CONSCIENCE PARALLÈLE

par Marcel Divianadin

 

 

La rame lâchait des jets d'eau enfiévrés. Ses saccades découpaient le rythme des moulins en parcelles autonomes qui voltigeaient autour de l'engin, ce qui sert à moduler la distance, j'en oublie toujours le nom. Mais vous voyez de quoi je veux parler. Au bout de quelques minutes l'éclairage s'intensifia, se densifia et se donna en pâture à la moindre parcelle en sifflant.

Mike murmurait : " Voilà donc à quoi ressemble un univers parallèle. Comment peut-on décrire ça ? C'est impossible. "

Il avait dit l'essentiel. Nous n'étions pas maître de diriger les supports éthérés qui véhiculaient nos consciences. D'ailleurs nous n'aurions pas su nous diriger.

" C'est comme si les sens ne nous servaient à rien, Mike. Ou plutôt comme s'ils déformaient la réalité. "

Autour de nous s'essuyaient des rince-phoniques. Un éclat de rire tourbillonna, s'empiffra de lumière et s'en fut la main dans la main de l'obscurité tardive. Je me sentais chavirer. Mike avait encore la force de me faire des objections.

" Mais non, Jon. Les supports éthérés que nous empruntons tandis que nos corps restent là-bas, dans notre univers, n'ont pas de sens. C'est nous qui les restituons dans l'image mentale que nous tentons de nous faire de cet.... endroit. Essaie de me décrire ce que tu ressens. Nous pourrons peut-être comparer.

– Mike, je t'en prie. "

Des yeux rouges voletaient sur des cordes de musique dont les harmonies glissaient entre les feuilles d'un éclair noir. Sous ma forme présente je ne pouvais voir Mike : nous étions tous deux de simples fantômes, des fantômes en connexion mentale. Y en avait-il d'autres dans ce monde dément ? Je vis le concept de conflit se faufiler entre un emballage de résolution et une toupie d'apothéose. Bien que difficile à saisir l'ensemble me faisait l'effet d'un vaste champignon.

Il y avait deux possibilités, me semblait-il. Ou bien tout cela était parfaitement incohérent pour des esprits comme les nôtres et il était inutile que nous risquions notre santé mentale, ou bien c'était cohérent mais nous n'arrivions pas à trouver la clef. Dans les deux cas le retour à notre univers d'origine était recommandé. Je fis part de ma suggestion à Mike.

Il ne répondit pas.

J'essayai encore. Un sentiment d'implosion improvisée à cinq doigts s'expulsa d'une conscience ridée dont se détachaient les parcelles autonomes qui en profitaient pour voltiger autour de vous savez quoi.

Une voie droite s'allongea à travers la certitude d'un doute hyperboréen. Une note musicalesque intestina le rebord du septenet. Impression atroce : sans comprendre cet univers je m'habituais de mieux en mieux à son cauchemar. Les parcelles autonomes m'étaient maintenant plus que familières. Je fis un effort pour hurler mais, sous cette forme, c'était impossible.

Et je vis passer Mike.

Ce qui était aberrant pour deux raisons. D'une part, il n'existait dans cet univers qu'à l'état de fantôme. D'autre part, je le reconnus alors que... alors que ce que je considérais comme étant Mike se déplaçait sous la forme d'un ectoplasme rythmique balayé par l'impression des temps à venir qui lui striaient le dos d'une indéfinité apoplectique.

Je ne sais pas comment je fis, mais je reconnus Mike. Preuve que je m'habituais vraiment trop bien a cet univers.

*

J'ouvris les yeux sur un monde de circuits électriques et les techniciens se précipitèrent pour me libérer de tous les fils métalliques qui m'entravaient. Avant même qu'ils n'aient terminé de me détacher, je leur demandais :

" Et Mike ? "

Leurs visages se firent contrits. " Il s'est passé quelque chose. Sa conscience a rompu le contact avec son corps. Il est mort. "

Je fermai les yeux un instant. Non, il n'était pas mort.

C'était bien pire.

 

 

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