9.1 L'impact existentiel de la pratique du rêve lucide.


"En persévérant dans la pratique, nous constatons de moins en moins de différence entre l'état de veille et celui de rêve. Nos expériences dans la vie de veille deviennent plus vives, plus variées; c'est le résultat d'une conscience affinée et plus légère. Nous ne sommes plus liés par les conceptions conventionnelles de temps, espace, forme et énergie. Dans cette perspective plus vaste, nous découvrirons peut-être aussi que ce qu'on appelle les légendes et les prodiges surnaturels des grands maîtres et yogis ne sont pas des mythes ou des miracles. Quand la conscience unit les divers pôles d'expérience et dépasse les limites de la pensée conventionnelle, les pouvoirs ou facultés psychiques sont en fait naturels."
Tarthang Tulkou

"Reçois mon amour.
Sois consciente lorsque tu es éveillée, ne cherche pas à l'être en dormant ou en rêvant. Si tu développes ta conscience durant le jour, le reste suivra facilement, ne fais rien de particulier pour cela.
"Agir" est toujours une source de difficultés.
Le sommeil reflète notre état de vigilance.
Ce que nous sommes, éveillés, nous le sommes aussi en dormant.
Le sommeil n'est vraiment sommeil que si, prétendument éveillés, nous "dormons debout" : le flot des pensées diurnes tisse les motifs des songes nocturnes. Et lorsque nous sommes conscients en étant éveillés, cette lucidité commence à se propager dans le sommeil également.
Celui ou celle dont l'esprit est vide de pensées lorsqu'il est éveillé ne rêve plus en dormant.
Pour le reste, tout va très bien. Mes amitiés à tous. ²
Osho Rajneesh

"L'esprit n'est forcé à croire à l'existence de rien (subjectivisme, idéalisme absolu, solipsisme, scepticisme : voir les Upanishads, les Taoïstes et Platon; qui, tous, usent de cette attitude philosophique à titre de purification). C'est pourquoi le seul organe de contact avec l'existence est l'acceptation, l'amour. C'est pour cela que beauté et réalité sont identiques. C'est pourquoi la joie et le sentiment de réalité sont identiques." Simone Weil


"Reçois mon amour.
Les rêves sont aussi vrais que le reste, car ce que nous considérons comme vrai n'est qu'un songe.
La seule différence est que, dans le premier cas, nous avons les paupières closes et dans le deuxième, les paupières ouvertes. Comprends bien cela et tu pourras transcender les deux. La voie est ailleurs. Ce que tu perçois en rêve et ce que tu perçois à l'état de veille sont des choses que tu vois. Au-delà existe celui qui voit. "
Osho Rajneesh

9.1 L'impact existentiel de la pratique du rêve lucide.

Dans le chapitre précédent, nous nous sommes efforcés de montrer l'existence de la possibilité de rêver consciemment et de cerner les contextes dans lesquels cette pratique a pu être étudiée ou cultivée. On l'a dit, le rêve lucide n'est plus considéré aujourd'hui par la communauté scientifique comme une élucubration de parapsychologue ou une bizarrerie pour amateur de sciences occultes (soulignons au passage, que le rêve lucide permet d'avoir un regard sur ce qu'il est coutume d'appeler la magie). Il est réellement ouverture à la réalité vivante de l'esprit pur et espace d'épanouissement des potentialités subtiles de la conscience humaine.
Avant de développer un certain nombres de considérations concernant l'impact existentiel de la pratique du rêve lucide sur le plan psychologique et sur le plan de l'éveil à la pure conscience de soi, il nous semble intéressant d'apporter quelques précisions au sujet de la pratique du rêve lucide.
Tout d'abord, il nous faut remarquer que l'expérience du rêve lucide peut être accidentelle et spontanée, et à ce titre, sembler ne pas surgir du cadre d'une pratique spécifique qui a pour effet de provoquer l'expérience à volonté dans la perspective de la réalisation de la pure conscience de soi. C'est ce genre d'expériences occasionnelles qui conduit beaucoup d'individus mal informés et sans repères critiques et métaphysiques à adopter, pour interpréter et conceptualiser leur(s) expérience(s) de rêve lucide, des croyances - relevant plus ou moins de la superstition - en provenance de certaines écoles ésotériques et de certaines sectes qui n'ont pas au coeur de leur enseignement la dimension sublime de l'être. De plus, on peut distinguer une expérience occasionnelle et accidentelle qui aura certes un impact, mais qui ne prêtera pas nécessairement à des conclusions libératrices, d'une expérience cultivée et répétée qui, en plus d'ouvrir sur certaines dimensions subtiles de l'expérience humaine, amènera une modification profonde et positive de la manière d'être dans le monde du pratiquant. L'étude des ouvrages consacrés au rêve lucide et des nombreux témoignages qu'ils contiennent, montre que le rêve lucide arrive rarement sans intention et sans efforts de la part de celui qui en fait l'expérience. Il faut en quelque sorte s'ouvrir à cette possibilité, accepter tout ce dont on peut pressentir intuitivement qu'elle implique, et passer par la décision consciente et la résolution de se réveiller dans ses rêves pour faire l'expérience du rêve lucide. On peut, mutatis mutandis, faire un rapprochement avec le Yoga-Vasistha qui comme tous textes imprégnés par la tradition des yogas, exalte l'effort humain en vue de la connaissance libératrice. Dans ce texte il est fait état de la possibilité de "libération accidentelle" qui s'oppose à la libération obtenue précisément au terme d'un effort et d'une conquête.
Le rêve lucide est dans la grande majorité des cas quelque chose qui se produit de manière intentionnelle et préméditée en quelque sorte, même si à terme la lucidité dans l'état de rêve peut surgir de manière presque "automatique" chez le pratiquant. Il est également généralement admis qu'à terme la pratique, par la disponibilité nouvelle de la faculté d'attention (issue de la satisfaction des désirs et de la réappropriation des projections) qui se met en place, conduit à une diminution ou une cessation de l'activité onirique telle qu'elle est vécue généralement.
Il n'est pas de notre propos de rentrer dans le détail des pratiques qui sont en mesure d'amener l'expérience du rêve lucide. Insérées dans un travail - travail qui conduit, comme on l'a déjà évoqué,à une libération et une fluidification de la faculté d'attention - de purification de l'inconscient et de mise à jour des croyances les plus transparentes qui structurent notre sens de l'identité et notre expérience du monde, ces pratiques consistent essentiellement en des manipulations plus ou moins sophistiquées de l'intention et de l'attention . Il existe aussi une approche très simple sur le plan technique qui consiste à garder constamment à l'esprit que toute notre expérience à la nature du rêve. En maintenant cette perception, le rêve lucide arrive de lui-même. C'est ce qu'exprime Osho Rajneesh lorsqu'il écrit :

""Saraha dit au roi : Toutes les choses doivent fermement être perçues comme un jeu magique. Si vous pouvez sans distinction accepter ou rejeter le samsara et le nirvana, votre esprit sera inébranlable, libéré des voiles des ténèbres. En vous-mêmes vous existerez, au-delà des pensées et auto-engendrés.
Saraha recommande ici une technique remarquable. Soyez très attentifs et essayez de l'appliquer.
Vous avez rêvé des milliers de fois et pourtant vous donnez immanquablement dans le panneau : ce que vous êtes en train de rêver vous semble réel. Quelle étrange inconscience ! Chaque matin, en vous éveillant, vous constatez que lesévénements oniriques étaient purement imaginaires. Et la nuit suivante, vous recommencerez à rêver et à prendre cela au sérieux. Qu'est-ce qui vous empêche d'être lucide sur-le-champ ? Tant de rêves dont vous avez pourtant invariablement compris le caractère illusoire - et vous retombez chaque nuit dans la même erreur, vous prenez l'irréel pour le réel et vivez en rêve comme si vous viviez vraiment. Le tantra propose une technique : considérez le monde comme un rêve pendant que vous êtes éveillés...Faites cela en permanence pendant deux ou trois mois : pensez à tout moment alors que vous êtes bien éveillé, que tout ce que vous percevez et vivez n'est qu'un rêve. Une surprise vous attend : un jour ou plus probablement une nuit, vous saurez, en rêvant, que vous rêvez. "

Les caractéristiques les plus souvent associées à l'expérience du rêve lucide, sont un sentiment de liberté extraordinaire et un sentiment de joie; les deux étant liées. Dans de très nombreux témoignages de rêves lucides, ce sont les deux qualités qui prédominent, et elles ne sont pas limitées aux premières expériences. En fait, certains l'ont exprimé très clairement , le rêve pleinement lucide est extatique par nature, et ce indépendamment des expériences qui peuvent être faites dans l'état de rêve qui ne font qu'apporter des couleurs et des nuances particulières à cette lumière extatique de la lucidité onirique. Nous pouvons illustrer par deux témoignages rapportés par Stephen Laberge la coloration très positive associée au rêve lucide :
"Je réalisais que j'étais en train de rêver. Je levais mes bras et je commençais à m'élever. Je m'élevais dans un ciel noir qui tourna à l'indigo, au rouge pourpre, au bleu lavande, au blanc, puis à une lumière très vive. Durant tout le temps pendant lequel j'étais en l'air, il y avait la plus belle musique que j'ai jamais entendu. Cela ressemblait plutôtà des voix qu'à des instruments. Il n'y a pas de mots pour décrire la joie que j'ai ressenti. Je redescendais doucement sur terre. J'avais le sentiment d'être parvenu à un tournant dans ma vie et que j'avais fait le bon choix. J'avais l'impression que le rêve et la joie dont je faisais l'expérience était une sorte de récompense. Le glissement vers l'état de veille fut long et lent avec l'écho de la musique qui résonnait en moi. L'euphorie dura plusieurs jours; la mémoire, pour toujours."

Et encore :

"Je me tenais debout dans un champ quand ma femme pointa du doigt dans la direction du lever du soleil. Je le regardais et pensais "Je n'ai jamais vu des couleurs pareilles ". Soudain, je réalisais :"Je dois être en train de rêver !". Je n'avais jamais expérimenté une telle clarté de perception, les couleurs étaient si belles et le sentiment de liberté si enivrant que je me mis à courir dans ce champ de blé doré agitant mes mains en l'air et criant au plus fort de ma voix : "Je rêve ! Je rêve !" [c'est nous qui soulignons]. Soudain, je commençais à perdre le rêve, probablement à cause de l'excitation. Je me réveillais instantanément. Comme je réalisais ce qui venais juste de se produire, je réveillais ma femme et lui dit : " Je l'ai fait ! Je l'ai fait ! ". J'avais été conscient dans l'état de rêve et plus rien ne sera jamais pareil. Amusant n'est-ce pas ? Comment un aperçu de ce qu'est le rêve lucide peut affecter un individu d'une telle manière. Je crois que c'est la liberté; nous voyons que nous sommes vraiment au commande de notre propre univers. "

La liberté est celle de la reconnaissance que le rêve est notre propre création et qu'il n'existe aucune autorité extérieure à notre conscience qui produirait le déploiement du rêve avec son éventuel cortège d'émotions. La joie vient comme la réaction émotionnelle première, spontanée et naturelle à la réalisation de cette liberté intrinsèque. Cette liberté est la reconnaissance que la réalité - autant dans l'état de veille comme dans l'état de rêve - telle que nous avons l'habitude de nous la représenter (sortir du présent) est une fiction aliénante. Lorsque nous comprenons que nous créons notre réalité, c'est à dire que nous prenons, en tant que sujet la responsabilité créatrice de tous les objets (pensées, croyances, émotions,...) qui existe sous la lumière de notre vigilance, nous nous octroyons la possibilité de nous en affranchir est d'accéder à une ipséité-liberté non-conditionnée et non-contaminée par tous les épouvantails que nous pouvons installer dans notre univers et qui prennent toutes les formes (croyances, pensées,émotions,...).
Ainsi, la pratique du rêve lucide amène la découverte stupéfiante que tous les objets et toutes les représentations qui exercent un pouvoir coercitif sur nous, ne sont, en essence, que des pensées cristallisées qui peuvent être résorbées. C'est ce que nous avons développé dans le chapitre 6. En d'autre termes, le phénomène du rêve qui se constitue en objet possédant une autonomie et un pouvoir coercitif n'est pas seulement à l'oeuvre dans l'état de rêve mais également dans l'état de veille. On pourrait dire que la représentation que nous avons du monde et qui se surimpose à ce hublot qu'est le champ visuel (que nous avons décrit dans le chapitre 3) est un rêve et que si nous nous éveillons dans ce rêve, nous vivons une expérience illuminatoire qui transforme notre façon de nous situer dans l'existence. Nous nous situons alors dans les coulisses de la prétendue "réalité" et découvrons que le sujet qui tire les ficelles des marionnettes que sont nos représentations n'est autre que nous-mêmes. Tarthang Tulkou écrit : "Par exemple nous pouvons apprendre [c'est nous qui soulignons] à changer en forme paisibles les images effrayantes vues dans les rêves. En employant le même processus, nous serons capables de transmuer les émotions négatives ressenties pendant la journée en une conscience plus intense. Nos expériences de rêve sont ainsi utilisées pour développer une attitude plus souple.[Š] A notre niveau habituel de compréhension, nous croyons qu'il existe une réalité dans laquelle nous devons prendre une position fixe. Or nous pouvons apprendre progressivement à créer notre propre réalité. Le monde, notre réalité, n'est pas solide; tout est en interaction, tout peut être pénétré. Il n'y a pas de réalité séparée. Quand nous comprenons que les situations ne sont pas aussi concrètesque nous le pensions, notre gravité et notre tension face à la vie commencent à s'estomper. C'est une aide de penser que tout ce que nous vivons est semblable à un rêve. Quand nous le faisons les concepts et les idées d'identité personnelle qui nous ont enfermés commencent à tomber. A mesure que notre idée de soi devient moins rigide, nos problèmes sont allégés. En même temps se développe un niveau de conscience bien plus profond. "

La pratique du rêve lucide amène la compréhension vivante de la manière dont nous créons nos perceptions et notre réalité; nous comprenons comment nos perceptions, créées de toutes pièces en nous-mêmes par nous-mêmes, structurent et conditionnent notre expérience du monde ainsi que la définition de nous-mêmes et des autres. Une transformation se produit et nous sommes alors en mesure de saisir de manière globale le mode d'action du couple attraction/répulsion (désir/peur), c'est à dire le procédé par lequel nous opposons ce qui est bon à ce qui est mauvais selon un schéma qui dépend de la définition que nous avons de nous-mêmes et qui n'est qu'une pensée cristallisée et densifiée. Avec le rêve lucide, nous développons la compréhension très fine des fonctionnements de l'esprit et par conséquent la capacité à déconstruire la réalité qui paraissaient si réelle, "là-bas", à l'extérieur. L'expérience libératrice à laquelle la pratique du rêve lucide nous conduit en droite ligne est la reconnaissance que tout ce qui peuple notre univers (dont les monstres) possède, en essence, la nature de la pensée. Cet univers est notre création et notre responsabilité. De cette prise de responsabilité découle la liberté, et de cette liberté naît un apaisement et une joie.
Si nous comprenons pleinement que l'attachement sous toutes ses formes à fondamentalement la nature d'une pensée à laquelle on s'est identifié et autour de laquelle nous avons construit une définition de notre identité, alors nous sommes libre. Sur un plan terrestre et existentiel, la possibilité nous est alors donnée de choisir et de vivre pleinement nos jouissances et de les expérimenter pleinement dans un présent pur sans qu'elles ne soient parasitées par des inquiétudes liées à un futur dans lequel est imaginé une absence.
La pratique du rêve lucide conduit à la reconnaissance de notre participation à deux niveaux de "créativité" qui s'interpénètrent. Tout d'abord, au fur et à mesure que notre attention se libère, l'accès plus fluide que nous avons à l'intuition et à l'imagination élargi la sphère d'influence individuelle et la capacité à inventer de nouvelle solutions ou à créer dans la gratuité pure, par jeu. Mais nous avons aussi conscience que la création dans son intégralité provient de l'essence de notre être, de la source infinie. Nous vivons donc un niveau de créativité individuel qui est notre participation au jeu de la création en tant qu'individus dotés d'attributs émanant directement de la source, ainsi que le niveau de créativité infinie de la manifestation lorsque nous nous identifions, réintégrons et coïncidons avec cette source.
La libération de la faculté d'attention amène la concentration de l'attention sur l'expérience du présent, et la conscience accrue du présent conduit à l'expérience du rêve lucide. Le fait de vivre consciemment ses rêves offre la possibilité de dépasser et d'intégrer des dynamiques générées par le couple désir/peur; de satisfaire consciemment des désirs dont on se réapproprie l'énergie sous forme d'attention libre. La purification de l'inconscient qui n'est que l'élargissement de notre responsabilité face aux contenus de notre conscience nous conduit vers une unification et une pacification. Plus grande est la quantité d'attention libérée, plus grande est la quantité d'attention qui va pouvoir être libérée. Les fixations de l'égo (le sens du moi qui est coupée de la source infinie, de la pure conscience), les cristallisations de la mémoire et de l'imagination qui parasitent notre sens de l'ipséité pure se dissolvent petit à petit. Le processus se renforce de lui-même, et on peut le comparer au processus de réaction en chaîne de la fission nucléaire. On peut imaginer qu'il culmine dans une mutation (paradoxale) définitive et stable de la conscience de soi vécue comme absolue.
Une des prises de conscience à laquelle conduit l'expérience du rêve lucide, est la reconnaissance que l'on ne voit pas avec ses yeux, mais que le champ visuel dans son intégralité et sa globalité est une construction de notre esprit. Cette reconnaissance nous permet de faire l'expérience du champ visuel comme de l'instrument du rappel à soi. Dans la Doctrine secrète de la Déesse Tripura, on trouve un passage qui va dans ce sens :

"Inverse la direction de ton regard et contemple la pensée pure, ton propre Soi. Les meilleurs esprits parviennent à la saisir au moment même où on les instruit à son sujet. Mais le regard dont il est question ici n'est pas celui de l'oeil de chair, mais le regard intérieur par lequel tu vois dans tes rêves. [c'est nous qui soulignons]. C'est lui qu'il s'agit de tourner vers l'intérieur. Sans une telle conversion, il n'est pas possible de voir quoi que ce soit."

Ceci rejoint notre développement sur le champ visuel vécu comme un absolu tel que nous l'avons décrit dans le chapitre 3.
Lorsque nous sommes engagés dans la pratique du rêve lucide, on constate progressivement l'émergence d'une sensibilité qui, lorsqu'elle va se manifester, nous réconciliera avec la haute sensibilité de l'enfance laquelle est en grande partie liée à la disponibilité de la faculté d'attention. Cette sensibilité permet la perception directe et globale, des êtres, des objets et des situations. Vient également la capacité à voyager sur la ligne du temps et d'explorer la mémoire à la manière de la madeleine de Proust. On peut aussi constater que les phénomènes de synchronicités (au sens que Jung donne à ce terme) se manifestent avec une fréquence et une intensité telle que nous ne pouvons pas ne pas avoir l'intuition d'une sorte d'omniprésence du sens qui ne nous est généralement voilée que par notre inattention à l'instant et à sa lecture. De manière générale, c'est un réenchantement de notre expérience du monde qui a tendance à se mettre en place; la conscience de soi qui se sait mystérieuse et à laquelle est associée une capacité d'attention profonde, a un pouvoir de transfiguration sur la totalité de notre champ d'expériences : elle donne naissance à tout ce qui est et fait tout rayonner de son propre mystère. Notre vécu sensoriel peut retrouver toute sa générosité et toute la saveur enivrante de l'enfance à partir du moment où nous reconnaissons ce vécu comme jaillissant de la surabondance du mystère de la conscience de nous-mêmes.
Lorsque l'impression de séparation s'estompe et que la croyance dans le non-MOI perd sa vigueur, la compassion devient l'attitude naturelle et la capacité d'empathie se développe; l'espace qui est vécu généralement comme un milieu qui sépare peut aussi être vécu comme un milieu qui relie à partir du moment où nous faisons la découverte que l'espace existe en nous, qu'il baigne en nous et qu'il a pour essence notre conscience. La pratique du rêve lucide permet d'actualiser ces intuitions dans leur intensité vivante.
Emergence d'une saveur nouvelle et de l'aptitude à jouir dans le non-attachement des expériences sensorielles; conscience de la magnificence et de la beauté de la vie; perception de l'existence du monde - lorsqu'on le met en rapport avec une pure conscience de soi - comme ayant fondamentalement la nature d'un rêve, d'un tour de magie grandiose, d'un jeu issu de la surabondance de la liberté d'un arrière-plan de pure conscience-béatitude qui constitue l'essence de notre être : voilà sans doute les prises de conscience fondamentales et vivantes amenées par l'expérience du rêve lucide. Dans le rêve lucide, l'attention qui est mobilisée peut refluer vers sa source cosmique et infinie, source reconnue comme existant au-delà de la vie et de la mort, et c'est en cela qu'il est une pratique pour l'éveil à la pure conscience de soi.
L'expérience du rêve lucide nous permet également de jeter un autre regard sur les croyances qui entourent le mystère de la mort et de comprendre d'où peut venir le crédit que l'on peut accorder à certaines visions métaphysiques.

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