peut être compris comme un synonyme de 'directement'. Sa version finale est : 'Postal erhälst Du Gein Geld direktal.'"

Tâche 5 : Faire de l'arithmétique
Exemple 8— "Je vois maintenant un groupe d'enfants âgés de six ou sept ans. Lorsque je demande à l'un des garçons s'il peut faire des additions, un homme âgé - sans aucun doute leur instituteur - écarte les enfants pour venir jusqu'à moi et dit : "Les petits savent faire les calculs simples". Je demande au garçon : "Combien font deux fois deux ?" - "Quatre!" répond-t-il aussitôt. - "Et combien font trois fois trois ? - "Neuf!" dit-il sans hésiter. Je décide de poser une question plus difficile : "Combien font trois fois sept ?" - "Dix huit!" dit le garçon après une pause. La déception doit se lire sur mes traits car l'instituteur bouscule à nouveau les enfants pour passer au premier rang. - "Je vous ai dit qu'ils ne savaient faire que des multiplications simples. Nous n'avons pas encore dépassé dix dans notre arithmétique Š". Je retourne dans la rue pour poser des problèmes aux adultes. La première personne que je rencontre est un homme d'âge moyen, bien habillé. Je lui demande "Est-ce que ça ne vous ennuierait pas de faire des opérations arithmétiques avec moi ?" Il fait un geste de la main pour m'écarter, indiquant qu'en vérité, oui, cela l'ennuie et qu'il n'a pas envie de le faire. Le passant suivant est beaucoup plus aimable. "Bien sûr", me répond-t-il, "allez-y!". Il a l'air de trouver la situation très intéressante. - "Combien font quatre fois quatre ?" - "Seize", dit-il sans hésiter. "Mais sérieusement" continue-t-il "me prenez-vous pour un débile pour me poser des questions si simples ! Vous semblez penser que je suis un enfant." Ses mots m'excitèrent parce qu'ils me donnaient à penser que j'étais enfin en face de quelqu'un capable de résoudre un problème dont je ne connaissais pas la réponse à l'avance. J'envisageais de lui donner une multiplication à faire avec des nombres entre dix et vingt. Mais il m'apparut que cela aurait été trop facile pour lui. Entretemps, il en avait eu assez d'attendre. Il me fit un geste d'adieu et disparu. Très désappointé, je m'éveillais Š"
Exemple 9— "Comme je ne suis pas convaincu de la faculté intellectuelle du petit garçon, je décide de commencer par une question simple. 'Combien fait une fois un ?'. "Un" répond le garçon. "Et combien font trois fois quatre ? - Onze" répond-t-il après une courte hésitation. En entendant cela je ris et dis, "Tu ne peux même pas faire des petits calculs. La réponse est douze !" Un sourire de supériorité apparu sur son visage. "Mais, je n'ai pas résolu votre problème. Je résolvais l'addition de sept et de quatre, et la réponse est bien onze !"
Bine que le personnage de rêve ait eu des difficultés à résoudre le dernier problème posé par le moi de rêve, il a manifesté une certaine indépendance d'esprit. Le personnage de rêve se posa un problème et fit en sorte d'y répondre correctement.
Dans un article antérieur (Tholey, 1985), j'ai mis en lumière que (dans 32 rêves lucides de neuf sujets) pas un des 60 personnages de rêve ne fut capable de résoudre un problème arithmétique quand la réponse était supérieure à vingt. Au cours d'expériences postérieures, il apparu que quelques personnages de rêve peuvent résoudre des problèmes dont la réponse est supérieure à vingt (par exemple, cinq fois cinq ou dix fois six). Cependant, à chaque fois, le moi de rêve connaissait la réponse du problème avant que le personnage de rêve ne le résolve.

Divers
Exemple 10— "Comme j'avais décidé d'expérimenter avec des drogues dans un rêve, j'eus l'idée de voler jusqu'en Jamaïque où tout un chacun peut trouver de l'excellente marijuana. Alors que je m'adossais dans mon fauteuil d'avion, je remarquais une hôtesse de l'air extrêmement belle. Elle avais de long cheveux blonds, étais très jolie et elle me souriait Š "Comment vous appelez-vous ? Qui êtes-vous ?" lui demandais-je. "Mon nom est Cyra. je suis votre compagne de rêve." Répondit-elle ; et je viens avec vous". A ce moment je ressentis la même chose que quand j'ai gagné un compagnon de rêve Š Comme si Cyra avait deviné ce que je voulais qu'elle fasse, elle écrivit son nom sur un bout de papier. Je lui demandai combien font onze et onze. elle hésita puis me dis "141". un petit moment se passa avant que je réalise que la réponse était fausse. Puis je me rappelai mon but premier pour ce rêve et je décidai de poursuivre mon voyage avec Cyra Š"
Au réveil l'étudiant regarda le nom de Cyra dans un dictionnaire spécialisé et trouva à sa grande surprise que 'Cyra' (la forme féminine du mot grec 'Cyrillus') signifie "celle qui appartient au seigneur" ou "celle qui est dédiée au seigneur". Le rêveur n'avait jamais entendu les mots 'Cyra' ou 'Cyrillus' auparavant.


TROUVAILLES ADDITIONNELLES

Suit un bref récit sur les trouvailles qui découlent de notre investigation en général et qui ont un impact important sur la question de la conscience. La capacité d'apprentissage des personnages de rêve, un sujet à peine effleuré, sera aussi discuté.
Les personnages de rêves se montrent extrêmement ingénieux quand il s'agit d'être plus malin que le moi de rêve. Si quelqu'un essaie, par exemple, de les clouer sur place en les fixant du regard, il essayeront d'éviter le regard du moi de rêve— en faisant des mouvements oculaires saccadés, en mettant un masque, ou en éteignant la lumière. Les personnages de rêves récurrents se comportent souvent comme si ils avaient appris quelque chose de leurs expériences des rêves passés. Si ils avaient été regardé fixement dans un rêve antérieur , il est probable qu'ils apparaîtront avec un masque au début du rêve suivant ou utiliseront une autre échappatoire.
Il est aussi remarquable que, bien que certains personnages de rêve essaient de dissuader le moi de rêve dans la phase prélucide qu'il est en train de rêver, d'autres font vraiment en sorte qu'il reconnaisse qu'il rêve. Ce n'est pas seulement en accord avec l'hypothèse que certains personnages de rêve semblent avoir une conscience, mais qu'en plus ils paraissent devenir lucide avant que le rêveur ne le soit. Dans ce contexte, un autre phénomène intéressant est qu'il est possible de s'arranger pour rencontrer un personnage de rêve dans un rêve futur, bien que le cas soit rare. Dans un précèdent article (Tholey, 1985), j'ai cité un exemple d'un personnage de rêve lucide apparaissant dans un rêve normal et provoquant la lucidité du le moi de rêve. Il fut aussi observé que certains personnages de rêve semblent se souvenir de rêves antérieurs et sont même capables de fournir au moi de rêve des informations correctes sur le passé du rêveur (à l'état de veille) que le rêveur lui-même a oublié. Si on demande à un personnage de rêve si il a une conscience propre, on peut obtenir une réponse similaire à celle-ci : "Je suis sûre que j'ai une conscience, mais je me demande si vous en avez une, pour me poser une question aussi stupide!".
Pour déterminer si un personnage de rêve a une conscience propre, nous avons aussi développé une méthode qui fait participer le 'moi profond' du moi de rêve qui sort de son corps et entre dans le corps d'un autre personnage de rêve. Je pense que par cette méthode le moi de rêve expérimente directement la conscience d'un autre personnage de rêve, en particulier les pensées, les émotions et les buts de l'autre personnage de rêve. Pour illustrer "l'entrée dans un autre personnage de rêve" nous incluons un exemple donné par une jeune fille qui en rêve rencontre un jeune homme.
Exemple 11— "Tout d'un coup je sus que je rêvais Š Ce fut alors que je devins consciente de mon esprit, c'est-à-dire, de la part de moi que je conçois comme mon 'moi'. Le détachant de mon corps et le faisant flotter dans cet état incorporel, je fus capable d'utiliser tous mes sens pour m'orienter, je veux dire, voir, entendre, sentir, etc. Après que j'eu quitté mon corps, je le voyais toujours debout là-bas, faisant des trucs bizarres et parlant. En d'autres termes, on ne pouvait pas dire en regardant mon corps du dehors que je n'étais plus à l'intérieur. Alors je flottai jusqu'au garçon et me glissai dans son corps. Le faisant, j'eu la sensation que je prenais le contrôle de toutes ses fonctions vitales et de sa motricité Š je vis à travers ses yeux, je vis mon corps en train d'agir d'une certaine manière. Je vis aussi son esprit, sa conscience, je le vis penser, sans être capable de me souvenir comment cela arriva Š je vis comment lui me percevait, l'effet que je lui faisais et les sentiments qu'il avait pour moi Š" (Tholey, 1988, pp.283-284; pour d'autre exemples voir Tholey et Utecht, 1987).


CONSEQUENCES PRATIQUES POUR LA THERAPIE

Si les découvertes de notre enquête sont vus comme un tout, il est nécessaire de mettre l'accent sur les points suivants : bien que les performances en arithmétique des personnages de rêves ne soient pas meilleures que celles des débutants de l'école primaire, au moins certains d'entre eux sont capables de remarquables exploits cognitifs dans d'autres domaines. Dans d'autres enquêtes, nous voulions aussi découvrir des zones de réussites dans lesquelles les personnages de rêves ont complètement échoué, mais nous n'avons pu en découvrir aucune en tant que telle.
Bien que nous n'ayons pas particulièrement souligné ce point, il peut être clairement perçu à travers les exemples donnés ici, que les personnages de rêve agissent comme s'ils avaient des intentions et des sentiments personnels. En conséquence, d'un point de vue empirique, nos enquêteurs ont jusqu'ici semblé conforter plutôt que démentir l'hypothèse selon laquelle les personnages de rêve ont une conscience propre.
Bien qu'il ne soit pas possible de prouver cette hypothèse sans qu'un doute subsiste, nous avons conclu, sur la base de nos découvertes, que pour des raisons pratiques, les personnages de rêves doivent autant être pris au sérieux que s'ils avaient une conscience propre. Il s'ensuit que personne ne devrait recourir à l'agression afin de résoudre un conflit avec un personnage de rêve hostile mais devrait discuter le sujet de manière franche. Si une telle méthode est utilisée, les personnages de rêve agressifs sont souvent préparés à régler leur dispute avec le moi de rêve pacifiquement (Tholey, 1988). Si cela peut être fait, il peut en résulter un arrêt immédiat à la fois aux cauchemars et aux symptômes d'anxiété névrotique de l'état de veille.
Que signifie ceci ? Fondamentalement, nous pourrions dire que l'apparition d'un personnages rêve hostile ou menaçant peut refléter, sous une forme symbolique, un conflit psychologique interne. Le personnage menaçant est souvent la personnification d'un sous-système de la personnalité, 'dissocié', 'réprimé' ou 'isolé'. Le fait d'ouvrir un dialogue avec le personnage du rêve paisiblement entraîne une communication entre le système originellement isolé et d'autres sous-systèmes et finira par l'intégrer à la personnalité globale (Tholey, 1988). Notre sentiment actuel est que la technique décrite ci-dessus d'entrée du 'moi profond' dans le corps du personnage de rêve est plus efficace que la technique du dialogue avec le personnage de rêve, mais qu'elle demande souvent plus d'entraînement.
Une fois que des sous-systèmes de la personnalité deviennent isolés, le grand danger est que ceux-ci absorbent de plus en plus d'énergie sous l'influence de continuelles expériences désagréables et que cela conduise à une dissociation névrotique de la personnalité.
Dans des cas extrêmes, il peut se produire une division en personnalités partielles qui peuvent, à leur tour, contrôler la motricité, y compris le comportement verbal et l'expression ainsi qu'il apparaît dans le cas des personnalités multiples. Dans un article antérieur (1985), je soulignais que, même dans les cas de désordres si graves, un dialogue constructif avec le thérapeute et les personnalités partielles peuvent conduire à un succès extraordinaire. J'ai aussi souligné une importante différence entre de tels dialogues etc eux qui ont lieu entre le moi de rêve et les personnages de rêve, précisément parce que dans les cas de désordres graves, le dialogue est conduit par le thérapeute qui a préalablement hypnotisé le patient. Peu de temps après, j'ai lu un article de Salley (1985) qui démontrait que le travail de rêve peut aussi être efficace dans le traitement des personnalité multiples. Son explication étaye l'hypothèse selon laquelle les sous-systèmes de la personnalité qui sont normalement isolés les uns des autres peuvent se rapprocher de manière dynamique au cours du rêve (voir aussi Lewin, 1936). Dans les rêves lucides, ce contact peut être augmenté et devenir plus solide via le dialogue avec les personnages de rêve. Le travail en rêve lucide, comparé au travail en rêve non lucide, est, donc, plus à même de guérir plus tôt et plus souvent et pas seulement les patients névrotiques. (Tholey, 1988) mais aussi les patients avec des personnalités multiples.


SUGGESTIONS POUR DE FUTURES EXPERIENCES
Nous avons développé une série d'expériences supplémentaires d'enquêtes psychophysiques concernant la conscience des personnages de rêves et nous avons déjà commencé ces expériences. En conclusion, cependant, nous voudrions donner quelques détails sur la possibilité d'autres d'expériences psychophysiques. LaBerge (1983) a montré que durant le rêve lucide, un changement analogique se produit sur l'EOG quand le moi de rêve commence une nouvelle activité, de même qu'on l'observe à l'état de veille.
L'étape logique suivante serait d'enquêter aussi si des changements analogues se produisent quand les autres personnages du rêve changent d'activité (de manière idéale, le moi de rêve restant engagé dans la même activité).
Dans un travail antérieur (Tholey, 1977), j'ai indiqué que le moi de rêve peut être capable de donner des informations au 'monde extérieur' via les mouvements oculaires et les tracés EOG. (Cette supposition fut prouvée plus tard).Cela nous conduit à nous demander si les autres personnages du rêve sont aussi capables de communiquer avec le 'monde extérieur'. Si, par exemple, dans le cas de personnalités multiples, les différentes personnalités partielles sont capables de contrôler la motricité, il est alors possible pour des personnages de rêves différents de contrôler des paramètres physiologiques comme l'EOG.
Des découvertes phénoménologiques semblent aussi renforcer cette possibilité. Dans l'article auquel je viens juste de me référer, j'attirais l'attention sur le fait que la fixation du regard par le moi de rêve entraîne généralement l'éveil du sujet. Dans des expériences en cours, il est apparu que, quand des personnages de rêve demandent expressément au moi de rêve de les fixer du regard, cela amène aussi le réveil du sujet.
Des expériences psychophysiques sont nécessaires pour prouver ceci définitivement. A ce jour, nous utilisons un appareillage qui a été conçu pour l'induction du rêve lucide. Avec cette machine, une 'communication' bilatérale entre le moi de rêve et l'appareil est possible. En d'autres termes, le moi du rêve peut envoyer des signaux à l'appareil via l'EOG et l'appareil peut — après un temps de latence— renvoyer certains signaux en réponse : les signaux étant en deçà du niveau requis pour réveiller le sujet. Nous travaillons actuellement à améliorer l'appareil afin de savoir définitivement si les autres personnages du rêve peuvent, ou non, envoyer des signaux au 'monde extérieur'.
Paul Tholey

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