L'état intermédiaire :


expériences de dédoublement entre veille, rêve et méditation

par
Florence Ghibellini
Article paru dans Rêver n°3



Dans le présent article, mon propos n'est pas de nier l'existence d'expériences distinctes qui pourraient être vécues dans des états proches du sommeil, mais de rejeter la catégorisation qui en a été faite : les catégories de "voyage astral", "OBE" et "rêve lucide" me semblent en effet artificielles, elles ont été proposées par des individus souvent dénués de sens critique, et visiblement peu soucieux de rigueur intellectuelle. Les critères de différenciation généralement invoqués ne tiennent pas debout - ce qui ne signifie pas qu'il soit impossible d'en trouver : par exemple, je ne connais pas d'explication scientifique satisfaisante des phénomènes de bilocation (le sujet est vu hors de son corps par un tiers)*. Et le fait que je n'aie ni les moyens ni le matériel pour prouver ce genre de phénomènes ne m'empêchera pas de reconsidérer le problème : y a-t-il une seule expérience, ou plusieurs types d'expériences, qu'un point de vue critique mais un peu hâtif, cette fois, regrouperait de manière indifférenciée sous le vocable de (au hasard) "rêve lucide" ? Et si c'était le cas, qu'est-ce qui nous permettrait de les caractériser, d'un point de vue phénoménologique, en dehors des sensations subjectives de "réalité", de "clarté" ou d'"étrangeté", irrecevables du point de vue du chercheur sérieux ?

Deux grands types de rêves lucides.
Tous les rêveurs lucides chevronnés savent qu'il existe deux grands types de rêves lucides :
1- les rêves lucides "normaux", qui résultent de l'apparition de la lucidité au cours de rêves nocturnes classiques, et qui présentent des caractéristiques et imageries à peu près semblables (maisons/villes, montagnes/mer, forêts/plantes, ciel, gens/ animaux, scénario, haut/bas etc...)

Rêve 1. 05/04/95.
Je marche sur une sorte d'esplanade et j'entends soudain une sirène. Je me dis :" Tiens, c'est la sirène du premier mercredi du mois, et ça c'est un rêve. Tâchons de ne pas nous réveiller." Par chance, ça s'arrête assez vite. J'appelle Stiennon. A la seconde, il apparaît au coin de l'immeuble.
- Salut je suis venu te voir.
- Juste au moment où je t'ai appelé ? Quelle coïncidence !
On commence à marcher. " Tu permets que je puisse vérifier que c'est bien toi ? Tu vas me donner par exemple ta date de naissance." Il me donne une date en 96. "Ecoute, c'est pas sérieux. Alors quoi ?" Il commence à marmonner quelque chose puis s'envole comme un voleur par-dessus un pont d'autoroute et se transforme en petite lumière.
- Mystificateur !
J'essaie de le poursuivre, mais il finit par s'évaporer.

2- Les rêves lucides que l'on pourrait appeler "de dédoublement", qui apparaîssent fréquemment à la suite d'un endormissement, ou d'un faux-éveil : ce sont des rêves au cours desquels le rêveur a la sensation de quitter ou d'avoir quitté son corps, qui se situent dans le lieu où dort le rêveur, disons, dans un périmètre de quelques mètres autour de son corps (il y a peu d'exceptions), avec un visuel que le rêveur reconnaît comme étant celui du lieu où il s'est endormi (image du lieu ou image mimant le lieu).

Rêve 2. (dans ce rêve j'ai souligné un certain nombre d'éléments caractéristiques, dont il sera discuté plus loin)
11/07/94.La créature
Endormissement conscient. Je sors de mon corps et m'asseois sur mon lit pour réciter des mantras. Au bout d'un certain temps, un truc bizarre me prend, comme un champ d'électricité statique et me déplace. Je vois mes mains, qui sont d'un blanc bizarre. Je me demande si je ne suis pas dédoublée, mais je ne vois pas mon corps sur le lit. Quand j'essaie de traverser le plafond, tout redevient noir. Je reprends la récitation, mais avec OM, et ça reprend. Je suis complètement électrisée, en plus ça fait des noeuds dans le dos. Je me mets debout, ça circule un peu mieux, mais à chaque fois que je récite, j'ai l'impression d'être en surchage. J'ai deux courants qui passent de chaque côté de la colonne et ça me fait deux barres sur le milieu du dos, là où je me suis coincée l'autre jour. Le courant m'empêche d'avoir toute liberté de mouvement, la surcharge paralyse. J'essaie de voir de nouveau mes mains, une luminescence verte apparaît devant mes yeux. J'entends comme un reniflement dans le noir, sur ma gauche, j'ai l'impression qu'une créature malsaine est en train de s'approcher de moi mais sans m'avoir encore vue. Je rentre dans mon corps. Si je ne bouge pas, la sensation d'électrisation demeure, elle disparaît seulement des endroits que je bouge. Elle peut rester même les yeux ouverts.

Ce sont de telles expériences, bien sûr, qui ont donné naissance à toute la littérature concernant le voyage astral et les OBE, et que je désignerai dans cet article par le terme générique "d'état intermédiaire". Mon objectif est ici de les étudier, tels qu'elles se présentent, sans discuter de leur "subjectivité" ou de leur "objectivité" et pour autant qu'elles puissent se distinguer des rêves, c'est-à-dire pour autant que l'expérimentateur ne s'éloigne pas de son corps - car c'est là la clé, ce dont personne ne s'est visiblement avisé jusqu'à présent : si les scientifiques ont si peu pris au sérieux les occultistes jusqu'à présent, c'est parce que le phénomène n'a jamais été étudié là où il se différencie réellement du rêve, mais toujours là où il a une fâcheuse tendance à lui ressembler, c'est-à-dire loin du corps.

Imbrication des deux états.
Première remarque : un rêve normal, vécu dans un même cycle qu'un état intermédiaire, sera toujours imbriqué dans ce dernier. On se réveille du rêve pour se retrouver dans l'état intermédiaire (faux-éveil), et on "passe" de l'état intermédiaire au rêve par éloignement du sujet de sa chambre ou surimposition des images du rêve (dont nous verrons plus loin les raisons).

Rêve 3. (Passage de l'état de veille à l'état intermédiaire et ensuite au rêve).
30/09/92.
Je sors de mon lit en rampant mais le rêve est difficile à fixer. Je me laisse tomber en arrière comme spécifié. Ensuite je tourne sur moi-même. Sensation très bizarre. Je réintègre cependant mon lit. Je recommence en sortant par la fenêtre. La rue a encore du mal à se fixer mais ça vient. Je me laisse tomber en arrière du haut d'une fenêtre et je recommence à tourner sur moi-même. Plus ou moins concluant. J'attrape une fille pour l'examiner, elle est bien consistante. Je me mets à voler, je sors de la ville, je suis un canal, traverse une sorte de banlieue et j'arrive jusqu'à la mer, d'un bleu intense. Je plonge dans l'eau mais je perds la vue et me réveille.

Dans le rêve suivant, c'est l'inverse, le rêve s'impose.

Rêve 4. 18/12/96
Je sors de mon lit, je fais zazen dans le décor de ma chambre, et je ne bouge plus. Bientôt, un paysage se met à défiler autour de moi, des branches d'arbres me frôlent, le rêve fait visiblement tout pour attirer mon attention.

En fait, il semble qu'une sorte de période de gestation soit nécessaire, une fois que l'on se trouve dans l'état intermédiaire, pour qu'un rêve se crée. Si on se précipite hors de sa chambre sitôt dédoublé, le rêve peut mettre une ou deux minutes à se créer. A l'inverse, si on y reste trop longtemps, ce sont les rêves qui viennent envahir la chambre, à tel point qu'il est extrêmement difficile de rester plus d'une ou deux minutes tranquillement dédoublé sur son lit. En relisant mes rêves, j'ai été effarée par le nombre de formule du genre : "je suis assise dans mon lit - le décor apparaît... brusquement, me voilà à tel endroit...".

Bref, toutes choses qui me laissent penser que l'état intermédiaire est en fait un état physiologiquement intermédiaire entre veille et rêve. Je dis bien, physiologiquement, car phénoménologiquement, il ne relève ni de l'un, ni de l'autre, ni d'un mélange. C'est un état à part entière, comme nous allons le prouver dans cet article. Mais, reprenons les choses par le début :

L'état intermédiaire : phase 1.
Dans sa thèse, Christian Bouchet écrit :
"L'induction naturelle du rêve lucide commence souvent à partir de ce qu'on pourrait appeler un "état intermédiaire". Il ne s'agit pas de la simple transition de la veille au sommeil et au rêve couramment décrite par les rêveurs (...), bien qu'elle présente un point commun avec elle : le sentiment de ne pas encore dormir et pourtant de ne plus veiller. (...) Au cours de la transition simple l'attention du sujet devient flottante, comme dans une rêverie éveillée ; dans l'état intermédiaire au contraire, le sujet reste parfaitement conscient. Du point de vue du sujet qui s'observe, "l'état intermédiaire" est un état dans lequel il pense ne pas dormir alors qu'il peut constater "en lui" des phénomènes qui n'appartiennent manifestement pas à la veille.

" Induction plus réussie que la veille, malgré une difficulté persistante à détendre la nuque. (La tête tend toujours à partir en arrière au moment vibratoire). Ces "vibrations", dont il n'est pas sûr que je les ressens, ne sont peut-être pas essentielles. Je vois qu'il y a surtout un état de tension à l'intérieur du cerveau (que j'ai rencontré parfois en méditant) dont la "force" tend à se communiquer au reste du corps. Si l'on veut, on peut avoir l'impression que cela vibre ou fourmille. A tort ou à raison, j'ai résisté à l'accélération de la respiration, la maintenant calme et longue.
" Les "tâtonnements" des mains étendues sont plutôt vaseux, c'est-à-dire que l'imagination ordinaire semble y tenir la place principale. Plus intéressantes certaines "gymnastiques" (lever les jambes et surtout se tourner sur un flanc puis sur l'autre. Là, j'ai vraiment l'impression qu'il se passe quelque chose d'inconnu.
" Après cela, j'ai constaté avec objectivité, mais aussi une certaine satisfaction, que j'avais l'impression d'être incapable de bouger. Je suis finalement arrivé à bouger ma main droite, avec "grésillement et étincelles". Ce n'était pas vraiment difficile, mais plutôt lointain " .

(...) Comment situer cet état, s'agit-il déjà de l'endormissement ? Il n'est guère possible de dire que le sujet "rêve", puisqu'il a conscience de son corps, le bouge même. C'est cet état qui appartient à la fois à la veille et au sommeil tout en conservant une pleine conscience que nous appelons ici "état intermédiaire". (...) Les éléments perceptifs de la vie de veille sont "suivis" par la conscience et ne semblent pas avoir subi de modification : les perceptions restent les mêmes (bruits extérieurs ou de la respiration, sensations physiques du lit et de la pression des couverturesŠ.). Simplement il y a des phénomènes "en plus" qui indiquent l'état intermédiaire. Et quand le sujet bouge, il peut se rendre compte à la fois qu'il n'est pas endormi et que ses perceptions étaient exactes, donc qu'il était bien éveillé. L'état intermédiaire n'est donc pas le sommeil, ou plus exactement il n'est pas le sommeil habituellement défini comme l'état dans lequel le dormeur est coupé de la vie de relation. (...)
En fait, l'état intermédiaire pose un problème de situation pour le chercheur car les sujets ne lui donnent pas un statut particulier mais le considèrent comme une sorte de frontière où deux domaines tendent à se confondre. Ils n'y voient pas un "état" à proprement parler, sont peu enclins à le définir et encore moins à l'étudier. On trouve en fait deux attitudes à l'égard de l'état intermédiaire. La première consiste, pour celui qui enregistre ses rêves lucides, à ne pas en tenir compte, parce qu'ils n'appartiennent pas au domaine du rêve, et donc à ne pas les noter. La deuxième consiste au contraire à inclure ces expériences dans le rêve et à ne pas signaler de ce fait ce qui les rend singulières. (...) Pour obtenir des récits d'états intermédiaires, il était donc nécessaire d'attirer l'attention des rêveurs sur ce point et il est possible que l'observation de son propre endormissement favorise leur émergence." (1)

Cependant, cet état où le sujet se situe entre la veille et le sommeil, expérimentant dans sensations de veille et de sommeil mêlées, ne me paraît être que la première phase de l'état intermédiaire, la "porte d'entrée" en quelque sorte, que l'on pourrait caractériser de la façon suivante :
- le sujet sent son corps physique, mais d'autres sensations viennent s'y mêler (paralysie, vibrations, courants électriques), indiquant comme la "formation" d'un second corps.
- Le "dédoublement" est possible, bien qu'il ne soit pas toujours effectif, et généralement partiel, en ce sens que la conscience se partage entre le corps dédoublé et le corps physique : le sujet doit faire des efforts de suggestion et d'imagination pour "sortir", et le réveil est toujours le risque majeur.
(on pourrait même distinguer une phase 1.1 où le sujet sent qu'il peut se détacher, avec beaucoup d'imagination et de difficultés, et une phase 1.2 ou le détachement est effectif et se produit parfois automatiquement, mais avec sensation simultanée du corps physique).

" Début de rêve lucide : Je sens un état caractéristique. Mon corps se lève tout seul, pris de vibrations (phase 1.2). Dans le noir je m'élève et me retourne sur les bras dans mon lit. Mais tout est encore noir et ça ne se concrétise pas en images et sensations nettes. Je décide de recommencer en levant la main droite. Elle est énergisée. Je commence le mouvement (mais cette énergie, ou ce mouvement, me réveille) " .(1)

- Le sujet n'a pas encore d'image nette de (ou mimant) ce qui l'entoure, il baigne dans le noir ou dans une vague luminosité. (Parfois, il peut néammoins voir une image de ce qui l'entoure avec une luminosité très réaliste (comme en rêve), quoique l'image soit très fuyante (mais je ne l'ai constaté que dans des sorties entièrement conscientes d'un bout à l'autre, c'est-à-dire provoquées par méditation).
- Il existe une variante de cet état qui favorise incroyablement la composition et les souvenirs musicaux : les morceaux sont "joués", et entendus avec la même clarté que des disques. Bien que ne connaissant rien à la composition, j'en ai personnellement essayé tous les genres : musique symphonique, piano, violon, rock, chant byzantin, ragas...
- Il n'existe pas de discontinuité entre cet état et l'état de veille. Pour m'en assurer, je me suis livrée des dizaines de fois à l'expérience suivante : à l'endormissement, compter de 1 à 10 avec une bouche imaginaire. Parfois, certains chiffres sont audibles, tandis que d'autres sont simplement imaginés. J'ai déterminé qu'il fallait qu'à peu près 5 chiffres sur 10 soient réellement entendus pour que le "dédoublement" commence à être possible (sans compter le fait que la récitation approfondit l'état), mais que pour être sûr de réussir son dédoublement, il était préférable d'attendre que tous les chiffres soient entendus (autrement dit que la désatténuation auditive soit complète - voir Claude Rifat, Rêver n°2, du Rêve conscient à la conscience). De même, on peut se dédoubler plus ou moins, avec toutes les gradations possibles.

L'état intermédiaire : phase 2.
Lorsque l'état intermédiaire s'approfondit, (ou au cours d'un faux-éveil, souvent à partir d'un rêve de vol) le sujet entre dans un nouvel état, que j'appellerais "phase 2", très différent de la phase 1. Dans cet état :
- Le rêveur est complètement dédoublé (même s'il peut avoir le sentiment d'être encore dans son corps physique), et perd la sensation simultanée de son corps physique : il peut sentir son corps physique alternativement avec son corps dédoublé, mais pas les deux ensemble. Cette alternance peut avoir lieu alors que le corps dédoublé est à plusieurs mètres du corps physique (selon sa propre appréciation).
- Son corps perçu ne ressemble pas à son corps physique, il peut être blanchâtre noirâtre, verdâtre, ou même à rayures !...
- Il a une vision nette qu'il interprète comme étant la chambre qui l'entoure et ses sensations sont parfaitement distinctes.

Rêve 6. 25/05/97
Faux-éveil. Brusquement, me voilà dans ma chambre, en train de me voir me dédoublant, me séparant de mon corps (Je me vois depuis les yeux de mon corps qui se dédouble). Image parfaitement nette. J'essaie de me réveiller pour savoir ce qui se passe, "ouvre une sensation" (comme on ouvre un oeil) dans le corps physique, constate que je suis bien dans mon lit, que tout va bien. Sans transition, je referme l'écoutille. La vision reprend exactement là où elle avait cessé, moi en train de me dédoubler. Je laisse faire.

Discontinuité entre l'état de veille et l'état intermédiaire phase 2.
Pour essayer de déceler une éventuelle continuité l'état de veille et cet état intermédiaire, je me suis livrée à l'expérience suivante : sachant que le rêveur dédoublé garde une conscience alternée de son corps physique dans la phase 2, il devait être possible quoique délicat de dédoubler une main tout en ouvrant les yeux physiques. Pourquoi juste une main ? Parce que le fait de se situer spatialement dans son corps physique devait rendre l'alternance plus facile. Mais comment, me dira-t-on, pouvais-je être sûre d'avoir ouvert mes yeux physiques et non mes yeux de rêve, dans la mesure où, dans la phase 2, on n'est pas simultanément conscient du corps physique ? En utilisant le "protocole" suivant :

1 - s'assurer en fait qu'on est bien en phase 2, et y rester.
2 - dédoubler une main.
3 - ouvrir les yeux.
4 - regarder sa main.
4bis (subsidiaire) - essayer de toucher sa main physique avec sa main dédoublée.
5 - rentrer sa main sans fermer les yeux.
6 - se réveiller sans fermer les yeux.
7 - sortir de son lit sans avoir fermé les yeux depuis l'étape 3.

Note : si ce genre de gymnastique est effectuée par erreur dans la phase 1, elle provoque irrémédiablement le réveil. En revanche, la phase 2 induit un état de sommeil tellement intense qu'il est parfois extrêmement difficile de se réveiller (rêve 8).

Résultats :
- On voit effectivement une substance là où sont censées se trouver les mains dédoublées : il s'agit d'une substance claire sur fond clair, comme emplie de petits courants transparents, et noire sur fond sombre.
- En touchant mes mains physiques (que je croyais sentir) avec mes mains dédoublées, j'ai constaté l'apparition d'une nouvelle paire de mains que j'appelle "mains grises", qui sont grises, caoutchouteuses et plus lourdes que les mains transparentes (voir compléments d'explication plus loin). En fait, c'était ces mains-là que je sentais simultanément, mais pas les mains physiques, qui elles étaient sous la couverture, et que je n'arrivais plus à retrouver dans le fouillis de mes six mains.

Rêve 7 26/06/95.
Je me dédouble entièrement, puis je reviens, j'ouvre les yeux et j'essaie de voir mes mains dédoublées, je les vois comme la fois précédente. J'ai une sensation de torsion au niveau de la colonne et dans la tête, là où mes corps se séparent. Je décide de toucher mes mains physiques. En fait je touche des espèces de mains grises et molles dans lesquelles j'ai une sensation cotonneuse désagréable, et j'ai simultanément l'impression que des mains me tirent les oreilles, c'est très déstabilisant. J'essaie ensuite de bouger mon oreiller, je ne tire qu'une espèce de tissu astral que je ne vois pas, dans lequel je commence à m'empêtrer, et je vois vaguement une poussière lumineuse. Finalement, je préfère me réveiller.

- La vision n'est pas une vision physique mais onirique : en effet, il existe un point où il est possible d'expérimenter l'alternance des deux, vision physique/vision onirique (de même qu'il est possible d'éprouver l'alternance des sensations kinesthésiques). La différence se situe au niveau de la luminosité. La vision onirique est à la fois plus "grise" et plus "électrique" ou "brumeuse".

Rêve 8. 02/97
Assise sur mon lit. J'écoute une musique. Soudain je trifouille je ne sais quoi avec le volume et le son devient sursaturé, insupportable. J'essaie de me réveiller, mais j'ai beaucoup de mal, et je reste finalement entre deux eaux. J'ouvre les yeux, et là, je vois alterner vision de veille/vision de rêve ! L'une est plus blanchâtre-grisâtre, et ça saute sans arrêt de l'une à l'autre.

- L'état de conscience expérimenté n'est pas la conscience de veille : il est caractérisé par un intense sentiment d'insécurité ( étrange alors qu'on est quasiment réveillé ). On ne souhaite qu'une chose : en sortir le plus vite possible, soit dans un sens, soit dans l'autre, et on éprouve la plus grande difficulté à réfléchir avec tout le sang-froid nécessaire.

Rêve 9. 21/06/95.
J'essaie de voir mes mains astrales avec mes yeux physiques. Je vois une ombre sur fond noir et des mains translucides sur fond clair. Je ne sais pas pourquoi, je suis inquiète.

J'ajouterais à cela que la faculté d'ouvrir les yeux dans l'état intermédiaire a été constatée par d'autres personnes ayant un conjoint en mesure de constater qu'ils dormaient les yeux ouverts : dans la plupart des cas, il s'agissait d'un rêve de dédoublement. En ce qui me concerne, j'ai pu constater une propension à ouvrir inconsciemment les yeux dans cet état - mais je le répète, le décor vu n'est pas le décor réel vu avec les yeux physique, bien qu'il mime invariablement le lieu où dort le sujet.

Cette série d'expériences semble indiquer une hétérogénéité des deux états de conscience, qui reste néammoins à prouver de manière plus nette. Quoiqu'il en soit, si l'état intermédiaire commence bien avec la phase 1, puisque le "dédoublement" y est déjà possible, la discontinuité réelle se trouve entre la phase 1 et la phase 2 (on peut retrouver le même type de discontinuité dans le rêve normal : dans les rêves légers, on peut avoir conscience en simultané, de son corps physique et des stimuli extérieurs, dans les rêves plus profonds, il est nécessaire d'alterner).

2) Le corps gris.
Il s'agit d'un phénomène propre à l'état intermédiaire phase 2, que j'ai expérimenté tout à fait par hasard lors d'un faux-éveil ( comme je l'ai signalé plus haut, les faux-éveils ramènent très souvent le rêveur dans l'état intermédiaire) :

Rêve 10. 18/03/94
Je commence à m'élever dans le ciel, en ramant avec les bras. Je monte de plus en plus haut, jusqu'au point où je perds tout repère et je me dis que je ne devrais pas tarder à changer de plan. Bingo, j'arrive au-dessus d'un étang noir complètement sinistre. Je n'y comprends plus rien. Bref, je quitte cet endroit malsain en continuant à ramer et à mon grand étonnement, il me semble bien me retrouver dans mon corps physique qui est en train d'ouvrir les yeux. Je repense à S.L* qui parlait de sensation visuelles en rêve, je me dis 'alors on peut ouvrir les yeux en rêve !'. En plus, le décor semble réel. Pas sombre comme pendant les inductions. Mais j'ai vraiment une sentation bizarre, et je me vois, moi qui suis en train de ramer, comme un corps gris argent avec des rayures noires en train de quitter mon corps physique. Il y a une espèce de bruit bizarre qui m'accompagne, de haute fréquence. Quand je m'en sépare, j'entends un claquement sec comme un arc électrique et là je me dis 'Mince, je me suis dédoublée !' Vite, je replonge dans mon corps physique. Je me réveille pas bien du tout.

Dédoublement classique me dira-t-on. Cependant la sensation était celle de ramer dans de la glu et de fournir un effort intense, tout autant que de me trouver dans un corps lourd et difficile à manipuler - ce qui s'accompagne évidemment d'un intense sentiment d'insécurité. Voir également Rêve 7. Le phénomène est généré par un effort vers le haut, comme si le fait de s'élever amenait un deuxième corps, plus lourd, à sortir à son tour du corps physique. Ce corps est généralement perçu comme cotonneux, difficile à manipuler et désagréable. Il peut sortir en bloc ou par partie - dans cette deuxième hypothèse, il peut sortir comme un nuage de lait qui irait remplir une forme transparente, ce qui a d'ailleurs donné naissance à l'expression de "saignement astral". Le phénomène des maux de tête après dédoublement semble d'ailleurs correspondre à une mauvaise réintégration de ce corps.

Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne le corps perçu dans l'état intermédiaire phase 2, jamais il n'apparaît comme "normal" (comme dans les rêves classiques, par exemple). Il est gris, avec ou sans rayures, transparent, vert, blanchâtre, noirâtre etc... (rêve 2, etc) mais jamais il ne mime le corps physique.

3. Imagerie du monde intermédiaire.
Nous l'avons déjà dit, l'image mime celle du lieu où "dort" le sujet (à de rares exceptions près), mais sa luminosité est différente : elle est comme électrique, et souvent la "sortie" s'accompagne d'un son caractéristique (bourdonnement, crissement, claquement, sifflement, son saturé...). Parallèlement, les "lumières" qui s'y manifestent ne sont ni des soleils, ni des lampes, comme dans les rêves normaux, mais des phosphènes, des flashs lumineux, ou surimposition de dessins ou symboles en 2D.

Rêve 11 31/07/94.
Assise sur mon lit, je récite le mantra OM. Une énergie naît du côté droit et se répand. J'essaie de savoir par quelle narine je respire : c'est la droite. Je vois passer devant moi des signes graphiques, mathématiques, symboliques, en noir sur fond blanc, ils sont disposés sur des cercles, comme dans "le Cobaye" et passent à toute vitesse. Ça s'emballe, je vois des éclairs de partout, des boules de lumière, je commence à me faire une petite peur. (Passage au rêve normal avec transformation de contenu ) Ca se termine dans une pièce éclairée par un tas de globes de lumière, comme un salon d'entreprise.
(voir également Rêve 18)

On peut également éprouver de la difficulté à se déplacer ou à parler (paralysie) et des forces inconnues peuvent déplacer le rêveur de côté et d'autre.
De plus, dans l'état intermédiaire, il n'apparaît jamais de personnages, et lorsqu'il en apparaît, ce n'est jamais sans "amener" un rêve avec eux, en quelque sorte, comme on le voit dans l'extrait suivant.

Rêve 12 07/11/96.
Je suis sur mon lit. Je fonce vers le plafond et je me coince dedans, décide de retourner sur mon lit. (...) Bientôt, ce que j'appellerais des "contenus gênants du monde intérmédiaire" viennent se manifester autour de moi sous la forme de deux personnages qui viennent me déranger dans ma méditation. On dirait de mauvais moines zen. Je m'en accommode d'une manière ou d'une autre. L'un d'entre eux me dit de lire tel livre, que j'y trouverai des réponses, et me tend un truc invisible. Il essaient de lire par télépathie le mantra que selon eux j'aurais en tête pour en faire je ne sais quoi, mais c'est raté. En attendant que ça se calme, j'essaie de fixer des objets, je reste dix secondes sur l'un, dix secondes sur un autre etc. Me voici devant une cuisine, je fixe une bouteille de coca juste sous mon nez, elle se déforme (à l'évidence, je suis en plein rêve)

Les "habitants" typiques du monde intermédiaire sont, eux, très différents :

Rêve 13 (Dans ce rêve, l'habitant est seulement entendu)
5/01/97. Crr crrr...
Je sors de mon lit. Après diverses périgrinations, je monte je monte, et au moment où je me dis, "mince, c'est une erreur", boum, me voici dans ma chambre avec une sensation très désagréable. J'ai encore sûrement sorti le corps gris. Hop, je rerentre dans mon corps et j'attends. Au-dessus de moi, une espèce de chose passe et repasse en volant avec un bruit de billes métalliques secouées dans un récipient en bois, rythmique, et vraiment ça ne me plaît pas.

Rêve 14.(Dans ce rêve, l'habitant est vu... et ne gagne pas à l'être)
27/04/96.
Sensastion kinesthésique d'un vent de plus en plus puissant qui me pousse sur le côté, vitesse vertigineuse, et soudain je me retrouve dans mon lit en train de faire une bizarre sortie hors du corps. Une espèce de schmoll noir me colle après et me pousse à sortir, genre démon qui voudrait me piquer mon corps. Je le décolle, je lui dis " Tu es moi, tu es ma création ", il devient blanc avec une tête de mort, mais il ne m'impressionnera pas et je l'intègre physiquement

Rêve 15. ( Dans ce rêve, je tombe sur une créature particulièrement coriace, que je retrouve d'ailleurs à chaque fois que je vais sous mon lit ce qui fait que j'ai cessé d'y aller)
11/02/95. Le démon du matelas.
Je fais un trou dans mon lit et je saute dedans, ce qui me fait plonger dans le noir comme Alice sous terre. Soudain, une créature me saisit les poignet.
- Qui es-tu ?
- Je suis un démon, ici c'est l'Enfer, et tu vas voir ce que c'est.
Je me dis : "Hop, hop, réveillons-nous tranquillement et tout ira bien." Je me retrouve dans mon lit, mais deux bras noirs me tiennent les poignets, et l'impression est celui de l'espace mental intermédiaire. Je jette le démon contre le mur avec des imprécations. (...)

D'autres personnes voient des sortes de rats, ou de vermines, se promener dans leur chambre, se font saisir par les pieds, par les mains, tirer hors de leur lit etc... Ce ne sont pas des expériences particulièrement agréables, et la "protection" la plus efficace consiste à faire surgir un vrai rêve : pour des raisons que j'ignore, le rêve donne une sensation de sécurité.
Tout ceci, me direz-vous, ne vous donne guère envie d'aller expérimenter l'état intermédiaire. D'ailleurs, suis-je masochiste pour y aller si souvent ? Non, car malgré ses défauts, c'est un état très intéressant du point de vue méditatif et énergétique. J'ai pu m'en apercevoir il y a quelques années en y pratiquant le chant harmonique.

4) Chant harmonique / mantras.
L'expérience consiste à générer des nappes d'harmoniques, en chantant des mantras par exemple (OM), ou simplement des voyelles (A), et en pratiquant divers exercices.

Méthode :
1 - se dédoubler et s'asseoir sur son lit.
2 - chanter une note (4 secondes d'émission/4 secondes pour reprendre sa respiration)
3 - favoriser par l'esprit l'émergence d'autres notes. En général, un choeur se met à chanter derrière vous.
4 - se taire et entretenir le son par la pensée.
5 - vous pouvez y ajouter des balancements (du corps de rêve), des visualisations (de chakras), éventuellement une convergence oculaire.

Résultats :
- Il est fréquent que l'on éprouve des difficultés à démarrer : il faut insister avec patience et persévérance.
- Les premiers sons qui apparaissent sont les harmoniques du premier son émis. Ensuite apparaissent les harmoniques des harmoniques. L'intensité a tendance à augmenter, surtout dans les aigus : c'est la sensibilité des oreilles du rêveur qui lui dira où s'arrêter. Pour moi, la question demeure de savoir si on peut s'abîmer les oreilles en rêve ou pas, mais mon idée serait de dire que oui.
- L'intensité du son crée dans le corps du rêveur une énergie (de type prânique, pour employer un terme de yoga), qui est soit diffuse, soit localisée sur un "chakra". Cette énergie peut être déplacée par la pensée, ou par une variation dans la hauteur du son de base émis. Là aussi, l'intensité des énergies générées dépend de ce que le rêveur est disposé à supporter.

Rêve 15. 21/07/94
Solution au problème de la veille. Il y a deux types d'harmonisation : celle du haut de la gorge provoque une modification du son qui fait mal aux oreilles, celle du fond de la gorge fait apparaître des nappes d'harmoniques qui provoquent le phénomène énergétique et qui semblent avoir plus de persistance. La prononciation d'un nom rend le son plus prégnant que le simple "A".(...) J'essaie de créer une condensation sur le premier chakra mais ce n'est pas évident, je ne trouve pas le bon son. L'électricité a tendance à descendre effectivement mais pas suffisamment pour créer une forte condensation.

- Il arrive que l'énergie emporte le rêveur dans un tourbillon ou un courant, lumineux ou non.

Rêve 17 17/09/93.
Lotus, et récitation du mantra AUM MANI PADME UM. Le rêve disparaît de nouveau. Je suis dans le noir, sensation de tournoiement. Je sens que je vais un peu plus loin que la dernière fois en ce qui concerne le contrôle de la respiration. J'ai l'impression que mon corps change de texture, s'évide par atomes. Expérience reprise plusieurs fois. Sensation d'être aspirée par le haut plutôt que de tournoiement. Des voix d'hommes et de femmes récitent le mantra en même temps que moi sur une dizaine d'harmoniques différents, comme des choeurs.


Le lecteur sera peut-être surpris d'apprendre que l'effet de tels exercices est très diminué en rêve normal. Pourtant, qu'on l'explique de la manière qu'on voudra, le fait demeure : le meilleur endroit pour obtenir un résultat, c'est assis sur son corps. Les nappes d'harmoniques peuvent être générées dans le rêve normal, mais l'effet énergétique qui les accompagne est d'une intensité très inférieure à ce que l'on obtient dans l'état intermédiaire, en général.
Il en va de même pour la pratique de la conscience attentive, qui est la méthode la plus puissante et la plus fiable pour faire monter cette même énergie.

5) Energisation par conscience attentive (pensée perceptive).
En soi, il s'agit d'un expérience très simple : vous vous asseyez sur votre lit, et vous prenez conscience de vos sensations, internes et externes, ce qui représente une forme simple de méditation. L'effet énergétique principal est reproductible, en revanche les effets secondaires sont imprévisibles quoiqu'intéressants.

Dans ce premier rêve, la pensée perceptive induit une image typiquement liée à l'idée de la méditation :

Rêve 18. 22/09/96.
Je suis sur mon lit en pensée perceptive. L'énergie augmente, soudain un tableau blanc apparaît devant moi, avec mandala rouge tournant. Le mandala s'intensifie et fait des petits mandalas qui se mettent eux aussi à tourner, il y en a de partout, j'efface tout. Je me rends compte que tout ce que je pense peut se créer. Je pense que mon oreiller m'attaque et voilà qu'il se jette sur moi. Sur le plan sonore, je suscite facilement des nappes d'harmoniques.

Dans ce deuxième rêve, l'expérience ressemble plutôt à une expérience de type "kundalinesque".

Rêve 19. 20/09/96.
Me voici assise sur mon lit, direction sud, en pensée perceptive. L'image est celle de ma chambre, une espèce de lumière argentée perlée commence à éclairer mon champ de vision, comme des traînées d'étoiles (plus exactement de mercure). Je sens nettement l'effet énergétique. Soudain je me dis : " Il manque la convergence oculaire ! ". Je la fais. Au bout de quelques secondes, une vague d'énergie tiède-chaude me passe dans le dos et me soulève de 50cm-1m. Ca fait un bizarre effet, avec toutes ces lumières, j'essaie de rester bien concentrée. Réveil.

Dans ce troisième rêve, l'effet énergétique a pu être amélioré, en sorte de me conduire encore à un autre état dont je discuterai plus loin.

Rêve 20. 25/05/97 20h30.
Je sors de mon corps et m'asseois sur mon lit. Puis je me mets en pensée perceptive. Tout disparaît autour de moi, je me retrouve dans une espèce de vide, la sensation d'énergie est très forte, je subis comme une attraction vers le haut néammoins pas suffisante pour me faire décoller, en même temps que la luminosité augmente. Le mental entrave moins le processus que d'habitude, bien qu'il me soit possible de réfléchir.
(Intrusion d'un rêve)
D'un coup me voilà dans une pièce "du dessous", une main me colle un pentagramme inversé sur la poitrine. Je regarde le type, qui est habillé en noir dans mon souvenir, et qui se tient derrière le bureau. On dirait un magicien noir, mais moi, je suis là comme une fleur, et je ne ressens rien de malsain ni de menaçant.
- Qui t'es, toi ?
- Lucifugé Rofocale" il me répond. (Les démonologistes et amateurs de Fantastique auront reconnu le lascar).
- Ben voyons.
Ça me fait plus rire qu'autre chose. Puis il me tend un livre avec une couverture noire que je suis censée -crois-je- avoir écrit dans le futur. Je feuillette, je lis quelques pages, tout cela me semble parfaitement sans intérêt, et je le jette au feu. Le type essaie de le récupérer, mais j'attise le feu par la pensée. Pas moyen de récupérer le bouquin.
(Retour au monde intermédiaire)
Retour au lit. Je ressors et je reprends la pensée perceptive. Même effet. J'ai un axe d'énergie dans le dos, et encore, il ne manque vraiment pas grand-chose. Je suis toujours dans le vide. Tout d'un coup, un balancement latéral se déclenche. Je laisse faire. Puis je glisse sur la gauche, et me voici tête en bas. Finalement, je n'évalue plus du tout ma position. Allongée ou pas, dans mon lit ou pas, je suis dans cette énergie assez forte et lumineuse. J'essaie la convergence oculaire. Rien. J'essaie de me souvenir des méthodes pour intensifier l'énergie. Balancement, convergence, harmoniques. Peut-être. Mais impossible d'obtenir un son hors de ce que je peux produire moi-même. L'harmonisation ne prend pas.
(Intrusion d'un rêve)
Du coup, un décor onirique s'est recréé autour de moi. Il y a là plusieurs personnes. Je vais m'asseoir au milieu : "Bon allez, on va tous chanter." Mais la moitié chante de travers. Je me relève. "Bon, qui est-ce qui aime le chant, là ?" Trois d'entre eux lèvent le doigt, une femme et deux hommes. Je les prends à part et on va s'asseoir à l'écart. On recommence à chanter, c'est beaucoup mieux. L'harmonisation commence. Mais elle n'a aucun effet énergétique, d'autant plus qu'entretemps j'ai évidemment perdu l'état où je me trouvais.

Un observateur attentif remarquera qu'à chaque reprise du mental, un rêve se crée. C'est une sorte de constante dans l'état intermédiaire, et c'est pour cette raison qu'il est si difficile d'y rester. A partir du moment où le rêveur sort de sa neutralité, s'interroge, éprouve une angoisse etc, de manière même diffuse, des contenus oniriques apparaissent pour le concrétiser.
J'ai d'ailleurs fait le rêve suivant dans les jours où j'écrivais cet article.

Rêve 20. 11/06/97
Dédoublement en 2 phases : (phase 1) je fais beaucoup d'efforts d'imagination, tout reste noir et j'ai la perception simultanée de mon corps physique qui m'embrouille et me déconcentre. Donc je me calme, et brusquement, déclic, me voilà en train de me détacher de mon corps, (phase 2) avec la vision assez nette de ma chambre (la succession des deux états me permet de bien noter le monde qui les sépare...). J'essaie d'observer attentivement ce que je vois. J'ai devant moi une sorte de bas-relief en marbre avec des petits personnages. A un moment donné, je veux tester la création du rêve. Je commence à me dire "Un rêve va se créer", histoire de faire tourner le mental. Ça ne rate pas, un rêve se crée, je le dissipe, j'attends de nouveau, je fais redémarrer le mental, un autre rêve se crée, je le laisse prendre, impossible de l'arrêter, et il me semble bien qu'il y a de sa part une intentionnalité. Des objets me tombent sur le nez, me heurtent, et ça fait mal, dur de se concentrer dans ces conditions. Je dois procéder à une décréation radicale pour me retrouver dans ma chambre, mais dans le noir cette fois, puis la chambre se recrée.

Depuis l'état de veille, il est facile de se dire "je ne penserai pas ceci ou cela" ou "j'observerai ceci et cela". Le problème, c'est que dans l'état intermédiaire, le cerveau ne fonctionne plus de la même façon. J'en veux pour preuve mes capacités de création musicale... En revanche la mémoire verbale est au plus bas : essayez de vous souvenir d'une liste de mots, vous allez avoir des surprises - par exemple, la liste de mots qui a pour titre "Notre Père", lorsqu'une créature d'apparence démoniaque viendra vous tirer par les pieds. Quant aux qualités d'observation et d'esprit critique, elles sont nulles : mais on s'en rend compte seulement au réveil.

II. L'état substrat - phase 3.
Le lecteur aura peut-être remarqué que dans les exemples de rêves cités, l'imagerie propre à l'état intermédiaire disparaît pour laisser place à une sorte de vide difficilement qualifiable, noir ou lumineux. Ce vide est à la fois visuel et kinesthésique. C'est-à-dire qu'il ne faut pas le confondre avec la phase 1 - d'autant plus que la déconnexion au corps est encore plus marquée que dans la phase 2. En fait, ce vide est caractéristique d'un état substrat phase 1 ( qu'on pourrait également concevoir comme l'état intermédiaire phase 3), comportant plusieurs couches, que l'on atteint par décréation successive des croyances qui génèrent l'environnement et la perception de soi. Et si je l'ai appelé état substrat, c'est parce qu'il semble être la conclusion de toute forme de décréation, que ce soit à partir du rêve ou de l'état intermédiaire auquel aboutissent généralement les endormissements conscients ou les méditations.

- Depuis l'état intermédiaire : par la pensée purement perceptive (qui a pour effet de calmer le mental), énergétisation ou décréation.

Rêve 21. 24/11/96
Je sors de mon corps et m'asseois sur mon lit. (...) Puis, je m'éloigne du rêve, ou je le détache de moi, comme un papier collant et me voilà dans cet espèce de noir étrange. L'énergie change de forme : je dirais qu'elle devient ondulatoire, alors qu'elle était corpusculaire dans le milieu du rêve, ou du monde intermédiaire.
Quelque chose commence à me faire tourner sur moi-même, mais je ne maîtrise pas. J'essaie de fixer mon attention sur un point de l'espace pour entrer dans un rêve, car je pense que cet endroit est plein de germes de rêve, mais je tourne trop vite, et je préfère me réveiller. (Faux-éveil et retour en phase 2) Je crois que je continue à tourner, mais sur mon lit, environ 2 tours/sec. Quelque chose de brûlant me monte dans la jambe, je préfère me réveiller.

- rêve : par décréation ou éloignement.

Rêve 22. 18/11/96
J'ai du mal à voler, je descends de plus en plus et je vais finir par me prendre une branche d'arbre. Je décide de modifier toutes croyances et de m'éloigner du rêve. Le rêve s'éloigne en zoom arrière, devient minuscule. Zoom avant, mais je bloque je zoom avant d'être revenue complètement dans le rêve. Il est là, devant moi, il occupe la moitié de mon champ visuel. Zoom arrière, il redevient tout petit. Je me retourne car je pense à ce que m'a dit Christian (regarder derrière moi) même si je crains en fait de m'éveiller. Derrière moi, il y a un espace noir où se meuvent de vagues luminosités. Très curieusement, je n'ai aucunement la sensation d'être en passe de me réveiller. Puis je me retourne en direction de la pépinière de rêve, zoom avant. Mais j'arrive dans un autre rêve, j'ai dû taper un peu à côté du premier.

- Veille : par méditation (avec ou sans passage par l'état intermédiaire).


Etat intermédiaire/substrat et méditation.
J'ai des raisons de penser que de nombreux méditants glissent dans l'état intermédiaire ou substrat sans s'en rendre compte. (Rappelons que les sensations énergétiques y sont multipliées)

- soit le passage se fait de manière abrupte par apparition de l'image (mimée) de son environnement, ce qui est typique de l'état intermédiaire. Cette image est généralement confondue avec une vision de la réalité, mais si on a le loisir de l'examiner, elle est plus vraisemblable que vraie. Je pense qu'il en va de même pour les visions de sa propre chambre qu'on expérimente en dédoublement.

"Un après midi, étant allongé sur le sofa, les yeux clos, je m'aperçus soudain que je pouvais voir clairement le dessin qui se trouvait sur le dossier. Cela me fit comprendre que j'étais en état de transe. Je sortis de mon corps par décision volontaire et me trouvai alors, par une transition très brusque, dans un beau coin de campagne que je ne connaissais pas." (2)

- Soit le passage se fait graduellement :

Méditation.
22/09/96
Je médite dans mon fauteuil (pensée perceptive). Soudain je sens une très forte intensification des sensations, jusqu'au désagréable, ou au maximum que mon corps physique peut en supporter raisonnablement. Soudain l'idée me vient que je devrais essayer de me "dédoubler". Je dois faire un gros effort d'imagination, l'image apparaît pas plus nette qu'une image de rêve éveillé(phase 1.1). Je sors dans la rue, puis me voilà au-dessus d'une ville, je vole. Je reviens, je descends dans la cave, mais le noir n'est pas net puisque l'image est mauvaise, je passe une porte, me laisse tomber dans le vide, puis me reprends et m'élance résolument vers le haut. Puis j'essaie de ressortir simultanément de mon corps physique. Ici, j'ai l'impression d'avoir la sensation de deux corps, celui qui vole vers le haut, et un autre, soit physique, soit un deuxième corps dédoublé (phase 1.2). Puis je ne garde que le second, et là, soudain l'image jaillit d'un coup (phase 2), c'est ma pièce, mais modifiée, tons oranges, avec des dessins que je n'ai jamais faits. Je sens mon corps, j'observe cette image hyper nette, et l'effet est assez déstabilisant, je dois faire attention à ne pas me réveiller. Je sens l'origine de cette image qui semble provenir du même endroit que les éclairs lumineux, derrière le front, et c'est bien curieux. Toujours le même niveau d'énergie à la limite du désagréable. Puis petit à petit je le laisse redescendre et je me raccroche à mon corps.

- Les moines tibétains font tout un mystère de leur grande maîtrise du rêve lucide et prétendent en faire tout autre chose que nous, Occidentaux. Ils se gardent bien évidemment de publier leurs expériences, mais tout me porte à croire que ce qu'ils pratiquent en rêve, c'est une certaine forme de méditation, après passage à l'état intermédiaire, pour atteindre l'état substrat.
En ce qui concerne les différentes phases possibles de l'état substrat, on peut supposer qu'une première phase serait atteinte par décréation de tout objet extérieur et qu'une deuxième phase serait atteinte par décréation de l'espace et du corps - qui aboutirait à une sphérisation/énergisation du corps dans un espace sans qualités, que je n'ai jamais complètement atteinte. Pour la suite, on peut imaginer ce qu'on veut.

Rêve et état intermédiaire phase 2.
Si l'on distingue, dans l'état intermédiaire, le principal (image de la chambre) de l'accessoire (créatures indisctinctes et manifestations lumineuses), on peut dire que dans le domaine de l'accessoire, une même pensée se concrétisera de manière différente selon qu'on se trouvera en rêve ou en état intermédiaire, mais qu'il y a une correspondance entre les deux imageries, ce qu'on constate au moment du passage de l'un à l'autre : les contenus restent mais changent d'apparence. Une luminescence se tranformera en flamme, un noir démon en personnage désagréable, un oreiller qui vous attaque en chien enragé, un flux énergétique en rêve de vol etc... (à ce propos, je n'aurais pas voulu rencontrer le lascar cité plus haut dans l'état intermédiaire, ou peut-être était-ce lui, le démon sous le matelas du rêve 15 ?)

Rêve 23 06/06/97.
Je me rends compte que je rêve et je me mets calmement en pensée perceptive, histoire de ne pas me réveiller. Je redescends tranquillement vers mon lit, l'image se dissipe, ma voilà sur mon lit. Dans le rêve le phénomène énergétique ne prenait pas. Ici, il prend et se répand à chaque inspiration. En fait, il est très intense, mais jamais désagréable. Arrivé à saturation, une force me soulève et je vois une luminosité assez intense naître à côté de moi. Je ressens une vague inquiétude, à ce moment la force me roule sur le côté et la lueur se transforme en flamme qui volète autour de moi. Là, un décor est apparu, un chambre, mais pas la mienne. Moyennement rassurée je cloue une crucifix sur le mur et j'imagine une grande croix en bois derrière moi. Cherchant à poser mes bras dessus, je la trouve. Me voilà donc sur une croix, en train de voler, parce que sitôt je suis dessus, un rêve m'embarque à vitesse grand V. Je vole au-dessus d'un très grand décor avec des luminosité assez étrange, un gouffre obscur en-dessous de moi, un horizon orangeâtre, une sorte de ciel crépusculaire bleu/violet/vert
/gris/rose, des sortes de grandes constructions métalliques. Je traverse tout ça comme une flèche. Puis le rêve me pose au bord d'un chemin. L'énergie a nettement diminué.

(voir également rêve 11).
Bref, il y aurait certainement une étude à faire de suivi de contenus d'un état à l'autre, ce qui permettrait par exemple de suivre certains stimuli à la trace, grâce 1) à la possibilité d'être à la fois conscient du monde physique, du monde imaginaire et de leurs correspondances dans l'état intermédiaire 2) à de nombreux passages de l'état intermédiaire au rêve, les contenus restant les mêmes. Exemple : dans mon lit, je dors en me tenant les mains -> transformation 1 : deux créatures indistinctes m'attrapent par les mains de chaque côté -> transformation 2 : deux policiers de rêve m'emmènent au commissariat.
Par ailleurs, une hypothèse que j'oserais formuler serait de dire que l'imagerie du monde intermédiaire et ses manifestations lumineuses ne sont pas générées par les mêmes zones du cerveau que les imageries de rêve, plus généralement que l'état intermédiaire représente l'activité d'une zone spéciale du cerveau. Si c'était vérifié expérimentalement, cela fournirait une base scientifique à la différenciation rêve/état intermédiaire phase 2 /veille. Et à supposer que cela soit vrai, cela autoriserait parfaitement des états mixtes :

Rêve 24. 11/05/96.
Je sors de mon corps. La pièce apparaît autour de moi. Je reste assise sur mon lit en pensée perceptive. J'ai des énergies de travers, mais au bout de peut-être une minute, la gêne a disparu. L'image est remarquablement stable. (passage au rêve) Je descends et passe dans la pièce à côté. Là-aussi, l'image est stable. Je sors dans la rue et je tombe sur une espèce de cathédrale dans laquelle j'entre. Je vois une sorte d'autel avec des images d'indiens. Je m'asseois respectueusement devant. Je rends service à un personnage qui cherche un objet comme si c'était important, bien que je sache que c'est un rêve. Je reviens momentanément dans mon corps puis de nouveau dans la cathédrale, mais l'autel a été remplacé par une bibliothèque. Je regarde fixement les livres, en pensée perceptive. Tout demeure remarquablement statique et solide. (Dans ce passage, l'image a les caractéristiques de l'imagerie intermédiaire : statique et électrique) Ensuite, je m'envole par la fenêtre. Je reste un moment immobile dans l'air avec l'image statique, puis je vaque à la découverte du paysage.

Conclusion :
J'ignore ce que cette nouvelle notion pourrait apporter d'un point de vue purement psychologique, si ce n'est une relecture de certains rêves étranges que les psychanalystes doivent garder dans leurs tiroirs, mais je suis persuadée que l'étude de cet état pourrait apporter beaucoup de choses dans les domaines de la méditation, du développement personnel, mais aussi de la neurophysiologie, - notamment ce phénomène de positionnement de la conscience dans le complexe psychosomatique physique (veille), puis physique/dédoublé (conscience simultanée de la phase 1), puis uniquement dédoublé (conscience séparée : phases 2, 3) -. Dans la perspective d'un ouvrage sur la question, je suis prête à collaborer avec toute personne ayant des informations à ce sujet.

Note : Il y a trois mois, Christian Bouchet m'avait proposé un article intitulé "Le rêve de dédoublement est-il un état intermédiaire ?" tiré de sa thèse. L'article ne m'ayant pas inspirée à l'époque, je l'ai mis dans un coin. Deux mois après, j'ai commencé à écrire mon propre article, comme une fleur, sans me souvenir de celui de Christian. Pire, je lui ai volé sa terminologie sans le savoir. Après qu'il me l'ait signalé, j'ai relu son article... et je lui ai préféré le mien, qui était plus complet, dans lequel j'ai donc inséré des extraits de sa thèse. Mais je tiens à signaler que c'est lui qui a eu l'idée de cet état intermédiaire et qui l'a développée en premier.

(1) Christian M. Bouchet. Le Rêve Lucide. Description et analyse du phénomène à partir d'expériences de rêves lucides spontanées ou préparées. Chapitre 4 : l'induction de la lucidité onirique. Section 1, § 1 : induction à partir d'un état intermédiaire.
(2) Oliver Fox, Astral Projection, A Record of Out-of-the-Body Experiences, The Citadel Press, Secaucus, 1980, p. 66. Cité par Christian Bouchet.

retour au Sommaire