LES REVES ASSOCIES AU REVE LUCIDE




L'étude de journaux de rêves comprenant, entre autres, des " rêves lucides " (rêves au cours desquels le rêveur sait qu'il rêve) m'a rapidement amené à constater que certains rêves non lucides leur sont étroitement apparentés. Toutefois, cette constatation n'émerge que sur la base d'un ensemble d'éléments qui, pris séparément, n'indiquent pas cette relation. Il faut donc une vigilance particulière pour se rendre compte que ces rêves forment une catégorie à part, catégorie à laquelle j'ai donné, depuis 1985, le nom de " rêves associés " dans les méthodes que j'ai mises au point pour divers groupes de rêveurs (1). Mais comment les distinguer et quel intérêt cette catégorisation présente-t-elle pour le rêveur ou pour le chercheur ? Un bref aperçu sur les types de rêves associés les plus faciles à mettre en évidence, va nous permettre de répondre à ces questions.

I. QUELQUES FORMES DE RÊVES ASSOCIÉS


A. VOL

Parmi ces rêves, les plus célèbres sont probablement les rêves de vol. Toutefois, ils ne présentent rien de particulier par eux-mêmes. Patricia Garfield note qu'ils " se produisent assez fréquemment chez le rêveur ordinaire (2). Une équipe de chercheurs a étudié le contenu des rêves rapportés par des étudiants du Kentucky et de Tokyo. Environ 39% de ces deux groupes d'étudiants ont déclaré avoir fait l'expérience de rêves de vol ou de lévitation " (3). Le rêve de vol n'a donc en soi rien d'extraordinaire.
Ce qui a attiré l'attention des chercheurs, c'est le rapport particulier qu'il entretient avec le rêve lucide. Nombreux sont les rêveurs qui se sont rendu compte que leur lucidité onirique (c'est-à-dire leur conscience de rêver) survenait au cours de tels rêves (ainsi pour van Eeden " la sensation de voler provoque souvent le rêve lucide lui-même et l'accompagne tout le temps " (4)) ou encore que sa première apparition est conditionnée par le vol onirique. Même quand ce rapport n'est pas essentiel, c'est-à-dire lorsque la lucidité n'est pas causée par le vol, ce dernier joue au moins un rôle secondaire comme dans le premier rêve lucide de van Eeden au cours duquel l'observation critique de l'environnement déclenche la lucidité pendant le vol :

J'eus un premier aperçu de cette lucidité dans le sommeil en juin 1897, de la manière suivante : Je rêvai que je flottais au-dessus d'un paysage aux arbres dénudés, sachant qu'on était au mois d'avril. Je remarquai que la perspective des branchages changeait d'une façon tout à fait naturelle, et je me fis, tout en dormant, une réflexion à ce sujet. Je me dis que jamais mon imagination ne serait capable d'inventer ou de fabriquer une image aussi complexe que cette perspective mouvante, faite de petites brindilles perçues au fur et à mesure de mon déplacement aérien (5).


Van Eeden est probablement le premier rêveur lucide à avoir mis nettement en corrélation le vol et la conscience de rêver mais, pour cette même raison, ce rapport n'apparaît pas directement dans le récit de ce rêve de la fin du siècle dernier mais dans le contexte de son article. Pour les rêveurs ultérieurs, ce rapport fera figure d'évidence. Ainsi, Patricia Garfield remarque dans un ouvrage publié en 1974 que " sur mes quatre rêves lucides récents, deux furent précédés, au cours de la même nuit, par des rêves de vol non lucides " (6). Cette " préparation de la lucidité par le vol " est facile à saisir dans le rêve suivant :

[Š] Sur le seuil de la porte je fais une cabriole acrobatique sur les mains - moi-même étonné de pouvoir le faire - puis plusieurs autres sur la petite pelouse qui se trouve dans la cour.
Le vieux savant et sa fille se sont assis sur un banc au soleil. Je leur dis : "Vous avez vu ? Je suis Windman le justicier." En même temps, je fais entre mes dents le bruit du vent. Pour leur montrer que c'est vrai, je m'envole et fais des évolutions aériennes dans la cour. Je suis vêtu d'un collant rouge et d'une grande cape de même couleur - c'est évidemment un des héros de bandes dessinées de "Strange". Comme je suis un super héro, il faut que je me rende utile en poursuivant des malfaiteurs. En voici un dans le couloir d'entrée de l'immeuble. Je le réduis à néant en quelques coups de botte et de poing. Il est tout ratatiné. Il faut que je m'en débarrasse d'une façon ou d'une autre. Sachant que je suis dans une bande dessinée, je déchire un morceau de papier sur lequel nous sommes représentés et je pousse le malfrat dans le trou. Cette idée me paraît si comique que je ris (réellement) et me réveille.
Le rêve est devenu lucide progressivement. C'est seulement quand je me suis envolé en Windman que la lucidité était complète. (7)


De façon générale le rêve de vol, bien que ne jouant pas toujours un rôle déclencheur de la lucidité, apparaît dans une sorte de " proximité onirique " du rêve lucide, à tel point que van Eeden peut affirmer, presque comme une loi onirique, que " si je vole en rêve pendant deux ou trois nuits, je sais alors qu'un rêve lucide est à ma portée " (8). Les rêveurs lucides accordent souvent beaucoup d'intérêt à leurs rêves de vol car une grande partie des rêves lucides sont des rêves de vol. Des corrélations de ce genre ont incité Mary Arnold-Forster et Celia Green à consacrer chacune un chapitre de leur livre au vol onirique.
Le rêve de vol non lucide est probablement le rêve associé le plus facile à repérer comme tel, puisque voler ou flotter sont des activités courantes en rêve lucide. Si certaines formes d'interaction particulièrement remarquables du rêveur lucide avec le décor onirique se manifestent dans des rêves non lucides, on peut supposer que, dans ces derniers cas, le rêveur n'est pas très éloigné de se rendre compte qu'il rêve :

" Je vole en serrant les poings. Je me bascule légèrement en avant en sautant, je vole à la verticale à un mètre du sol. Je me déplace très facilement partout. Je me dis que c'est la réalité, que je suis dans la réalité, que l'on peut voler dans la réalité " (9).


Ici le rêveur vole en rêve sans être conscient de rêver, ce qui nous suffit pour reconnaître un rêve associé. Mais cette activité onirique elle-même induit un état de conscience dans lequel la lucidité est potentiellement présente en raison d'une comparaison implicite avec l'état de rêve ("Je me dis que c'est la réalité, que je suis dans la réalité, que l'on peut voler dans la réalité").
Est-ce l'aspect fantastique de la situation (à l'état de veille la constitution biologique des hommes ne leur permet pas de voler dans les airs par leurs propres moyens) qui incite les rêveurs à prendre conscience qu'ils rêvent ou à réfléchir sur la réalité ? Pourtant bien des rêves étranges ne provoquent pas de telles interrogations. Il semble plutôt que le déplacement onirique joue ici un rôle plus structurel que contextuel. En effet la lucidité semble être un composante régulière de certains rêves de déplacement, tel celui effectué par rapport au corps.

B. SORTIE HORS DU CORPS

Le déplacement par rapport au corps apparaît comme un premier degré de déplacement car il part souvent du lit dans lequel le corps du rêveur est allongé. Le rêveur a donc un sentiment de décalage par rapport à un premier corps rêvé qui représente le corps physique et qui lui donne le sentiment de posséder deux corps, ce qui a amené certains rêveurs à penser qu'ils quittaient réellement leur corps. L'étude minutieuse de tels rêves tend toutefois à invalider cette idée, notamment lorsque le rêveur est pleinement lucide. En effet, si ces rêves sont complètement lucides dès le début, ce genre de confusion ne se produit pas.

" Rêve lucide : Je sens que mes bras, mes jambes, sont légers. Je m'efforce de m'élever et de sortir de mon corps. Je me retourne par rapport au lit et j'essaie d'ouvrir les yeux. Je vois un coin du lit tel qu'il doit être si je me suis retourné. Mais en même temps je vois la chambre telle qu'elle doit être si je ne me suis pas retourné. De toute façon je ne vois pas mon corps. Je recommence autrement : Je glisse à l'horizontale. Je risque de heurter la table si je ne passe pas à travers. Ça marche puisque je n'ai pas bougé physiquement. Mais voilà que je sens le sol dans mon dos.
" (fin de la lucidité) je me dis alors qu'en fait j'ai physiquement quitté le lit puisque je sens le sol. Je me redresse pour me recoucher.(Ce n'est que lorsque je me réveille réellement que je me rends compte que je n'ai pas bougé.) " (10)


Mais assez souvent, dans ce type de rêves, si l'on adopte la définition forte de chercheurs comme Paul Tholey - pour qui le rêveur lucide tranche parfaitement entre le rêve et la réalité de veille - la lucidité n'est pas complète, tout au moins au début. Faut-il alors dire qu'elle se manifeste par négation ?

" Š Discussion avec Jean-Luc qui parle dans mon dos. Il paraît que, pour les gens de tous les jours, c'est un acte horrible que d'être bigame. Or, les sorciers le sont. Quand on sait qu'ils l'ont été dans d'autres vies c'est encore plus horrible. Prenons l'exemple de Michel AŠ Tout cela passe plus ou moins comme un tableau devant mes yeux. Je vois des formes et des couleurs rouges qui pourraient évoquer des dessins (avec des diables ou l'enfer) assez épais et un peu abstraits (un peu comme la couverture du livre de Castaneda, Le Feu du Dedans, que je viens de finir). Jean-Luc continue. Il parle de Michel AŠ et du chef des sorciers. A ce moment je l'interromps en lui demandant le nom de ce chef (ou de Satan). Un silence me répond. J'ai posé une question qui trouble. La voix de Jean-Luc ne me parle plus dans mon dos. Devant moi les images bougent. Je vois des transformations indescriptibles. Des choses volent. Peut-être une sorte de double oreille ou de double triangle arrondi rose. Tout cela peut être menaçant sauf si je ne veux pas que ça le soit. Je laisse les images se dérouler.
" (Rêve de sortie hors du corps) Puis je me mets à tourner à l'intérieur de moi-même à toute vitesse, avec mon schéma corporel. (Je ne sais plus dans quel sens, peut-être de gauche à droite). Surtout ne pas s'arrêter. Ça fait un drôle de bruit dans ma tête. Bzzz bzzz bzzz. Finalement je m'élève du lit. Je suis dans ma chambre à Ulm, côté Erasme. Elle est plus grande que d'habitude. Je m'éloigne du lit en flottant. Mon corps n'est pas sur le lit. Cela ne m'importe pas beaucoup. Je pense à ce que j'ai dit hier à quelqu'un qui m'a posé la question, je n'arrive pas à voir mon corps.
" Je me rapproche de mon lit, prends trois pièces de monnaie quelque part et m'éloigne d'un coup de pied, tout en pensant que ce contact avec le lit me redonne de l'énergie par le fait que mon corps, que je ne vois pas, s'y trouve. Je vais jusqu'à la bibliothèque qui est en face et j'y dépose les pièces : deux à gauche, une à droite. Comme cela, à mon réveil, je pourrai vérifier si je les ai bien mises là. Même si dès maintenant ça ne fait aucun doute qu'elles s'y trouvent bel et bien. D'un côté il y a une pièce jaune (genre 10F) et une pièce blanche (genre 1F) et de l'autre une pièce blanche. Je n'y fais pas trop attention, persuadé que je vais les retrouver [Š] " (11).


Si l'on s'en tient à la définition forte de la lucidité, ce rêve comporte au moins une lucidité par négation puisque le rêveur sait qu'il est en état de sommeil. Cependant, cette lucidité ne serait ici que partielle (12) puisqu'il croit avoir réellement déplacé des pièces de monnaie dans un état hors du corps. Si ce type de rêves comporte généralement une part de lucidité, c'est sans doute parce que rêver que l'on quitte son corps symbolise fortement l'idée que l'on change d'état de conscience, et donc attire l'attention sur les deux états à la fois, celui que l'on a quitté et celui que l'on atteint. Ce phénomène s'explique probablement par l'ensemble des représentations qui montrent l'âme quittant le corps après la mort mais d'autres images jouent souvent en rêve un rôle analogue : s'endormir, prendre une drogueŠ et justifient oniriquement un changement de type de rêve ou d'état de conscience au sein du rêve. Ainsi, certains rêves de sortie hors du corps peuvent symboliser le passage d'un état à un autre au cours d'un rêve, selon un processus qui rappelle le rêve lucide développé à partir d'un autre rêve que le rêveur tient pour être la réalité.

" Je sors de mon corps et je regarde autour de moi. Je me dis que j'ai réussi, que je suis dehors. (En fait ce qui m'entoure n'est pas ma chambre habituelle mais une autre, sans doute du rêve précédent) " (13).


Dans ce rêve il y a bien lucidité par négation, puisque le sujet sait ne pas être éveillé, mais elle n'existe que par rapport à un rêve confondu avec la réalité de veille, ce qui la rend difficile à accepter parmi les degrés de lucidité - toujours si l'on s'en tient à la " définition forte " de la lucidité.
Dans d'autres circonstances le rêve ne comporte aucune part de lucidité, notamment lorsque la sortie hors du corps ne se fait pas à partir du lit mais est incluse dans un autre type de scénario, comme le montre ce rêve de Jane Roberts :

Je m'allongeai pour l'expérience et m'endormis aussitôt. Je connus alors un état confus dans lequel se mélangeaient des éléments oniriques. Je me sentis quitter mon corps avec quelque difficulté, mais j'étais quelqu'un d'autre, ou j'avais un autre corps, celui d'une jeune étudiante. Je sortis en courant d'une maison pour me trouver dans une cour aménagée en jardin. Je m'assis, puis je quittai ce corps pour me promener dans la cour. Il y avait là d'autres gens et je jubilais à l'idée que personne ne me voyait. Un jeune homme était près du perron. "Je suis sortis de mon corps" lui dis-je enfin. "Est-ce que vous me voyez ?" Il me dit que oui et ne parut pas du tout impressionné. Je rentrai donc dans cet autre corps. Je commençai alors à m'éveiller, et je compris qu'il s'était fait une sorte de projection, bien qu'elle fut peut-être contaminée par des éléments du rêve. Je décidai de me laisser retomber dans un état de somnolence, pour voir ce qui arriverait ensuite et contrôler ma conscience. (14)


Pour les tenants de la " lucidité forte ", la rêveuse ne serait manifestement pas lucide puisqu'elle ne se rend pas compte de l'incongruité qu'il y a pour elle à vouloir sortir du corps d'une autre personne - tout au moins par rapport à la vie de veille. Mais même dans ce cas, ce type de rêves ne peut pas être simplement classé parmi les " rêves ordinaires " car, malgré tout, on y trouve un rapport manifeste à la lucidité.
Parfois le rêveur signale expressément dans son commentaire qu'il n'est pas conscient de rêver.

" [Š] Š Plus tard dans le rêve je sors de mon corps à travers les cloisons de ma maison et j'aperçois ma maison d'en haut et le jardin (rêve non lucide) " (15).


Les rêves de déplacement par rapport au corps ne supposent donc pas toujours une lucidité par négation malgré la particularité de la situation onirique. Cette situation incite néanmoins fortement à supposer une lucidité potentielle et à ranger de tels rêves dans la rubrique des rêves associés.
On constate cependant que, dans l'ensemble, les rêves non lucides de déplacement par rapport au corps sont rares, à tel point que les sujets tendent à signaler ceux dans lesquels ils ne sont pas lucides, comme dans l'exemple ci-dessus, plutôt que l'inverse.

C. FAUX-ÉVEIL

Un autre type de rêve non lucide a attiré l'attention en raison d'un faisceau d'éléments divergents : le rêve de faux-éveil. Il n'a en lui-même rien de remarquable car rêver que l'on se réveille, alors qu'on continue en fait à dormir et à rêver, est un phénomène courant. Ce genre de rêve ne se réduit cependant pas à cette scène "ponctuelle" où le rêveur croit se réveiller d'un rêve, mais englobe tout rêve dans lequel, se croyant éveillé, il a conscience d'un rêve passé. En témoigne ce rêve de Roger Caillois :

" En mars 1955, je rêve que mon ami Daniel Dreyfus m'obtient une cabine sur l'un des cargos appartenant à la Compagnie où il travaille. La veille du jour où je dois m'embarquer, il me confie un pli confidentiel que je dois remettre à son correspondant de Folkestone, qui montera le prendre à bord. A l'arrivée du bateau, je lui remets donc l'enveloppe et il est assassiné presque aussitôt, sur la passerelle, dans la bousculade du débarquement. Une enquête est ouverte. J'élimine rapidement plusieurs hypothèses séduisantes mais trompeuses. Un raisonnement impeccable me conduit à la solution de l'énigme : l'homme n'a pas été tué à cause de la lettre que je venais de lui remettre, mais pour une tout autre raison, que de rigoureux recoupements m'avaient conduit à soupçonnerŠ
" Dînant quelques jours plus tard, comme il m'arrive de le faire, chez Gilberte et Daniel Dreyfus, je leur raconte ce rêve, plaisantant sur les curieux dangers courus par les agents de la maison où travaille Daniel, soulignant d'autre part mon don de résoudre au cours de mes rêves les énigmes criminelles les plus enchevêtrées. Je leur explique que le cas se présente souvent et qu'il m'arrive ainsi de vivre en rêve quantité de romans policiers. J'en débrouille alors la solution avec une sorte de génie, au milieu des péripéties toujours renouvelées d'une action dramatique à souhait. Malheureusement ce génie ne passe pas les frontières du songe et de l'illusion, de sorte qu'au réveil, je suis fort embarrassé pour reconstituer les complexités de l'intrigue et la chaîne de mes déductions. Ce prétendu génie n'est qu'une impression issue du rêve et que celui-ci impose au même titre que la suite d'images et de situations dont il est formé.
" J'en étais là de ma dissertation quand je me réveillai : ainsi le commentaire et, pour ainsi dire, la critique du rêve avaient fait partie du rêve même. Je crains que la chose ne paraisse invraisemblable " (16).


Cette dernière remarque laisse supposer que ce genre de rêve est peut-être moins commun que le rêve de vol puisqu'il étonne même des rêveurs "chevronnés". Il n'en reste pas moins qu'il peut se produire chez des rêveurs qui, comme Roger Caillois, n'ont jamais été lucides en rêve. Si les rêveurs lucides en sont venus à lui accorder une attention particulière, c'est qu'ils ont constaté empiriquement que, tout comme le rêve de vol, il se situe dans la " proximité onirique " du rêve lucide, ne serait-ce que parce qu'un rêve lucide qui ne se termine pas par l'éveil débouche fréquemment sur un faux-éveil ou que souvent le rêve de faux-éveil devient lui-même lucide.

Je rêve que je me fais mordre par mon python réticulé. Ensuite, je me retrouve dans une pièce en train de m'engueuler avec ma mère. Là je me dis, " c'est pas possible, je suis en train de rêver ", et je saute par la fenêtre pour aller profiter de mon rêve tandis que ma mère me crie après. Réveil. Je m'asseois au bord de mon lit. J'ai mal à ma main, là où le python m'avait mordue : je me dis : "ça c'est fort, je me fais mordre dans un rêve et quand je me réveille, j'en retrouve la trace, alors de deux choses l'une : soit c'est de l'auto-hypnose, soit je suis encore en train de rêver". Finalement, je décide que je suis encore en train de rêver. (Détail : dans ce rêve, je suis mouillée.) Réveil. Je me réveille sous la pluie et me dis : c'est normal que je me sois trouvée mouillée, j'étais en train de dormir sous la pluie.( Cette fois, je me suis bien fait avoir.) (17)


Ce genre de rêve présente toutefois une différence notable avec le rêve de vol : il ne peut se poursuivre lorsque survient la lucidité, car ce qui le caractérise est un état conscientiel particulier, celui de se croire éveillé d'un rêve. Or, ce n'est pas cet aspect conscientiel qui a attiré l'attention sur lui, mais bien la constatation de sa fréquence dans les environs du rêve lucide (18).
Il faut enfin remarquer - et cela nous permettra de conclure cette partie descriptive - que les rêves associés présentent souvent plusieurs des caractéristiques que nous avons isolées pour les besoins de l'analyse :

Je suis dans l'appartement de la Place de la Baleine, ma mère traîne dans le coin et je vais me coucher. Il doit être entre onze heures et minuit. A ce moment-là, Francis arrive tout nu et me fait des propositions que je n'accepte ni ne refuse. Je me laisse faire. Puis j'ai comme une impression de dédoublement, je me sens voler dans la cuisine, puis dans la rue. Là, je comprends que je suis en train de rêver. La rue est obscure mais j'évite les zones de lumière dont je pense qu'elles pourraient me réveiller. En fait, ma réalité de référence est le rêve précédent (Francis) et non la vraie réalité, mais le sentiment de lucidité n'est pas différent. Je traverse une sorte de fenêtre et j'arrive dans un paysage de neige à la fois très gris et très lumineux. Il y a une sorte de tempête de neige, je passe par-dessus un arbre gris et tout lisse bizarrement tordu, vole le long d'une route, je songe à me trouver un vêtement car je n'en ai pas et j'ai l'impression d'avoir froid. Je cherche quelqu'un pour lui piquer ses habits. Un surplus de lumière provoque un faux-réveil. Je me retrouve avec Francis. Je lui dis que je me suis endormie et que j'ai fait un rêve. Je le lui raconte et je lui demande si à son avis il pourrait d'agir d'un rêve éveillé. En effet, il est 1h du matin dans le rêve et je n'ai jamais fait de rêve lucide à cette heure-là. Il n'en sait rien. (19)


II. ÉTUDE DES RÊVES ASSOCIÉS


A. UTILISER LES RÊVES ASSOCIÉS POUR INDUIRE LA LUCIDITÉ ONIRIQUE

Les rêveurs ont donc repéré une série de rêves qui, sans être lucides, se situent dans la mouvance du rêve lucide, tels que les rêves de faux-éveil, les rêves de sortie hors du corps ou les rêves de vol.
Cependant, leur intérêt pour ces rêves associés au rêve lucide est principalement pratique. Il s'agit en effet le plus souvent de tirer parti de cette proximité onirique pour favoriser l'apparition de la lucidité. Car si ces rêves sont plus communs que les rêves lucides, et s'ils sont susceptibles de déboucher sur la lucidité, il semble assez logique de les utiliser comme une sorte de marchepied vers la conscience de rêver. Ces rêves comportant un "contenu" aisément représentable, ce qui n'est pas le cas pour un état de conscience tel que la lucidité, ils peuvent être induits assez facilement, ou tout au moins la fréquence de leur apparition peut être augmentée, comme l'a remarqué Mary Arnold-Forster :
" J'essayai de découvrir jusqu'à quel point j'étais capable d'exercer un contrôle conscient en induisant volontairement la récurrence d'un certain type de rêve. Je m'aperçus que si je pensais avec constance à un rêve, comme celui de vol, il ne tardait pas à se reproduire. En fait, le rêve ne reviendra pas exactement sur commande, mais après un court intervalle que je n'ai jamais pu mesurer : deux ou trois nuits, parfois davantage. Cela varie beaucoup selon la netteté de la concentration dans le mental éveillé. C'est surtout après avoir parlé de rêve de vol que je suis certaine de le retrouver très rapidement " (20).

Mais, en dehors de cet aspect utilitaire, il n'est pas sûr que les rêveurs lucides aient vu dans ces rêves non lucides une catégorie particulière méritant d'être étudiée de façon plus approfondie, ne serait-ce que pour mieux comprendre, par comparaison, la nature du rêve lucide. Ainsi, par exemple, c'est le rêve de vol lucide qui, dans la littérature, fait l'objet de descriptions minutieuses. Les rêveurs décrivent, souvent en détail, comment ils ont développé l'apprentissage et le contrôle du vol en raison de leur lucidité mais ne s'intéressent guère à l'évolution de leurs rêves de vol non lucides, comme si ces derniers étaient, par définition, "statiques".

B. RECENSER LES RÊVES ASSOCIÉS

On comprend alors que, considérés de façon empirique et utilitaire, les rêves associés au rêve lucide n'aient pas fait l'objet d'un recensement, pas plus que l'on ait cherché à déterminer s'ils formaient une classe à part parmi les rêves dits ordinaires. Or, la lecture des journaux de rêves de rêveurs différents montre qu'il en va bien ainsi : les rêves non lucides de vol, de faux-éveil ou de sortie hors du corps, pour ne prendre que ceux-là, sont beaucoup moins courants que les autres types de rêves non lucides. On pourrait presque établir une pyramide de fréquence des rêves dans laquelle les rêves lucides occuperaient le sommet tandis que les rêves associés viendraient immédiatement après. Si ces derniers doivent être rangés parmi les rêves ordinaires pourquoi sont-ils si rares ?
De plus, une échelle de fréquence peut également être envisagée au sein même de ces rêves associés : ainsi les rêves de vol et de faux-éveil reviennent plus souvent que les rêves de sortie hors du corps ou que les rêves simultanés (rêves différents qui se produisent en même temps pour la conscience du rêveur).
Par ailleurs, indépendamment de leur fréquence, les rêves associés présentent souvent des aspects conscientiels remarquables dont l'étude devrait s'avérer fructueuse pour la compréhension du fonctionnement de la conscience onirique et son développement (s'il s'agit d'un développement) vers la lucidité. Le rêve de faux-éveil en constitue un exemple flagrant puisqu'il se caractérise en rêve par un rapport à un rêve précédent. Or, il est difficile de ne pas s'apercevoir que sa situation conscientielle présente souvent des analogies de structure avec la lucidité onirique : ainsi il équivaut à l'inverse de ceux des rêves lucides dont la conscience de rêver s'établit non par rapport à l'état d'éveil mais par rapport à un rêve précédent pris pour l'état de veille (21). Dans les rêves lucides de ce type, le rêveur est conscient de rêver alors qu'il prend le rêve immédiatement précédent pour l'état de veille, tandis que dans le faux-éveil il se croit à l'état de veille mais reconnaît le rêve précédent pour ce qu'il est.
De façon générale, aussi bien par leur fréquence et leur aspect conscientiel que par leur "proximité onirique", les rêves associés apparaissent d'emblée plus proches du rêve lucide que du rêve ordinaire. Ce qui a pu tromper dans l'évaluation que l'on en a fait jusqu'à présent, c'est que de tels rêves se trouvent aussi chez des rêveurs qui n'ont jamais eu l'expérience du rêve lucide. Il se pourrait cependant que les rêves associés soient des rêves lucides en puissance qui ne demandent qu'à "percer" à l'aide d'un entraînement approprié. L'examen de la littérature indique d'ailleurs que le rêveur coutumier des rêves associés apprend plus vite à induire la lucidité que celui qui ne connaît que des rêves ordinaires. Ainsi ces rêves associés empiriquement constatés devraient être étudiés en eux-mêmes.

C. CLASSER LES RÊVES ASSOCIÉS

Néanmoins, si l'on se contente d'un telle conclusion, cette étude risque de dissimuler d'autres types de rêves associés moins remarquables et dont le rôle ne peut être mis en évidence que par l'analyse. Si en effet on adopte une autre attitude et que l'on recherche systématiquement dans les rêves non lucides ceux qui présentent des caractéristiques conscientielles particulières, on se rend compte que d'autres types de rêves méritent d'être pris en considération.
L'examen de l'ensemble des rêves d'un rêveur lucide montre en effet que, si certains rêves non lucides ont un caractère frappant qui a été à l'origine de leur mise en évidence dans la littérature, il n'en reste pas moins que, dans la plupart des cas, ces rêves s'inscrivent eux-mêmes dans une catégorie plus générale dont le rapport avec la conscience de rêver peut être mis en évidence.
Le cas du vol lucide est suffisamment spectaculaire"repérer aisément les rêves associés où le vol se manifeste et qui en cela se détachent nettement de la masse des rêves ordinaires. Cependant, si dans un premier temps cet aspect spectaculaire nous aide à reconnaître les rêves associés, il risque, en attirant trop l'attention, de nous dissimuler l'existence d'autres formes de déplacements oniriques présentes lors de la lucidité mais plus discrètes et qui pourraient tout autant nous aider à repérer des rêves associés. Un des moyens de les déceler est de chercher la catégorie immédiatement supérieure à laquelle appartient l'élément spectaculaire que l'on examine.
C'est en effet l'aspect fantastique du rêve de vol qui lui a valu d'être catégorisé à part des autres rêves ; mais, si l'on se rappelle, comme nous l'avons vu plus haut, que le vol n'est qu'une façon pour le rêveur de se déplacer, on s'aperçoit qu'il ne représente qu'une part restreinte des déplacements extraordinaires que comporte la presque totalité des rêves lucides. La recherche en ce domaine ne saurait donc se limiter au recensement et à l'étude des types de déplacements possibles en rêve lucide mais doit dégager les grands traits qui permettent de reconnaître les rêves associés, ces derniers pouvant eux-mêmes éclairer les rêves lucides dans la mesure où ces capacités y sont utilisées d'une façon "naturelle" (sans influence de la lucidité).
Quant au faux-éveil, la lecture d'un corpus de rêves montre qu'il appartient à une catégorie plus large : celles des rêves dans lesquels il est question d'autres rêves, et dont l'examen fait apparaître qu'ils sont eux aussi dans la "proximité onirique" du rêve lucide, même si leur aspect moins spectaculaire n'a guère attiré l'attention sur eux.
Une autre attitude que l'examen purement empirique doit donc être adoptée pour approcher ces rêves associés. Elle devrait permettre tout autant de découvrir les différents types de rêves associés que de les analyser.
Cependant, elle doit pour cela disposer d'un critère au moins indicatif. Ce critère dépend d'abord, nous l'avons vu, des caractéristiques du rêve lucide lui-même dans la mesure où il sert de point de comparaison.
D'un côté, si le rêve lucide présente des éléments de contenu rarement rencontrées dans les autres types de rêves, leur apparition en dehors de la lucidité est l'indice qu'il s'agit de rêves associés : de la sorte peuvent être remarqués les rêves de vol et de sortie hors du corps mais aussi les rêves multiples ou les rêves de doubles qui, bien que peu commentés, n'en sont pas moins rares.
D'un autre côté, le rêve lucide se caractérisant avant tout par la conscience de rêver, les rêves qui comportent l'idée de rêve doivent être examinés tout particulièrement. Les rêves de faux-éveil en font certes partie, mais aussi ceux mettant en scène des personnages oniriques racontant leurs rêves ou traitant du rêve en général.
Ainsi les deux moyens de rechercher les rêves associés correspondent aux deux caractéristiques marquantes des rêves lucides : l'état de conscience et le contenu particulier du rêve.
Il se peut, malgré tout, qu'en procédant ainsi nous passions à côté d'autres catégories de rêves dont l'analyse présenterait un intérêt pour la compréhension du rêve lucide. Cependant, on peut penser qu'il en sera pour ces rêves comme pour d'autres examinés ailleurs (22) et dont l'existence s'est fait pressentir au travers de constatations empiriques ; l'étude des rêves associés entreprise de façon plus approfondie permettra sans doute, à son tour, d'en révèler l'existence et les critères distinctifs.
Une telle étude devrait également permettre de compléter celle du rêve lucide en mettant en lumière des aspects oniriques qui n'apparaissent pas immédiatement à sa lecture. Je reviendrai donc sur ces questions de façon plus approfondie au cours de prochains articles où seront étudiés l'état de conscience du " rêveur associé " ainsi que l'environnement onirique du rêve associé.

(1) Voir, par exemple, " L'induction de la lucidité onirique au coup par coup ", Bulletin du Transpersonnel, n°38, avril 1995, plus particulièrement les pages 13 et 14.
(2) C'est-à-dire chez le rêveur non lucide.
(3) P. Garfield, La Créativité onirique, du rêve ordinaire au rêve lucide, La Table Ronde, Paris, 1983, p. 150.
(4) Dr. Frederik van Eeden, "A Study of Dreams", Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. 26, 1913, p. 449, traduit dans Garfield, op. cit., p. 150.
(5) Ibid., p. 446.
(6) Garfield, ibid.
(7) Sujet n°10, Windman le justicier, 24 décembre 1985, dans Christian Bouchet, " Corpus de rêves de vol - catégorisation heuristique de 80 récits ", Forum Transdisciplinaire n°1, 1995, pp. 75-109, où l'on trouvera le récit complet de ce rêve. Voir notamment la section " Vol et lucidité oniriques " pp. 100-109. J'ai souligné ici les passages indiquant le rapport entre l'affranchissement de la pesanteur et la conscience de rêver.
(8) Van Eeden, op. cit., traduit dans Garfield, ibid.
(9) Sujet n°17, sans titre, janvier 1990, dans : Christian Bouchet, Le Rêve lucide, Description et analyse du phénomène à partir d'expériences de rêves lucides spontanées ou préparées, Essai d'interprétation mise en évidence des implications théoriques des procédés et techniques mis en oeuvre, Doctorat d'État, Université de Paris IV, Paris, 1994.
(10) Sujet n°16, "Positions", jeudi 30 mai 1985, ibid.
(11) Idem, "Sorciers bigames" suivi de "Rêve astral dans l'aile Erasme", mercredi 17 avril 1985, ibid.
(12) J'ai proposé ailleurs une définition différente de la lucidité onirique, élaborée après l'étude d'un corpus. Voir à ce sujet l'ensemble du volume 1 de Christian Bouchet, Le rêve lucideŠ, op. cit.
(13) Sujet n°16, sans titre, jeudi 11 avril 1985, ibid.
(14) Jane Roberts, Seth - Dreams and projection of consciousness, Bantam Books, New York, 1989, p. 296.
(15) Sujet n°17, sans titre, 7 janvier 1991, dans : Christian Bouchet, Le Rêve lucide, op. cit.
(16) Roger Caillois, L'incertitude qui vient des rêves, Idées/Gallimard, 1983 (première édition : 1956), pp. 72-73.
(17) Florence Ghibellini, rêve du 8 octobre 1992 : " Faux réveils ". Communication personnelle.
(18) Pourtant l'aspect conscientiel ne peut pas être négligé puisqu'il arrive que le rêve soit, en rêve, conscient d'être conscient sans pout autant savoir qu'il rêve. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.
(19) Florence Ghibellini, rêve du 15 juin 1994 : " Tempête de neige ". Communication personnelle.
(20) Mary Arnold-Forster, Studies in Dreams, The Macmillan company, New York, 1921, p. 40.
(21) Voir plus haut le récit du sujet n°16, rêve du 11 avril 1985.
(22) Christian Bouchet, " Corpus de rêves de vol -Catégorisation heuristique de 80 récits ", Forum transdisciplinaire, n°1, 1995, pp. 75-109.


Revenir au sommaire