OVNI et PSI François Favre |
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Avis aux lecteurs : A la suite de Freud, le paradigme dominant veut que le rêve ne soit que personnel et traduise le passé du rêveur. Les faits paranormaux, qu'on les recueille dans l'actualité, l'histoire ou les sociétés sans écriture, infirment totalement ce point de vue. Il existe d'abord un continuum entre rêve individuel, rêve de groupe et rêve archétypique, le moi réel (discontinu, local) étant aboli en rêve au profit d'un moi imaginaire (continu, global). Et l'on a pu recenser des hallucinations de mêmes types. Ceci implique que, pour le groupe ou la société considérée, l'hallucination intersubjective a un caractère absolument objectif. Il n'y a donc pas de réalité en soi, mais seulement perçue, chacun la voyant à travers les lunettes de ses croyances. Ensuite, tous les rêves qui ne font que reproduire du passé signent simplement la fascination du rêveur pour son propre passé : conflit dont on ne trouve pas la solution, complaisance névrotique, sénilité, etc. Bien entendu, la représentation du passé est d'une très grande utilité dans la vie réelle. Mais considérer que l'intentionnalité obéit à un déterminisme causal est un pur contresens. Le propre de celle-ci est en effet de se donner un but ultérieur, lequel rétro-détermine des moyens, par exemple des souvenirs quand on vise une simple efficacité objective. Mais, même dans ce cas, la représentation est déterminée par ce but ultérieur. Autrement dit, le temps est inversé dans le monde subjectif. Toute représentation imaginaire est donc prémonitoire dans le monde virtuel où elle se produit, lequel peut ou non coïncider avec le passé ou le futur réel, selon le but, initial mais futur, qu'un individu, un groupe ou une société se sera donné. F.F. Bertrand Méheust, lun des meilleurs ufologues actuels, a publié deux brillants ouvrages sur le sujet, Science-Fiction et Soucoupes volantes (Mercure de France, 1978. En abrégé : SF) et Soucoupes volantes et Folklore (id., 1985), réédité chez Imago en 1992, avec une importante préface, sous le titre En soucoupes volantes : vers une ethnologie des récits denlèvement (En abr. : SV). Je partage la plupart des conclusions de lauteur. Aussi, plutôt que dexposer ce que nous avons en commun, voudrais-je, en tant que parapsychologue, proposer au premier degré des réponses à des questions laissées en suspens, et expliciter au second nos différents, qui font que lun est ufologue et lautre parapsychologue. I. ASPECTS SUBJECTIFS DU PHENOMENE OVNI Un préalable dabord : quest-ce quun être pensant, un sujet ? Cest un être qui produit du sens, doué dintentionnalité. Méheust, bien sûr, ne lignore pas (SF p.303), mais ne le pose pas en principe ; or, si notre pensée nest pas libre, ce que nous disons ou faisons na pas de sens. Tout individu se donne une fin ultime qui détermine en retour des moyens. Autrement dit, la pensée a une propriété physique essentielle : elle fonctionne en temps inversé. Cest ce quon peut appeler la finalité intrinsèque ou immanente. A. Limmanence Cette définition de principe explique très simplement le fait que les personnes « ravies » par des soucoupes déclarent généralement par la suite, sous hypnose, avoir déjà été enlevées (SV p.XV). Outre linduction banale du psy de service (SV p.105-109), il faut rappeler lautonomie bien connue des complexes inconscients (les « personnalités secondes ») qui, tout comme le moi conscient en général ou les spécialistes de sciences historiques, reconstruisent en permanence le passé. Lhypothèse « engrammatique », relative à la mémoire, est dailleurs totalement abandonnée par les spécialistes, même matérialistes (Changeux, par exemple). Il est certain que les souvenirs nont pas la moindre objectivité spatiale (cérébrale ou génétique) : ce sont irréductiblement des moyens, des tendances subjectives, des configurations dynamiques virtuelles. Physiologiquement parlant, il ny a pas au rêve dexplication causale1 (cest-à-dire par informations circulant du passé vers le futur), au mythe a fortiori. On peut, avec Jung, considérer que le rêve compense le réel. Mais cette compensation est créatrice et très générale. Une personne qui a soif ne rêve pas nécessairement quelle boit. Limaginaire satisfait dabord son propre besoin, qui est de créer. A une dame qui déclarait à Picasso ne pas comprendre son tableau, le peintre, exaspéré, répliqua : « Il ne manquerait plus que ça. Est-ce que vous comprenez le chant des oiseaux ? Hein ? ... Et les pommes frites ? Vous les comprenez, les pommes frites ? » Un rêve nest pas nécessairement un produit de la mémoire ; il est toujours par contre le produit dune intention, la vision dun avenir potentiel, qui pourra ou non coïncider avec un présent réel ultérieur. B. La transcendance Certains contactés qui ne connaissaient rien aux ovnis (des Papous par exemple : SF p.217) décrivent pourtant parfois des scénarios types. Nul besoin pour expliquer cela davoir recours a priori à quelque hypothèse archétypique qui travaillerait causalement lespèce : le scénario type correspond simplement à ce que le contacté pourrait entendre ou lire ultérieurement. Et lon ne voit pas pourquoi lassociation dune prémonition à une activité médiatique transmuterait celle-ci en mythe. Pour un parapsychologue, la situation est exactement la même que dans certains cas de hantises de lieu, où cest à lévidence létat existentiel présent du sujet qui est déterminant, et non quelque énigmatique force tellurique, physique ou morale. La querelle du platonisme, du culturalisme, des universaux, des archétypes (SV p.160, 180) tombe dès quon considère les mythes comme des points de convergence finaliste, cest-à-dire issus dindividus et gratuits. De ce point de vue, lexistence est partout et lessence nulle part. Plus exactement, les universaux se trouvent dans lavenir quon se construit : cest le principe même de lart et de la morale. Savoir, en particulier, si la transe est pathologique ou non est une querelle dintellectuels certes (SV p.181), mais aussi de pouvoirs. Lindividu seul, non la médecine, est à même de dire sil est sain ou malade : même infirme, lindividu qui réalise pour lui lessentiel se considère comme sain. Une société évolutive ne dicte ses normes quà ses membres irresponsables. II. ASPECTS OBJECTIFS Méheust constate que les plasmoïdes aériens (par exemple la foudre globulaire) sont susceptibles deffets somatiques et psychiques similaires à certains cas denlèvements ; mais il se refuse à généraliser à partir dune argumentation erronée (SV p.103-104). En effet, sil nexiste pas actuellement de modèle physique satisfaisant de ces plasmoïdes, cest parce que leurs effets sont aussi divers quétranges, et non parce quils sont mal connus2. Et Méheust omet en outre de préciser que ces plasmoïdes peuvent également produire tous les effets physiques et perceptifs attribués aux ovnis en vol ou au sol (y compris celui dêtre perçu autrement que visuellement). Méheust, en accord avec tous les ufologues, oppose les « vraies » soucoupes observées aux projections sur des objets insolites (SV p. 97-101). Si les soucoupes sont des significations, cette distinction nest pas pertinente. Et si ce sont des objets, comment les distingue-t-il des plasmoïdes aériens ? Par lexistence de relations intentionnelles, voire paranormales, entre soucoupe et observateur ? Mais les témoins de manifestations plasmoïdes signalent ces mêmes relations et, parfois même, dans un contexte explicitement étranger à la religion, la parapsychologie et lufologie. III. ASPECTS COMPLEMENTAIRES Des considérations précédentes, je conclus non pas que le phénomène ovni est mystérieux parce que contradictoire, mais quil est irréductiblement objectif et subjectif, réel et imaginaire, actif et passif, causal et final. Il appartient ainsi au large registre des significations. Et la seule discipline à étudier toutes les significations inhabituelles (ou « coïncidences significatives ») dun point de vue à la fois physique et mental, cest la parapsychologie. A. La suggestion Méheust déclare que lhallucination collective est inconnue des psy (SV p.184). Elle nest inconnue que de lorthodoxie contemporaine. La plupart des psychiatres hospitaliers du XIXe siècle spécialisés dans le somnambulisme ont signalé des hallucinations collectives dans les salles communes dhystériques. Tous les parapsychologues qui ont étudié des cas spontanés de hantises les ont également constatées ; et parmi ceux qui ont tenté des les reproduire avec des médiums spirites, au tournant du siècle dernier, certains ont pu prouver que ces hallucinations étaient parfois matérialisées (ce que Richet nomma ectoplasmie3). On ne sen étonnera pas puisquune signification nest objective que pour ceux qui y croient. Par ailleurs, quon fasse une étude comparative des apparitions collectives dans lhistoire ou quon se limite aux ectoplasmies expérimentales, ces phénomènes ont à la fois toutes les propriétés du rêve et toutes celles dun plasmoïde aérien4. En plusieurs passages de ses ouvrages, Méheust analyse très finement le merveilleux occidental (par exemple SF p. 57), cet amalgame confus de scientisme et doccultisme. Mais ce merveilleux se retrouve dans toutes les cultures, particulièrement à propos de médecine, où l'on peut et l'on doit, en tant que chercheur, strictement dissocier dans un premier temps ce qui relève de techniques (causales) et de rituels (finals). La chirurgie et lallopathie sont efficaces même sur un comateux ; les médecines parallèles, lhypnose et les psychothérapies ne fonctionnent par contre quavec des sujets activement croyants : ce sont des placebos5. Les apparitions relèvent du même schéma explicatif : on peut méthodologiquement opposer deux extrêmes (le rêve individuel à la foudre globulaire, en tant que simple objet physique), bien que limmense majorité des apparitions se situe à lévidence entre les deux. Mais, épistémologiquement, lapparition ovni -comme une maladie ou une thérapeutique- est une signification, un processus dynamique et réversible entre signifiant et signifié, qui déborde le dualisme objet/sujet. Signifiant et signifié ne sont pas exclusifs lun de lautre, ils ne sadditionnent pas : comme linné et lacquis, ils se juxtaposent, ils sont complémentaires. (L'inné n'est pas en effet de l'ordre du savoir, mais de l'intentionnalité : c'est seulement une aptitude à acquérir de l'information. Et c'est pourquoi d'ailleurs nature et culture sont indissociables.) A propos de la crise existentielle que traverseraient la plupart des contactés, Méheust (SV p.122-124) sinterroge sur les raisons pour lesquelles « telle personne extériorise et dramatise ses problèmes de la sorte, quand la plupart se contente de lalcool ou dun ulcère destomac. [...] Il faudrait comprendre comment cette synthèse soudaine de tout un bain culturel a pu seffectuer, pouvoir décrire heure par heure comment la soucoupe a "pris" ». Si un même conflit sexprime de façon différente selon les individus, cest précisément parce que ce sont des individus et que leur imagination est souveraine. Il est parfaitement illusoire de croire quun jour les psychologues ou les sociologues pourront prédire rationnellement lavenir puisque cette éventualité exclut ipso facto le sens. La prédiction ne joue quen cas daliénation de limaginaire par le réel, cest-à-dire en pathologie. Les physiciens prédisent parce quils évincent le sujet, parce quils étudient la mort. Mais les darwinistes, comme les cosmologistes ou les historiens, nont eu et nauront jamais la moindre prédiction à leur actif. Le caractère relativement autonome de la manifestation ovni (SV p.V-VI) est un trait spécifique du vivant : il signe une intentionnalité. On le trouve aussi bien chez autrui que dans nos personnages oniriques. Tant quon raisonne en tiers exclu (ou bien lovni est une production de notre inconscient, ou bien cest un phénomène physique qui contraint notre imaginaire), le problème est parfaitement insoluble puisque les faits certifient le contraire. Si lon considère par contre que lovni est une signification (dynamique et réversible), alors les deux hypothèses sont strictement équivalentes et lalternative na dintérêt que taxinomique. Dans ce cadre restreint, on peut effectivement répondre à la question « En quoi le phénomène ovni est-il une signification inhabituelle ? ». Parce que les processus habituels de signification sont inversés : soit que le sujet projette et introjette spontanément, soit quun objet ou une situation extérieure le lui impose. Quant à distinguer entre les deux ... B. Réel et imaginaire Chaque vague historique dapparitions (chaque « hantise » sociale), note justement Méheust, est précédée dun « cas fondateur, ouvrant subitement un nouvel espace imaginaire que les acteurs se mettent aussitôt à explorer et coloniser. Très vite un monde de rêves, daffects, de spéculations se met en place. Très vite ce monde se détache partiellement de la thématique qui la nourri pour acquérir une sorte dautonomie » (SV p.V). Alors, note lauteur, le phénomène se régule lui-même dans le temps grâce à la « théologie » mise en place. Oui. Mais le fait premier (sur lequel il faut donc travailler) est la constitution du phénomène dans lespace dès que la crédulité populaire se met en branle : ainsi de la contagion dans une foule ou des vagues ovnis. On ne peut, de plus, déduire de lautonomie du phénomène son caractère mythique. Lautonomie caractérise lêtre vivant, ni plus ni moins, tant vis-à-vis dautrui que de lui-même. On ne peut conceptualiser ou agir sans mettre à distance ses perceptions et ses désirs ; mais, inversement, une foule est autonome dans la seule mesure où les individus présents renoncent à eux-mêmes. Le phénomène ovni, sociologiquement, est une rumeur, pas un mythe. Un mythe est une conviction unanime et durable, théologiquement fixée : ainsi, en Occident, du temps univoque. Dans le cas dun événement insolite -et dautant plus que sa proximité représente un danger potentiel-, chaque individu provoque en lui une rumeur, projette un signifié, une explication, cest-à-dire quil émet une hypothèse en partie irrationnelle dont il suppose quelle trouvera confirmation ultérieurement : chaque Papou, en voyant des plasmoïdes, les a associés à la présence également insolite du missionnaire (SF p.217) et non à ses dieux familiers. Ce mécanisme imaginaire est parfaitement banal : cest celui de la création en général (et de la remémoration en particulier). Le parisien qui se trouve nez à nez avec un ovni battant la campagne lattribuera plutôt à un extra-terrestre quà son voisin ; le paysan du Berry fait encore linverse. Mais la présence perceptible dun objet nest pas nécessaire. Une bonne voyante se sert aussi bien des tarots ou de lastrologie quelle sen passe. Le radiesthésiste travaille aussi bien sur place que sur carte. Quon lui suggère verbalement une perception ou une action, lhypnotisé va croire quil les effectue, même si elles sont impossibles. Les suggestions -par définition dynamiques- étant dailleurs efficaces aussi bien sur le passé (doù pseudo-souvenirs) que vers le futur (doù pseudo-décisions), cela montre bien que le temps est réversible dans limaginaire (et non absent, comme le pense Méheust à la suite de Freud : SV p.VI), alors que lespace y est obligatoirement orienté puisquil est occupé par des tendances et non des choses. Pratiquement, cela signifie quen « transes » -en situation insolite-, le sujet projette sur cette situation et croit ainsi voir un objet : il fait localement dans le monde extérieur ce quun rêveur ordinaire fait globalement sur son monde intérieur (Dieu omnipotent, le rêveur crée en effet un monde vivant en sautosuggestionnant ; tout rêve est un ovni). Et cest à mon avis cet écoulement spatial obligé de limaginaire qui explique le caractère fugace et parfois instantané de ses productions : intuition, rêve, souvenir, acte (lexcitation cérébrale motrice), hallucination, télépathie, effet PK, rumeur, apparition matérialisée, etc. C. Entre lostentation et lesquive Le phénomène SV , remarque justement Méheust, défie la loi des grands nombres : jamais on na capturé un ovni ou un occupant, ni même pris une photo rapprochée. Les ufologues (SF p.195,260 ; SV p.50,79), comme dailleurs certains parapsychologues, ont défini cet aspect des cas spontanés comme un jeu caractéristique et mystérieux dostentation-élusivité. Il ny a pas là le moindre mystère, et encore moins de censure à la Freud. La créativité est toujours involontaire : jen vois de bons exemples en sciences humaines où les chercheurs échappent rarement à leffet dexpérimentateur (mais font effectivement tout pour le forclore), et en parapsychologie où les chercheurs obtiennent rarement des effets psi (mais ne sintéressent effectivement guère à leurs échecs). Autrement dit, bien que les fantasmes soucoupistes soient parfois matérialisés, ils nen restent pas moins des rêves, incompatibles par nature avec la conscience de veille. Méheust constate quil y a dautant plus de traces physiques de SV que leur teneur symbolique est faible (SF p.296). Mais cest le cas de tous les phénomènes psi en situation expérimentale, de toutes les significations insolites que lon veut pleinement saisir. On ne peut à la fois regarder un texte, un tableau ou une action symbolique en tant quobjets et se les imaginer en tant que tendances. Il est évidemment facile de photographier une foudre globulaire à cent mètres ; à un mètre, on pense à sa peau et, dedans, on ne peut que fantasmer. Dans une perspective animiste, cest exactement là le principe dincertitude de la physique quantique. Mais pas au sens restreint où lentend Méheust (SF p.280) : lincertitude microphysique ne tient pas seulement à lexpérimentateur mais aussi à la particule. Comme le remarquait Niels Bohr, on peut décortiquer un être vivant pour en dégager tous les déterminismes ; mais, ce faisant, on le tue. Cette remarque sapplique évidemment à toutes les sciences humaines. Et, peut-être, le plasmoïde est-il un processus quantique macroscopique. On peut dailleurs définir un plasma, cet état de très loin le plus répandu dans lunivers (plus de 99% de la matière cosmique), comme de la matière en transes puisque les ions (le viscéral, linconscient, limaginaire) sont en contact direct avec le monde extérieur, sans lintermédiaire « musculo-sensoriel » des électrons. Quoi quil en soit, lapproche expérimentale des apparitions est très difficile puisque les participants doivent dabord se mettre eux-mêmes en transes selon une procédure rituelle qui soit compatible avec une surveillance technique. Elle réussit néanmoins parfois : métapsychistes du début du siècle photographiant des fantômes spirites, rêveurs lucides contemporains et quelques trop rares ufologues qui provoquèrent des apparitions dovnis (Viéroudy par exemple6). Les fantômes spirites nont, objectivement parlant, que très rarement un grand degré de vraisemblance réaliste. En général (particulièrement au vu des photographies dectoplasme) et compte tenu des projections de lexpérimentateur, cette vraisemblance est minimale. Ainsi les corps et les visages peuvent nêtre que des masques bidimensionnels sommaires, la fraude étant bien sûr exclue (cf. à ce sujet les commentaires très pertinents de Méheust : SV p.102). Et cest pourquoi, avec les ovnis comme avec les ectoplasmes, les enregistrements diffèrent souvent de ce que les témoins croient avoir vu (SF p.302). Fait très significatif, un expérimentatrice aussi chevronnée que J.Alexandre-Bisson notait bien parfois la différence entre ce quelle se souvenait avoir vu et les photographies, mais elle nen tirait aucune conclusion : la preuve matérielle lui suffisait7. Il y a là dailleurs comme une fatalité de lexpérimentation en parapsychologie. Tant que les chercheurs ne donneront pas la priorité à la modélisation, il y aura toujours des phénomènes paranormaux nouveaux qui les solliciteront. Doù une fuite en avant, qui fait que le corpus des phénomènes ne cesse de saccroître sans aucun progrès théorique reconnu par la communauté des chercheurs. Le pire est même atteint avec les expérimentalistes contemporains, qui, à la suite de lécole américaine, ne visent -en vain- que la reproductibilité. A une exception près : des expériences de rétro-PK (modification du passé) ont été tentées et réussies. Mais de là à faire admettre que tous les PK soient de ce type... Une signification ne peut être décrite que circulairement : des perceptions entraînent des conceptions qui entraînent à leur tour des croyances, puis des désirs, des actions, des perceptions, etc. Et sur ce cercle dénotatif fleurissent projections, introjections et phénomènes psi. Un exemple entre mille : là où un observateur nocturne constate une luminescence aérienne très dense entourée dun halo, le contacté remarque des hublots et des scaphandres transparents, le spirite distingue des cierges et des suaires tandis que le rêveur ordinaire se contente dimaginer un éclairage à giorno. Une signification ne peut être isolée dans le temps ou dans lespace ; il ny a pas à trancher entre la poule et loeuf. De ce point de vue, un placebo nest pas un objet et le patient nest pas plus dissociable de son thérapeute que lindividu nest isolable dans une foule. Si lespace-temps dune signification est irréductiblement cybernétique (ce dont convient Méheust à propos de mythe : SV p.VI), cela implique bien un certain solipsisme, mais pas celui que notre auteur distingue (SF p.274, 251). Non seulement la logique classique na rien à dire sur lintentionnalité (a fortiori sur la signification), mais de plus les logiques non classiques excluent toutes linversion temporelle. Or une logique de la signification ne peut être que dialectique et personnaliste, puisque le champ subjectif transmet des intentions (personnelles par définition) du futur vers le passé. Une signification, lovni en particulier, est irréductiblement dorigine externe et interne, doù cette complémentarité stricte entre ostentation et esquive. Méheust constate que lovni se comporte exactement comme sil connaissait à lavance les circonstances fortuites où il va se trouver (SF p. 262). En bon français, cela sappelle une conduite prémonitoire ; on la trouve parfois chez les êtres vivants, souvent chez les artistes, constamment dans une foule, chez les somnambules et les personnages oniriques (quils soient ou non matérialisés). IV. LA PORTEE DU PHENOMENE OVNI A. Lhégémonie américaine Méheust remarque que le scénario des enlèvements, quasiment tous américains, sapparente de moins en moins au space opera et de plus en plus à la sorcellerie (SV p.XVI, 105). Ce nest pas faire injure aux peuples du Nouveau Monde (qui sont à lorigine du phénomène ovni) de dire quils sont jeunes. Au nord, le pragmatisme. « Lâme américaine attend toujours confusément la fin de la pensée. Elle rêve dun univers où il ny aurait à la limite que du factuel : actions, faits fortuits, bruits, catastrophes, spectacles, conflagrations, aberrations, rencontres insolites. Et réactions humaines à tout cela : passions, lubricité, interventions de la force et de la volonté pures, elles-mêmes événements, elles-mêmes feux dartifice. Et sil y avait pensée, ce serait un fait parmi dautres » (P.Vadeboncoeur). Mais les Américains sont dualistes ; ils croient aussi en Dieu à 95% et au Diable à 70%, contre 60% et 20% en France. « Toute cette histoire de NDE (expérience proche de la mort) me fait penser aux ovnis, remarquait un Noir. Les Américains veulent coloniser la mort comme ils le font déjà avec lespace. Nous navons pas de passé, il faut bien que nous nous inventions un futur. » Que nous révèlent de lavenir ces enlèvements qui occupent maintenant tout le devant de la scène ? Du sadomasochisme (SV p.90). Ainsi termina lEmpire romain. Si le soucoupisme me suggère quelque chose, cest que le mythe américain touche à sa fin. Quant à lAmérique latine et son réalisme fantastique... « Le Brésil est un pays davenir, disait Claudel, et qui le restera longtemps. » B. Cherchez l'énigme « Si les effets des SV nous paraissent si étranges, cest parce que ces dernières font exactement ce quon attend delles, cest-à-dire quelles se manifestent exactement en fonction du type détrangeté attendu par le siècle » (SF p.86). Je déduis de cette remarque, parfaitement exacte, que le phénomène ovni relève de la rumeur populaire et na donc aucun intérêt historique. Une rumeur, cest de la spiritualité morte, un renoncement de soi au profit de dieux (internes ou externes) quon veut croire autonomes. Méheust y voit au contraire un mythe en gestation (SF p.317,327 ; SV p.XVI), sans quon suive son raisonnement. « Plus les péripéties alléguées heurtent notre sens du possible, dit-il, et plus elles sont banales mythiquement » (SV p.80). Dune part, létrangeté dun récit relève de limagination, pas nécessairement du mythe. De lautre, un sociologue nest pas en droit de parler de banalité mythique à propos dun phénomène objectif quil na pas su prédire ; cest là, comme disait R.Aron, de la prédiction a posteriori. Un deuxième argument est limportance existentielle fréquente de la rencontre pour un contacté (SV p.108, 124) : de quel droit sinon du plus fort vouloir faire dune expérience personnelle, dune « impérience », un mythe décisif pour lavenir de lhumanité ? Construire de lorthodoxie a toujours été le meilleur moyen dévacuer la morale. Méheust fait ici de la théologie, bien quil la dénonce par ailleurs (SV p.VI, 176). En ce sens, lufologie ne sert nullement lhumanité, elle sert les ufologues ; tout comme le freudisme ne sert pas les malades, mais les psychanalystes. Un troisième argument, le plus solide pourrait-on dire, est le caractère matériel du phénomène (SF p.86), ce qui renvoie à la parapsychologie. V. RAPPORTS ENTRE PARAPSYCHOLOGIE ET UFOLOGIE En définissant le phénomène ovni comme lapparition dans lespace, momentanée et parfois matérialisée, de schémas mentaux (SF p.260), Méheust fait entrer celui-ci dans le cadre des hallucinations collectives et des rêves matérialisés étudiés en parapsychologie. Pourquoi alors tient-il à se démarquer de cette dernière ? A. Individuel et collectif La raison essentielle que Méheust invoque est le caractère collectif du phénomène, alors que la parapsychologie ne soccuperait que de phénomènes individuels. Doù sa conclusion : le phénomène est irréductible au psi ou encore, ce qui revient au même, il est le psi par excellence (SF p.293). Cette argumentation ne tient pas. Il existe dabord un très grand nombre de travaux sur laspect collectif du psi ; ensuite et surtout, la priori sociologique -innéiste- nie la liberté individuelle (donc la valeur même des travaux quon préconise) et renvoie aux calendes grecques lapproche physicaliste du phénomène. Autrement dit, cest lindividu qui peut, à l'échelle de l'évolution, expliquer le collectif (et non linverse), que ce collectif soit mental ou physique. Toute la physico-chimie classique, d'ailleurs, est déductible de la physique quantique (qui privilégie lindividu élémentaire) et de la relativité restreinte (qui privilégie les situations individuelles). Cest en vertu du principe énoncé ci-dessus quon na jamais pu (et quon ne pourra jamais) démontrer linnéité dune structure imaginaire : nous ne constatons chacun une causalité matérielle (contraignante, transcendantale, innée) que parce que notre imagination personnelle peut sen affranchir, est susceptible donc de finalité spirituelle (libre, immanente, acquise). La psychiatrie ne laisse planer aucun doute à ce sujet : il nexiste aucune maladie mentale, nosographiquement définie, qui soit dorigine génétique. A fortiori, un malade ne peut trouver dans un archétype inné la solution à son problème existentiel. Dans un de ses ouvrages (dont je nai pas retrouvé la référence), Jung raconte le rêve dun de ses patients, à teneur manifestement mythique mais dont la structure lui était inconnue. Or, ajoute-t-il, quelque temps plus tard, il tomba « par hasard » sur la description du mythe en question dans un livre dégyptologie. La conclusion, inéluctable, est à lopposé de celle du maître zurichois : dune part, Jung avait besoin de se persuader de linnéité des archétypes (il croyait en Dieu) et, de lautre, le patient avait besoin dune telle découverte prémonitoire pour séduire son analyste. Autre exemple : la contagion dans une foule nécessite une participation empathique des individus (ce qui suppose qu'ils aient, au moins temporairement, renoncé à leur moi conscient). Le processus est donc rituel (final) et non technique (causal). Plus généralement, les cas de « télépathie » collective montrent quune hallucination collective ne nécessite pas une contiguïté physique et quelle se rapporte à une fin commune sémantique (la forme des hallucinations pouvant varier dun sujet à lautre). Un dernier exemple, celui-ci neurologique : on peut agir physiquement à distance sur un cerveau implanté délectrodes, au moyen dondes radio. On a pu ainsi provoquer des hallucinations ou déclencher des automatisme moteurs ; mais jamais on na pu imposer une signification. De même avec les psychotropes ou le lavage de cerveau. B. Lapriorisme métaphysique Il existe une seconde raison au rejet par Méheust des acquis de la parapsychologie, et beaucoup plus importante car affective. Un phénomène psi ne prouve rien de plus que la croyance de celui qui en témoigne ; la preuve dune transgression de lois physiques connues est ici dordre moral et non physique (par nature créatif, le psi ne peut par définition être reproductible). Or ce qui frappe chez les ufologues, comme chez les chercheurs spirites ou les spécialistes catholiques des apparitions mariales, cest la censure au second degré quils exercent autour du phénomène qui les intéresse ; car, sur le fond, les théologiens disent exactement ce quattend leur communauté (sans quoi ils ne seraient plus considérés comme tels). Le phénomène conforte chez eux une certaine croyance transcendantale, latente ou non, et propre à leur culture ; aussi, tout aspect du phénomène qui y contreviendrait doit être officiellement considéré comme négligeable ou aberrant, et officieusement comme dangereux. Quoi quils en disent, ce nest pas du tout lexplication du phénomène qui les intéresse, mais le phénomène lui-même en tant que symbole « numineux » (dune volonté cosmique), lourd de révélations miraculeuses dont ils connaissent en fait déjà la teneur. Avant tout, ils aiment leur phénomène ; ils saiment à travers lui. Ainsi Méheust nignore pas les travaux expérimentaux, considérables, que les parapsychologues ont effectué sur lectoplasmie et qui portent à la fois sur ses aspects physiques, physiologiques, psychologiques et sociologiques. Méheust nignore pas non plus que certains ufologues ont tenté et réussi une approche expérimentale du phénomène ovni. Il nen parle tout simplement pas. Pas une ligne. Rien non plus sur le finalisme immanent, linversion temporelle et la transmission dintentions, au coeur pourtant du problème et qui ont donné lieu à dinnombrables publications dans les disciplines les plus diverses. Rien enfin ou presque -bien que Méheust soit philosophe de formation- sur les métaphysiques compatibles, explicitement ou non, avec les phénomènes psi (ou ovni). C. Science et destinée Toutes les apparitions, quels que soient leur lieu ou leur époque dorigine, ont les mêmes propriétés physiques et psychologiques. Tous les phénomènes psi contreviennent de la même manière à la causalité ; aucun donc ne relève dune science de type causal. Cette dernière expression nest pas tautologique. Dabord, les sciences humaines se heurtent à un nombre infini de variables et cest pourquoi toute prédiction relative à une évolution, à une complexification future y est impossible. Mais elles sont capables de rétrodiction à partir des objectifs quelles se donnent : ce sont des sciences à la fois morales et historiques, tout comme lévolutionnisme et la cosmologie. Ensuite, lefficacité dune science peut être purement descriptive ; René Thom, lun des plus grands épistémologues contemporains, a fortement insisté sur ce point8. Et cest bien lobligation dans laquelle semble se trouver le scientifique quand il veut traiter la signification en général. Mais, pour être crédible, il doit paradoxalement la définir impérativement comme personnelle. De plus, toute signification -même habituelle- étant simultanément causale et finale, il est parfaitement illusoire despérer en rendre compte avec les sciences habituelles. Construire de limaginaire sur limaginaire comme le fit Jung ou de la physique sur la physique comme le font encore certains ufologues est une démarche sans espoir. Le problème est dinventer une science de la complémentarité, indifféremment lisible comme une psychologie de la matière ou une physique de limaginaire. Lambition de Méheust, au fond, est de rapporter le phénomène ovni à des « causes subjectives ». Mais lassociation de ces deux termes est aporique. Il y a dune part une finalité (subjective) qui, localement et progressivement, surdétermine des causes (objectives) ; doù la créativité, les mutations, le psi, lhistoire. Et il y a, complémentairement, une causalité (collective) qui, globalement et dégressivement, surdétermine des fins (individuelles) ; doù la raison, limagination réaliste, la mémoire et les sciences dures. Cest dailleurs pourquoi le complémentarisme ne saurait être seulement une métaphysique expérimentale ; il doit être dabord, pour chacun de nous, une discipline de son propre destin. François FAVRE *********** 1. M.Jouvet, Le Sommeil et le Rêve (Points-Odile Jacob, 1993), p. 19, 209-212. 2. Parmi beaucoup douvrages, citons V.Mézentsev, Phénomènes étranges dans latmosphère et sur la terre (Mir, 1970), G.Lehr et A.Michel, Pour ou contre les soucoupes volantes (Berger-Levrault, 1969), C.Flammarion, Le Rêve, la Mort et lUnivers, tome 2 (Kimé, 1992). 3. F.Favre et alii, Que savons-nous sur les fantômes ? (Tchou/Laffont, 1978). 4. F.Favre et alii, Les Apparitions (Tchou/Laffont, 1978) ; G.Titeux, F.Favre et alii, 60 années de parapsychologie (Kimé, 1992). 5. P.-L.Rabeyron et F.Favre, « Rituels et techniques » in LUnivers psycho-corporel, tome 8 (Livre de Paris, 1994). 6. P.Viéroudy, Ces ovnis qui annoncent le surhomme (Tchou, 1977). 7. J.Alexandre-Bisson, Les Phénomènes dits de matérialisation (Alcan, 1914). 8. R.Thom, Prédire nest pas expliquer (Eshel, 1991). |