8.2 Points de vue courants sur l'expérience du rêve.


" C'est un coup du sort étrange : tous les hommes dont on a ouvert le crâne avaient un cerveau. "

8.2 Points de vue courants sur l'expérience du rêve.

Il est possible d'étudier et de passer en revue la grande variété des attitudes et des prises de positions que les hommes ont eu, à différentes époques et dans différentes cultures, vis à vis du phénomène du rêve. Il serait également possible de faire un inventaire des croyances associées au phénomène du rêve. Il nous faudrait également tenter une classification des différents type de rêve dont un esprit est en mesure de faire l'expérience. Un tel travail, même s'il n'affichait pas une ambition exhaustive, serait plus que fastidieux, et serait en grande partie un travail d'historien. Il faudrait examiner le rôle du rêve dans des civilisations qui lui ont accordé une considération dont il est loin de jouir dans notre monde à l'heure ou est écrite cette thèse.
Dans le cadre de notre propos nous nous limiterons simplement à quelques observations, quelques remarques, et à expliciter certaines croyances concernant le rêve et l'état de rêve.
Tout d'abord, même si cela semble relever de l'évidence la plus plate, remarquons qu'en tant qu'être humain, nous faisons l'expérience d'un cycle qui est le cycle veille/sommeil/rêve.
La simple contemplation du fait que nous effectuons ce cycle sans relâche de notre naissance à notre mort, un peu malgré nous, comme une nécessité imposée par la nature, peu éveiller l'intuition que ce cycle se déploie sur un arrière-plan de pure conscience. Cet ainsi que peut naître un étonnement et une interrogation concernant la source productrice, l'origine créatrice de cet étrange cycle. Qui veille ? Qui dort ? Qui rêve ? ne sont que des modulations autour de la question de notre identité essentielle : Qui suis-je ?
Dans la perspective de notre propos présent, c'est la question "Qui rêve ?" qui nous intéresse. Et il est encore plus intéressant de se la poser au coeur du rêve, de manière très vivante, en étant parfaitement conscient d'être en train de rêver; dans un rêve parfaitement lucide.
L'expérience du rêve fait l'objet d'une grande variété d'interrogations et d'approches en ce qui concerne son étude. Parmi les chercheurs contemporains qui ont beaucoup contribué à une prise en considération du phénomène du rêve, on a tendance à penser immédiatement à l'approche psychanalytique de Freud et de Jung.
Freud y a vu essentiellement l'expression de dynamismes intra-psychiques et inconscients, la manifestation de résidus diurnes et de situations pas totalement épuisées sur le plan énergétique. Jung a reconnu la possibilité d'avoir accès, par le rêve, à une dimension archétypale et transpersonnelle; d'ouvrir les portes d'un inconscient collectif qui dépasse le simple inconscient personnel. Remarquons au passage que l'on trouve dans des traditions spirituelles (comme celle du yoga par exemple) de loin antérieures aux travaux de chercheurs contemporains plus ou moins illustres, insérée dans une dimension spirituelle, une compréhension très fine de tous les mécanismes et de tous les phénomènes que certains ont pu redécouvrir sans pour autant les situer de manière suffisamment vaste pour qu'ils ne génèrent pas une vue limitée de l'être humain dans laquelle les possibilités les plus sublimes de l'esprit humain se retrouvent comme déniées par principe.
Il existe aussi une autre approche de l'étude des rêves, relativement récente, et c'est celle de l'étude dite ³ scientifique ² du sommeil et des rêves; c'est à dire un ensemble d'observations réfutables sur ces phénomènes non plus considérés uniquement sous l'angle subjectif mais sur lesquels on s'applique à prendre des mesures et à appliquer d'autres corps de savoir (neurosciences, biologie moléculaire, etc.). Cet approche nous paraît être porteuse d'un bienfait : elle a évacué toutes les superstitions et les approximations relatives à l'étude du rêve. Cependant, le fait est que cette approche scientifique de l'étude du rêve idolâtre le cerveau d'une manière qui n'apparaît aucunement suspecte et qui n'est presque jamais dénoncée. Dans cette optique réductionniste, mécaniste et matérialiste (qui constitue, à l'heure ou est écrite cette thèse, le noyau dur de la représentation de l'être humain entretenue par les institutions scientifiques et universitaires qui dépendent du pouvoir dans les pays occidentaux), le caractère profondément inexplicable du miracle infini de la conscience est évacué. L'eau du bain (les superstitions et les préjugés) est jetée avec le bébé (le mystère insondable de la conscience). Autre bienfait de l'étude scientifique des rêves, et non des moindres : la reconnaissance et l'objectivation du phénomène du rêve lucide qui a entraîné un renouveau de l'étude du rêve sous un autre angle, ainsi que l'éveil d'un intérêt pour les traditions spirituelles dans lesquelles le rêve lucide fait l'objet d'une pratique codifiée de grande valeur.
Il semble intéressant de montrer que pour beaucoup de chercheurs et de penseurs le rêve lucide a été considéré comme une impossibilité de principe ou comme une donnée expérimentale manquante qui les a empêché d'accéder à une autre compréhension du phénomène du rêve. Cette carence de reconnaissance vis à vis de la possibilité extraordinaire qu'est le rêve lucide charrie avec elle l'absence de considérations chez ces mêmes penseurs et chercheurs sur la possibilité d'un éveil à une pure conscience de soi qui amènerait avec elle une mutation et un renouveau de notre expérience de l'identité, du temps et de l'espace.
Il nous apparaît utile de passer en revue un certain nombre de points de vue sur le rêve qui vont dans le sens d'une contestation - implicite ou explicite - du rêve lucide. Ceci nous permettra par la suite de mieux apprécier le fait que le rêve lucide, tout comme l'étonnement d'être conscient, ne va absolument pas de soi.

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