OVNI et PSI

François Favre

Avis aux lecteurs :

A la suite de Freud, le paradigme dominant veut que le rêve ne soit que personnel et traduise le passé du rêveur. Les faits paranormaux, qu'on les recueille dans l'actualité, l'histoire ou les sociétés sans écriture, infirment totalement ce point de vue.
Il existe d'abord un continuum entre rêve individuel, rêve de groupe et rêve archétypique, le moi réel (discontinu, local) étant aboli en rêve au profit d'un moi imaginaire (continu, global). Et l'on a pu recenser des hallucinations de mêmes types. Ceci implique que, pour le groupe ou la société considérée, l'hallucination intersubjective a un caractère absolument objectif. Il n'y a donc pas de réalité en soi, mais seulement perçue, chacun la voyant à travers les lunettes de ses croyances.
Ensuite, tous les rêves qui ne font que reproduire du passé signent simplement la fascination du rêveur pour son propre passé : conflit dont on ne trouve pas la solution, complaisance névrotique, sénilité, etc. Bien entendu, la représentation du passé est d'une très grande utilité dans la vie réelle. Mais considérer que l'intentionnalité obéit à un déterminisme causal est un pur contresens. Le propre de celle-ci est en effet de se donner un but ultérieur, lequel rétro-détermine des moyens, par exemple des souvenirs quand on vise une simple efficacité objective. Mais, même dans ce cas, la représentation est déterminée par ce but ultérieur. Autrement dit, le temps est inversé dans le monde subjectif. Toute représentation imaginaire est donc prémonitoire dans le monde virtuel où elle se produit, lequel peut ou non coïncider avec le passé ou le futur réel, selon le but, initial mais futur, qu'un individu, un groupe ou une société se sera donné.
F.F.



Bertrand Méheust, l’un des meilleurs ufologues actuels, a publié deux brillants ouvrages sur le sujet, Science-Fiction et Soucoupes volantes (Mercure de France, 1978. En abrégé : SF) et Soucoupes volantes et Folklore (id., 1985), réédité chez Imago en 1992, avec une importante préface, sous le titre En soucoupes volantes : vers une ethnologie des récits d’enlèvement (En abr. : SV). Je partage la plupart des conclusions de l’auteur. Aussi, plutôt que d’exposer ce que nous avons en commun, voudrais-je, en tant que parapsychologue, proposer au premier degré des réponses à des questions laissées en suspens, et expliciter au second nos différents, qui font que l’un est ufologue et l’autre parapsychologue.


I. ASPECTS SUBJECTIFS DU PHENOMENE OVNI

Un préalable d’abord : qu’est-ce qu’un être pensant, un sujet ? C’est un être qui produit du sens, doué d’intentionnalité. Méheust, bien sûr, ne l’ignore pas (SF p.303), mais ne le pose pas en principe ; or, si notre pensée n’est pas libre, ce que nous disons ou faisons n’a pas de sens. Tout individu se donne une fin ultime qui détermine en retour des moyens. Autrement dit, la pensée a une propriété physique essentielle : elle fonctionne en temps inversé. C’est ce qu’on peut appeler la finalité intrinsèque ou immanente.

A. L’immanence
Cette définition de principe explique très simplement le fait que les personnes « ravies » par des soucoupes déclarent généralement par la suite, sous hypnose, avoir déjà été enlevées (SV p.XV). Outre l’induction banale du psy de service (SV p.105-109), il faut rappeler l’autonomie bien connue des complexes inconscients (les « personnalités secondes ») qui, tout comme le moi conscient en général ou les spécialistes de sciences historiques, reconstruisent en permanence le passé. L’hypothèse « engrammatique », relative à la mémoire, est d’ailleurs totalement abandonnée par les spécialistes, même matérialistes (Changeux, par exemple). Il est certain que les souvenirs n’ont pas la moindre objectivité spatiale (cérébrale ou génétique) : ce sont irréductiblement des moyens, des tendances subjectives, des configurations dynamiques virtuelles.
Physiologiquement parlant, il n’y a pas au rêve d’explication causale1 (c’est-à-dire par informations circulant du passé vers le futur), au mythe a fortiori. On peut, avec Jung, considérer que le rêve compense le réel. Mais cette compensation est créatrice et très générale. Une personne qui a soif ne rêve pas nécessairement qu’elle boit. L’imaginaire satisfait d’abord son propre besoin, qui est de créer. A une dame qui déclarait à Picasso ne pas comprendre son tableau, le peintre, exaspéré, répliqua : « Il ne manquerait plus que ça. Est-ce que vous comprenez le chant des oiseaux ? Hein ? ... Et les pommes frites ? Vous les comprenez, les pommes frites ? » Un rêve n’est pas nécessairement un produit de la mémoire ; il est toujours par contre le produit d’une intention, la vision d’un avenir potentiel, qui pourra ou non coïncider avec un présent réel ultérieur.

B. La transcendance
Certains contactés qui ne connaissaient rien aux ovnis (des Papous par exemple : SF p.217) décrivent pourtant parfois des scénarios types. Nul besoin pour expliquer cela d’avoir recours a priori à quelque hypothèse archétypique qui travaillerait causalement l’espèce : le scénario type correspond simplement à ce que le contacté pourrait entendre ou lire ultérieurement. Et l’on ne voit pas pourquoi l’association d’une prémonition à une activité médiatique transmuterait celle-ci en mythe. Pour un parapsychologue, la situation est exactement la même que dans certains cas de hantises de lieu, où c’est à l’évidence l’état existentiel présent du sujet qui est déterminant, et non quelque énigmatique force tellurique, physique ou morale.
La querelle du platonisme, du culturalisme, des universaux, des archétypes (SV p.160, 180) tombe dès qu’on considère les mythes comme des points de convergence finaliste, c’est-à-dire issus d’individus et gratuits. De ce point de vue, l’existence est partout et l’essence nulle part. Plus exactement, les universaux se trouvent dans l’avenir qu’on se construit : c’est le principe même de l’art et de la morale.
Savoir, en particulier, si la transe est pathologique ou non est une querelle d’intellectuels certes (SV p.181), mais aussi de pouvoirs. L’individu seul, non la médecine, est à même de dire s’il est sain ou malade : même infirme, l’individu qui réalise pour lui l’essentiel se considère comme sain. Une société évolutive ne dicte ses normes qu’à ses membres irresponsables.


II. ASPECTS OBJECTIFS

Méheust constate que les plasmoïdes aériens (par exemple la foudre globulaire) sont susceptibles d’effets somatiques et psychiques similaires à certains cas d’enlèvements ; mais il se refuse à généraliser à partir d’une argumentation erronée (SV p.103-104). En effet, s’il n’existe pas actuellement de modèle physique satisfaisant de ces plasmoïdes, c’est parce que leurs effets sont aussi divers qu’étranges, et non parce qu’ils sont mal connus2. Et Méheust omet en outre de préciser que ces plasmoïdes peuvent également produire tous les effets physiques et perceptifs attribués aux ovnis en vol ou au sol (y compris celui d’être perçu autrement que visuellement).
Méheust, en accord avec tous les ufologues, oppose les « vraies » soucoupes observées aux projections sur des objets insolites (SV p. 97-101). Si les soucoupes sont des significations, cette distinction n’est pas pertinente. Et si ce sont des objets, comment les distingue-t-il des plasmoïdes aériens ? Par l’existence de relations intentionnelles, voire paranormales, entre soucoupe et observateur ? Mais les témoins de manifestations plasmoïdes signalent ces mêmes relations et, parfois même, dans un contexte explicitement étranger à la religion, la parapsychologie et l’ufologie.


III. ASPECTS COMPLEMENTAIRES

Des considérations précédentes, je conclus non pas que le phénomène ovni est mystérieux parce que contradictoire, mais qu’il est irréductiblement objectif et subjectif, réel et imaginaire, actif et passif, causal et final. Il appartient ainsi au large registre des significations. Et la seule discipline à étudier toutes les significations inhabituelles (ou « coïncidences significatives ») d’un point de vue à la fois physique et mental, c’est la parapsychologie.

A. La suggestion
Méheust déclare que l’hallucination collective est inconnue des psy (SV p.184). Elle n’est inconnue que de l’orthodoxie contemporaine. La plupart des psychiatres hospitaliers du XIXe siècle spécialisés dans le somnambulisme ont signalé des hallucinations collectives dans les salles communes d’hystériques. Tous les parapsychologues qui ont étudié des cas spontanés de hantises les ont également constatées ; et parmi ceux qui ont tenté des les reproduire avec des médiums spirites, au tournant du siècle dernier, certains ont pu prouver que ces hallucinations étaient parfois matérialisées (ce que Richet nomma ectoplasmie3). On ne s’en étonnera pas puisqu’une signification n’est objective que pour ceux qui y croient.
Par ailleurs, qu’on fasse une étude comparative des apparitions collectives dans l’histoire ou qu’on se limite aux ectoplasmies expérimentales, ces phénomènes ont à la fois toutes les propriétés du rêve et toutes celles d’un plasmoïde aérien4.
En plusieurs passages de ses ouvrages, Méheust analyse très finement le merveilleux occidental (par exemple SF p. 57), cet amalgame confus de scientisme et d’occultisme. Mais ce merveilleux se retrouve dans toutes les cultures, particulièrement à propos de médecine, où l'on peut et l'on doit, en tant que chercheur, strictement dissocier dans un premier temps ce qui relève de techniques (causales) et de rituels (finals). La chirurgie et l’allopathie sont efficaces même sur un comateux ; les médecines parallèles, l’hypnose et les psychothérapies ne fonctionnent par contre qu’avec des sujets activement croyants : ce sont des placebos5. Les apparitions relèvent du même schéma explicatif : on peut méthodologiquement opposer deux extrêmes (le rêve individuel à la foudre globulaire, en tant que simple objet physique), bien que l’immense majorité des apparitions se situe à l’évidence entre les deux. Mais, épistémologiquement, l’apparition ovni -comme une maladie ou une thérapeutique- est une signification, un processus dynamique et réversible entre signifiant et signifié, qui déborde le dualisme objet/sujet. Signifiant et signifié ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, ils ne s’additionnent pas : comme l’inné et l’acquis, ils se juxtaposent, ils sont complémentaires. (L'inné n'est pas en effet de l'ordre du savoir, mais de l'intentionnalité : c'est seulement une aptitude à acquérir de l'information. Et c'est pourquoi d'ailleurs nature et culture sont indissociables.)
A propos de la crise existentielle que traverseraient la plupart des contactés, Méheust (SV p.122-124) s’interroge sur les raisons pour lesquelles « telle personne extériorise et dramatise ses problèmes de la sorte, quand la plupart se contente de l’alcool ou d’un ulcère d’estomac. [...] Il faudrait comprendre comment cette synthèse soudaine de tout un bain culturel a pu s’effectuer, pouvoir décrire heure par heure comment la soucoupe a "pris" ». Si un même conflit s’exprime de façon différente selon les individus, c’est précisément parce que ce sont des individus et que leur imagination est souveraine. Il est parfaitement illusoire de croire qu’un jour les psychologues ou les sociologues pourront prédire rationnellement l’avenir puisque cette éventualité exclut ipso facto le sens. La prédiction ne joue qu’en cas d’aliénation de l’imaginaire par le réel, c’est-à-dire en pathologie. Les physiciens prédisent parce qu’ils évincent le sujet, parce qu’ils étudient la mort. Mais les darwinistes, comme les cosmologistes ou les historiens, n’ont eu et n’auront jamais la moindre prédiction à leur actif.
Le caractère relativement autonome de la manifestation ovni (SV p.V-VI) est un trait spécifique du vivant : il signe une intentionnalité. On le trouve aussi bien chez autrui que dans nos personnages oniriques.
Tant qu’on raisonne en tiers exclu (ou bien l’ovni est une production de notre inconscient, ou bien c’est un phénomène physique qui contraint notre imaginaire), le problème est parfaitement insoluble puisque les faits certifient le contraire. Si l’on considère par contre que l’ovni est une signification (dynamique et réversible), alors les deux hypothèses sont strictement équivalentes et l’alternative n’a d’intérêt que taxinomique. Dans ce cadre restreint, on peut effectivement répondre à la question « En quoi le phénomène ovni est-il une signification inhabituelle ? ». Parce que les processus habituels de signification sont inversés : soit que le sujet projette et introjette spontanément, soit qu’un objet ou une situation extérieure le lui impose. Quant à distinguer entre les deux ...

B. Réel et imaginaire
Chaque vague historique d’apparitions (chaque « hantise » sociale), note justement Méheust, est précédée d’un « cas fondateur, ouvrant subitement un nouvel espace imaginaire que les acteurs se mettent aussitôt à explorer et coloniser. Très vite un monde de rêves, d’affects, de spéculations se met en place. Très vite ce monde se détache partiellement de la thématique qui l’a nourri pour acquérir une sorte d’autonomie » (SV p.V). Alors, note l’auteur, le phénomène se régule lui-même dans le temps grâce à la « théologie » mise en place. Oui. Mais le fait premier (sur lequel il faut donc travailler) est la constitution du phénomène dans l’espace dès que la crédulité populaire se met en branle : ainsi de la contagion dans une foule ou des vagues ovnis.
On ne peut, de plus, déduire de l’autonomie du phénomène son caractère mythique. L’autonomie caractérise l’être vivant, ni plus ni moins, tant vis-à-vis d’autrui que de lui-même. On ne peut conceptualiser ou agir sans mettre à distance ses perceptions et ses désirs ; mais, inversement, une foule est autonome dans la seule mesure où les individus présents renoncent à eux-mêmes. Le phénomène ovni, sociologiquement, est une rumeur, pas un mythe. Un mythe est une conviction unanime et durable, théologiquement fixée : ainsi, en Occident, du temps univoque.
Dans le cas d’un événement insolite -et d’autant plus que sa proximité représente un danger potentiel-, chaque individu provoque en lui une rumeur, projette un signifié, une explication, c’est-à-dire qu’il émet une hypothèse en partie irrationnelle dont il suppose qu’elle trouvera confirmation ultérieurement : chaque Papou, en voyant des plasmoïdes, les a associés à la présence également insolite du missionnaire (SF p.217) et non à ses dieux familiers. Ce mécanisme imaginaire est parfaitement banal : c’est celui de la création en général (et de la remémoration en particulier). Le parisien qui se trouve nez à nez avec un ovni battant la campagne l’attribuera plutôt à un extra-terrestre qu’à son voisin ; le paysan du Berry fait encore l’inverse.
Mais la présence perceptible d’un objet n’est pas nécessaire. Une bonne voyante se sert aussi bien des tarots ou de l’astrologie qu’elle s’en passe. Le radiesthésiste travaille aussi bien sur place que sur carte. Qu’on lui suggère verbalement une perception ou une action, l’hypnotisé va croire qu’il les effectue, même si elles sont impossibles.
Les suggestions -par définition dynamiques- étant d’ailleurs efficaces aussi bien sur le passé (d’où pseudo-souvenirs) que vers le futur (d’où pseudo-décisions), cela montre bien que le temps est réversible dans l’imaginaire (et non absent, comme le pense Méheust à la suite de Freud : SV p.VI), alors que l’espace y est obligatoirement orienté puisqu’il est occupé par des tendances et non des choses. Pratiquement, cela signifie qu’en « transes » -en situation insolite-, le sujet projette sur cette situation et croit ainsi voir un objet : il fait localement dans le monde extérieur ce qu’un rêveur ordinaire fait globalement sur son monde intérieur (Dieu omnipotent, le rêveur crée en effet un monde vivant en s’autosuggestionnant ; tout rêve est un ovni). Et c’est à mon avis cet écoulement spatial obligé de l’imaginaire qui explique le caractère fugace et parfois instantané de ses productions : intuition, rêve, souvenir, acte (l’excitation cérébrale motrice), hallucination, télépathie, effet PK, rumeur, apparition matérialisée, etc.

C. Entre l’ostentation et l’esquive
Le phénomène SV , remarque justement Méheust, défie la loi des grands nombres : jamais on n’a capturé un ovni ou un occupant, ni même pris une photo rapprochée. Les ufologues (SF p.195,260 ; SV p.50,79), comme d’ailleurs certains parapsychologues, ont défini cet aspect des cas spontanés comme un jeu caractéristique et mystérieux d’ostentation-élusivité. Il n’y a pas là le moindre mystère, et encore moins de censure à la Freud. La créativité est toujours involontaire : j’en vois de bons exemples en sciences humaines où les chercheurs échappent rarement à l’effet d’expérimentateur (mais font effectivement tout pour le forclore), et en parapsychologie où les chercheurs obtiennent rarement des effets psi (mais ne s’intéressent effectivement guère à leurs échecs). Autrement dit, bien que les fantasmes soucoupistes soient parfois matérialisés, ils n’en restent pas moins des rêves, incompatibles par nature avec la conscience de veille. Méheust constate qu’il y a d’autant plus de traces physiques de SV que leur teneur symbolique est faible (SF p.296). Mais c’est le cas de tous les phénomènes psi en situation expérimentale, de toutes les significations insolites que l’on veut pleinement saisir. On ne peut à la fois regarder un texte, un tableau ou une action symbolique en tant qu’objets et se les imaginer en tant que tendances. Il est évidemment facile de photographier une foudre globulaire à cent mètres ; à un mètre, on pense à sa peau et, dedans, on ne peut que fantasmer.
Dans une perspective animiste, c’est exactement là le principe d’incertitude de la physique quantique. Mais pas au sens restreint où l’entend Méheust (SF p.280) : l’incertitude microphysique ne tient pas seulement à l’expérimentateur mais aussi à la particule. Comme le remarquait Niels Bohr, on peut décortiquer un être vivant pour en dégager tous les déterminismes ; mais, ce faisant, on le tue. Cette remarque s’applique évidemment à toutes les sciences humaines. Et, peut-être, le plasmoïde est-il un processus quantique macroscopique. On peut d’ailleurs définir un plasma, cet état de très loin le plus répandu dans l’univers (plus de 99% de la matière cosmique), comme de la matière en transes puisque les ions (le viscéral, l’inconscient, l’imaginaire) sont en contact direct avec le monde extérieur, sans l’intermédiaire « musculo-sensoriel » des électrons.
Quoi qu’il en soit, l’approche expérimentale des apparitions est très difficile puisque les participants doivent d’abord se mettre eux-mêmes en transes selon une procédure rituelle qui soit compatible avec une surveillance technique. Elle réussit néanmoins parfois : métapsychistes du début du siècle photographiant des fantômes spirites, rêveurs lucides contemporains et quelques trop rares ufologues qui provoquèrent des apparitions d’ovnis (Viéroudy par exemple6).
Les fantômes spirites n’ont, objectivement parlant, que très rarement un grand degré de vraisemblance réaliste. En général (particulièrement au vu des photographies d’ectoplasme) et compte tenu des projections de l’expérimentateur, cette vraisemblance est minimale. Ainsi les corps et les visages peuvent n’être que des masques bidimensionnels sommaires, la fraude étant bien sûr exclue (cf. à ce sujet les commentaires très pertinents de Méheust : SV p.102). Et c’est pourquoi, avec les ovnis comme avec les ectoplasmes, les enregistrements diffèrent souvent de ce que les témoins croient avoir vu (SF p.302). Fait très significatif, un expérimentatrice aussi chevronnée que J.Alexandre-Bisson notait bien parfois la différence entre ce qu’elle se souvenait avoir vu et les photographies, mais elle n’en tirait aucune conclusion : la preuve matérielle lui suffisait7. Il y a là d’ailleurs comme une fatalité de l’expérimentation en parapsychologie. Tant que les chercheurs ne donneront pas la priorité à la modélisation, il y aura toujours des phénomènes paranormaux nouveaux qui les solliciteront. D’où une fuite en avant, qui fait que le corpus des phénomènes ne cesse de s’accroître sans aucun progrès théorique reconnu par la communauté des chercheurs. Le pire est même atteint avec les expérimentalistes contemporains, qui, à la suite de l’école américaine, ne visent -en vain- que la reproductibilité. A une exception près : des expériences de rétro-PK (modification du passé) ont été tentées et réussies. Mais de là à faire admettre que tous les PK soient de ce type...
Une signification ne peut être décrite que circulairement : des perceptions entraînent des conceptions qui entraînent à leur tour des croyances, puis des désirs, des actions, des perceptions, etc. Et sur ce cercle dénotatif fleurissent projections, introjections et phénomènes psi. Un exemple entre mille : là où un observateur nocturne constate une luminescence aérienne très dense entourée d’un halo, le contacté remarque des hublots et des scaphandres transparents, le spirite distingue des cierges et des suaires tandis que le rêveur ordinaire se contente d’imaginer un éclairage à giorno. Une signification ne peut être isolée dans le temps ou dans l’espace ; il n’y a pas à trancher entre la poule et l’oeuf. De ce point de vue, un placebo n’est pas un objet et le patient n’est pas plus dissociable de son thérapeute que l’individu n’est isolable dans une foule.
Si l’espace-temps d’une signification est irréductiblement cybernétique (ce dont convient Méheust à propos de mythe : SV p.VI), cela implique bien un certain solipsisme, mais pas celui que notre auteur distingue (SF p.274, 251). Non seulement la logique classique n’a rien à dire sur l’intentionnalité (a fortiori sur la signification), mais de plus les logiques non classiques excluent toutes l’inversion temporelle. Or une logique de la signification ne peut être que dialectique et personnaliste, puisque le champ subjectif transmet des intentions (personnelles par définition) du futur vers le passé. Une signification, l’ovni en particulier, est irréductiblement d’origine externe et interne, d’où cette complémentarité stricte entre ostentation et esquive.
Méheust constate que l’ovni se comporte exactement comme s’il connaissait à l’avance les circonstances fortuites où il va se trouver (SF p. 262). En bon français, cela s’appelle une conduite prémonitoire ; on la trouve parfois chez les êtres vivants, souvent chez les artistes, constamment dans une foule, chez les somnambules et les personnages oniriques (qu’ils soient ou non matérialisés).


IV. LA PORTEE DU PHENOMENE OVNI

A. L’hégémonie américaine
Méheust remarque que le scénario des enlèvements, quasiment tous américains, s’apparente de moins en moins au space opera et de plus en plus à la sorcellerie (SV p.XVI, 105). Ce n’est pas faire injure aux peuples du Nouveau Monde (qui sont à l’origine du phénomène ovni) de dire qu’ils sont jeunes. Au nord, le pragmatisme. « L’âme américaine attend toujours confusément la fin de la pensée. Elle rêve d’un univers où il n’y aurait à la limite que du factuel : actions, faits fortuits, bruits, catastrophes, spectacles, conflagrations, aberrations, rencontres insolites. Et réactions humaines à tout cela : passions, lubricité, interventions de la force et de la volonté pures, elles-mêmes événements, elles-mêmes feux d’artifice. Et s’il y avait pensée, ce serait un fait parmi d’autres » (P.Vadeboncoeur). Mais les Américains sont dualistes ; ils croient aussi en Dieu à 95% et au Diable à 70%, contre 60% et 20% en France. « Toute cette histoire de NDE (expérience proche de la mort) me fait penser aux ovnis, remarquait un Noir. Les Américains veulent coloniser la mort comme ils le font déjà avec l’espace. Nous n’avons pas de passé, il faut bien que nous nous inventions un futur. » Que nous révèlent de l’avenir ces enlèvements qui occupent maintenant tout le devant de la scène ? Du sadomasochisme (SV p.90). Ainsi termina l’Empire romain. Si le soucoupisme me suggère quelque chose, c’est que le mythe américain touche à sa fin. Quant à l’Amérique latine et son réalisme fantastique... « Le Brésil est un pays d’avenir, disait Claudel, et qui le restera longtemps. »

B. Cherchez l'énigme
« Si les effets des SV nous paraissent si étranges, c’est parce que ces dernières font exactement ce qu’on attend d’elles, c’est-à-dire qu’elles se manifestent exactement en fonction du type d’étrangeté attendu par le siècle » (SF p.86). Je déduis de cette remarque, parfaitement exacte, que le phénomène ovni relève de la rumeur populaire et n’a donc aucun intérêt historique. Une rumeur, c’est de la spiritualité morte, un renoncement de soi au profit de dieux (internes ou externes) qu’on veut croire autonomes. Méheust y voit au contraire un mythe en gestation (SF p.317,327 ; SV p.XVI), sans qu’on suive son raisonnement. « Plus les péripéties alléguées heurtent notre sens du possible, dit-il, et plus elles sont banales mythiquement » (SV p.80). D’une part, l’étrangeté d’un récit relève de l’imagination, pas nécessairement du mythe. De l’autre, un sociologue n’est pas en droit de parler de banalité mythique à propos d’un phénomène objectif qu’il n’a pas su prédire ; c’est là, comme disait R.Aron, de la prédiction a posteriori.
Un deuxième argument est l’importance existentielle fréquente de la rencontre pour un contacté (SV p.108, 124) : de quel droit sinon du plus fort vouloir faire d’une expérience personnelle, d’une « impérience », un mythe décisif pour l’avenir de l’humanité ? Construire de l’orthodoxie a toujours été le meilleur moyen d’évacuer la morale. Méheust fait ici de la théologie, bien qu’il la dénonce par ailleurs (SV p.VI, 176). En ce sens, l’ufologie ne sert nullement l’humanité, elle sert les ufologues ; tout comme le freudisme ne sert pas les malades, mais les psychanalystes.
Un troisième argument, le plus solide pourrait-on dire, est le caractère matériel du phénomène (SF p.86), ce qui renvoie à la parapsychologie.


V. RAPPORTS ENTRE PARAPSYCHOLOGIE ET UFOLOGIE

En définissant le phénomène ovni comme l’apparition dans l’espace, momentanée et parfois matérialisée, de schémas mentaux (SF p.260), Méheust fait entrer celui-ci dans le cadre des hallucinations collectives et des rêves matérialisés étudiés en parapsychologie. Pourquoi alors tient-il à se démarquer de cette dernière ?

A. Individuel et collectif
La raison essentielle que Méheust invoque est le caractère collectif du phénomène, alors que la parapsychologie ne s’occuperait que de phénomènes individuels. D’où sa conclusion : le phénomène est irréductible au psi ou encore, ce qui revient au même, il est le psi par excellence (SF p.293). Cette argumentation ne tient pas. Il existe d’abord un très grand nombre de travaux sur l’aspect collectif du psi ; ensuite et surtout, l’a priori sociologique -innéiste- nie la liberté individuelle (donc la valeur même des travaux qu’on préconise) et renvoie aux calendes grecques l’approche physicaliste du phénomène. Autrement dit, c’est l’individu qui peut, à l'échelle de l'évolution, expliquer le collectif (et non l’inverse), que ce collectif soit mental ou physique. Toute la physico-chimie classique, d'ailleurs, est déductible de la physique quantique (qui privilégie l’individu élémentaire) et de la relativité restreinte (qui privilégie les situations individuelles).
C’est en vertu du principe énoncé ci-dessus qu’on n’a jamais pu (et qu’on ne pourra jamais) démontrer l’innéité d’une structure imaginaire : nous ne constatons chacun une causalité matérielle (contraignante, transcendantale, innée) que parce que notre imagination personnelle peut s’en affranchir, est susceptible donc de finalité spirituelle (libre, immanente, acquise). La psychiatrie ne laisse planer aucun doute à ce sujet : il n’existe aucune maladie mentale, nosographiquement définie, qui soit d’origine génétique. A fortiori, un malade ne peut trouver dans un archétype inné la solution à son problème existentiel. Dans un de ses ouvrages (dont je n’ai pas retrouvé la référence), Jung raconte le rêve d’un de ses patients, à teneur manifestement mythique mais dont la structure lui était inconnue. Or, ajoute-t-il, quelque temps plus tard, il tomba « par hasard » sur la description du mythe en question dans un livre d’égyptologie. La conclusion, inéluctable, est à l’opposé de celle du maître zurichois : d’une part, Jung avait besoin de se persuader de l’innéité des archétypes (il croyait en Dieu) et, de l’autre, le patient avait besoin d’une telle découverte prémonitoire pour séduire son analyste.
Autre exemple : la contagion dans une foule nécessite une participation empathique des individus (ce qui suppose qu'ils aient, au moins temporairement, renoncé à leur moi conscient). Le processus est donc rituel (final) et non technique (causal). Plus généralement, les cas de « télépathie » collective montrent qu’une hallucination collective ne nécessite pas une contiguïté physique et qu’elle se rapporte à une fin commune sémantique (la forme des hallucinations pouvant varier d’un sujet à l’autre).
Un dernier exemple, celui-ci neurologique : on peut agir physiquement à distance sur un cerveau implanté d’électrodes, au moyen d’ondes radio. On a pu ainsi provoquer des hallucinations ou déclencher des automatisme moteurs ; mais jamais on n’a pu imposer une signification. De même avec les psychotropes ou le lavage de cerveau.

B. L’apriorisme métaphysique
Il existe une seconde raison au rejet par Méheust des acquis de la parapsychologie, et beaucoup plus importante car affective.
Un phénomène psi ne prouve rien de plus que la croyance de celui qui en témoigne ; la preuve d’une transgression de lois physiques connues est ici d’ordre moral et non physique (par nature créatif, le psi ne peut par définition être reproductible). Or ce qui frappe chez les ufologues, comme chez les chercheurs spirites ou les spécialistes catholiques des apparitions mariales, c’est la censure au second degré qu’ils exercent autour du phénomène qui les intéresse ; car, sur le fond, les théologiens disent exactement ce qu’attend leur communauté (sans quoi ils ne seraient plus considérés comme tels). Le phénomène conforte chez eux une certaine croyance transcendantale, latente ou non, et propre à leur culture ; aussi, tout aspect du phénomène qui y contreviendrait doit être officiellement considéré comme négligeable ou aberrant, et officieusement comme dangereux. Quoi qu’ils en disent, ce n’est pas du tout l’explication du phénomène qui les intéresse, mais le phénomène lui-même en tant que symbole « numineux » (d’une volonté cosmique), lourd de révélations miraculeuses dont ils connaissent en fait déjà la teneur. Avant tout, ils aiment leur phénomène ; ils s’aiment à travers lui.
Ainsi Méheust n’ignore pas les travaux expérimentaux, considérables, que les parapsychologues ont effectué sur l’ectoplasmie et qui portent à la fois sur ses aspects physiques, physiologiques, psychologiques et sociologiques. Méheust n’ignore pas non plus que certains ufologues ont tenté et réussi une approche expérimentale du phénomène ovni. Il n’en parle tout simplement pas. Pas une ligne. Rien non plus sur le finalisme immanent, l’inversion temporelle et la transmission d’intentions, au coeur pourtant du problème et qui ont donné lieu à d’innombrables publications dans les disciplines les plus diverses. Rien enfin ou presque -bien que Méheust soit philosophe de formation- sur les métaphysiques compatibles, explicitement ou non, avec les phénomènes psi (ou ovni).

C. Science et destinée
Toutes les apparitions, quels que soient leur lieu ou leur époque d’origine, ont les mêmes propriétés physiques et psychologiques. Tous les phénomènes psi contreviennent de la même manière à la causalité ; aucun donc ne relève d’une science de type causal.
Cette dernière expression n’est pas tautologique. D’abord, les sciences humaines se heurtent à un nombre infini de variables et c’est pourquoi toute prédiction relative à une évolution, à une complexification future y est impossible. Mais elles sont capables de rétrodiction à partir des objectifs qu’elles se donnent : ce sont des sciences à la fois morales et historiques, tout comme l’évolutionnisme et la cosmologie. Ensuite, l’efficacité d’une science peut être purement descriptive ; René Thom, l’un des plus grands épistémologues contemporains, a fortement insisté sur ce point8. Et c’est bien l’obligation dans laquelle semble se trouver le scientifique quand il veut traiter la signification en général.
Mais, pour être crédible, il doit paradoxalement la définir impérativement comme personnelle. De plus, toute signification -même habituelle- étant simultanément causale et finale, il est parfaitement illusoire d’espérer en rendre compte avec les sciences habituelles. Construire de l’imaginaire sur l’imaginaire comme le fit Jung ou de la physique sur la physique comme le font encore certains ufologues est une démarche sans espoir. Le problème est d’inventer une science de la complémentarité, indifféremment lisible comme une psychologie de la matière ou une physique de l’imaginaire.
L’ambition de Méheust, au fond, est de rapporter le phénomène ovni à des « causes subjectives ». Mais l’association de ces deux termes est aporique. Il y a d’une part une finalité (subjective) qui, localement et progressivement, surdétermine des causes (objectives) ; d’où la créativité, les mutations, le psi, l’histoire. Et il y a, complémentairement, une causalité (collective) qui, globalement et dégressivement, surdétermine des fins (individuelles) ; d’où la raison, l’imagination réaliste, la mémoire et les sciences dures. C’est d’ailleurs pourquoi le complémentarisme ne saurait être seulement une métaphysique expérimentale ; il doit être d’abord, pour chacun de nous, une discipline de son propre destin.
François FAVRE

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1. M.Jouvet, Le Sommeil et le Rêve (Points-Odile Jacob, 1993), p. 19, 209-212.
2. Parmi beaucoup d’ouvrages, citons V.Mézentsev, Phénomènes étranges dans l’atmosphère et sur la terre (Mir, 1970), G.Lehr et A.Michel, Pour ou contre les soucoupes volantes (Berger-Levrault, 1969), C.Flammarion, Le Rêve, la Mort et l’Univers, tome 2 (Kimé, 1992).
3. F.Favre et alii, Que savons-nous sur les fantômes ? (Tchou/Laffont, 1978).
4. F.Favre et alii, Les Apparitions (Tchou/Laffont, 1978) ; G.Titeux, F.Favre et alii, 60 années de parapsychologie (Kimé, 1992).
5. P.-L.Rabeyron et F.Favre, « Rituels et techniques » in L’Univers psycho-corporel, tome 8 (Livre de Paris, 1994).
6. P.Viéroudy, Ces ovnis qui annoncent le surhomme (Tchou, 1977).
7. J.Alexandre-Bisson, Les Phénomènes dits de matérialisation (Alcan, 1914).
8. R.Thom, Prédire n’est pas expliquer (Eshel, 1991).