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Dans les états non ordinaires de conscience (ENOCs) , il nest pas toujours aisé de maintenir la vigilance du mental conscient, davoir lesprit lucide et une bonne faculté danalyse, de niveau homogène tout au long de lexpérience ; ni davoir une lucidité équivalente à chaque nouvelle expérience. De nombreux facteurs font fluctuer cette lucidité, parmi lesquels on peut citer une carence de la concentration, un haut niveau de stress, une fatigue sous-jacente et bien dautres encore...
Cette question de la vigilance en ENOCs me semble primordiale pour une bonne estimation de lexpérience et aussi pour la meilleure mémorisation possible de celle-ci. Un esprit confus par exemple, plus proche du sommeil que de létat de veille, ne pourra pas garder une mémoire fidèle de lexpérience ENOC. Cette mémoire sera entachée de bribes de séquences oniriques, dimages hypnagogiques et de contenus brouillons. En effet, cette réminiscence confuse engendre un vécu plutôt proche de létat de rêve et donc peu intéressant en ce qui concerne lexploration des univers qui se révèlent dans les ENOCs. Une expérience forte, claire et bien conscientisée est bien plus enrichissante.
Dans cet article jaborde donc ce sujet de la vigilance et de la conscience de soi dans un type particulier de transe. Nous y verrons des aspects de la profondeur de lexpérience de transe et la question de la conscience de soi et du rapport au corps physique.
Les Postures de Transes
Afin de mieux comprendre ce qui se passe pendant un ENOC, voyons une forme particulière de transe, induite par des postures et un rythme de tambour spécifique.
Felicitas Goodman, anthropologue et spécialiste de la transe, a découvert il y a une trentaine dannées ce quelle appelle les postures de transe. Ces postures sont représentées par certaines statuettes provenant de différentes ethnies de par le monde et à différentes époques.
Ses travaux de recherche lavaient amenée, à partir de 1965 à la Denison University, à s'intéresser aux états de transe religieuse chez les Pentecôtistes, ces groupes religieux chrétiens qui pratiquent la glossolalie en état de transe pendant les services religieux. Dans le droit fil de son travail scientifique, Felicitas est ensuite amenée à étudier d'autres congrégations chrétiennes au Mexique, lesquelles, comme les Pentecôtistes, aspirent à la manifestation de l'Esprit Saint sous la forme de lENOC de la transe glossolalique.
Dans les cours qu'elle donne à ses étudiants, elle parle de ses recherches, fait écouter des cassettes audio et décrit le bien-être ressenti par ceux qui avaient participé aux cérémonies impliquant des ENOCs. Les étudiants, passionnés, demandent à expérimenter ces états et cest alors que commencent les expériences de transe dOccidentaux, avec des résultats de plus en plus surprenants.
Au fil du temps, Felicitas se rend compte que certaines postures du corps, répandues dans les ethnies des cinq continents, sont des moyens d'induire des états de transe. Et non seulement cela, mais elle découvre que chacune de ces postures est spécialisée, c'est-à-dire donne accès à un vécu tout à fait spécifique. Les recherches de Felicitas Goodman lui permettent ainsi de dégager un trentaine de ces postures et dapprocher la « spécialité » de chacune : il y a là des postures ouvrant à des transes de guérison, de voyance, de voyage chamanique, de métamorphose, de quête d'informations pour les rituels...
Lintérêt de ces postures, couplées avec un battement de tambour rythmé à 3hz, est quelles permettent dinduire, rapidement et facilement, une transe de type chamanique. Ce rythme de 3 hz est réputé stimuler dans le cerveau lémergence dondes Thêta, les ondes cérébrales que lon observe en dominance lors de la phase REM du sommeil et également dans certains états de méditation et de transe.
Ces postures sont faciles à mettre en uvre et, de ce fait, sont idéales pour étudier les phénomènes de la transe. Cest pourquoi, dans le cadre de mes recherches, jai entrepris une série dexpérimentations avec une quinzaine de volontaires, des personnes équilibrées physiquement et psychiquement. Chaque séance était suivie dune interview pour recueillir le vécu et les ressentis du sujet ; certaines séances ont été accompagnées dun enregistrement des ondes cérébrales pour avoir une sorte de « cliché » de la transe.
Être « ici » et « là-bas »
Une chose frappe au premier abord dans ces expériences de transe : le sujet est capable de se ressentir présent dans son univers habituel et « ailleurs » en même temps, c'est-à-dire dans un autre environnement, inconnu de lui.
Voici un récit vécu qui illustre ce propos :
« Dès que le battement de tambour sest mis en route, jai tout de suite eu envie de bouger. [...] Au début, je sentais comme des petits picotements dans la tête cétait vraiment bizarre. Vers le milieu de la séance, dans la tête je ne peux pas décrire mais cétait comme si tout était spongieux et quil y avait des picotements qui nexistaient néanmoins pas.
Je me suis vraiment sentie bien, comme rarement je lai été, et cela dès le début. Je nai eu aucune gêne physique. Pas de pensées trop parasites. Un petit peu tout de même au début et puis cest parti. Une envie de rire par moments, mais cétait physique. Cétait une sensation de bien-être total, quelque chose comme de la béatitude, oui, jirai presque jusque là.
Et donc une envie de rire par moments. Et alors là, jai vu un cheval blanc et je crois que je me suis mise à galoper. Jai donc vu un cheval qui passait devant moi. Ensuite jai eu comme limpression que jétais un cheval. Enfin, disons que javais limpression de galoper. Cétait bizarre comme sensation.
Après, jai eu limpression de voler, mais vraiment comme un oiseau. Et ensuite, jai vu une sorte de belette et je me suis sentie comme assimilée à elle. Je regardais autour de moi (rire). Cétait passionnant. Là, je voyais cet animal devant moi et ce qui était étrange, cest que je me prenais pour lui, alors que lui, il avait une personnalité qui lui était propre, il était donc un personnage distinct de moi et moi, jétais à côté de lui et je le mimais. Mais cétait comme si jétais dans lui, alors que je ny étais pas. Je pouvais ressentir son physique intérieur. Cétait chaud et complètement différent. Par rapport aux séances précédentes, il y avait ici un sentiment de détachement bien plus grand. Les choses venaient tout naturellement, comme coulant de source.
Cest surprenant, ces postures et, ce qui est le plus fou, cest quon ne décolle pas de la pièce ! Il ny a pas une seconde où je nai pas eu conscience que jétais ici. Cest ça, qui est étonnant. On pourrait se demander : Mais quest-ce que je suis en train de faire ? Mais cest tout naturel, simplement évident et cest plus fort que soi.
Quand jétais le cheval : je me sentais galoper. Javais une grande sensation de liberté. Après, pendant quelques secondes, jai eu limpression de voler et là, cétait vraiment le nirvana. Je ne voyais rien, je ressentais juste les sensations de voler. » (Amélie 12/06/96)
Amélie exprime très bien cette sensation dêtre à la fois ici et « là-bas ». Ce qui caractérise cette sensation de lucidité est le fait de savoir qui lon est, où lon est, et ce que lon fait. Ici, dans ces transes induites par les postures, les sujets ne perdent jamais conscience deux-mêmes : ce nest pas comme dans un rêve où lon subit une histoire. Ce type de transe permet de garder son identité de veille tout en laissant à un autre genre dexpérience, de nature plus ou moins symbolique, émerger. Ici, avec Amélie, cette expérience était assez forte pour lui donner cette sensation dêtre un animal cheval, oiseau, belette , dans un autre environnement que ceux quelle connaît dans son monde habituel et surtout de participer à quelque chose détranger pour un humain : la vie intérieure dune belette. Il y a là des rapports évidents avec ces récits de sorciers-chamans qui possèdent et contrôlent des esprits-animaux ou sassimilent à des animaux..
Les sujets, pendant leur expérience des postures de transe, explorent dautres dimensions de lêtre où les sensations et les perceptions liées à la transe se superposent aux sensations et aux perceptions de leur corps physique et de notre monde matériel.
Trois niveaux dexpérience
Jai pu constater quil y a trois niveaux dans cette perception de la transe (bien évidemment, on peut être plus ou moins vigilant, avoir une forte ou une moins forte présence à soi à chacun de ces niveaux).
&Mac183; Le premier niveau de perception est composé de sensations : il ny a pas dimages en tant que telles, plutôt des impressions, des ressentis fugaces. La présence au corps physique et au monde matériel est encore importante.
&Mac183; Dans le deuxième niveau de perception apparaissent spontanément des images, des scènes qui se déroulent dans le mental du sujet, scènes qui prennent du relief à tel point que le sujet va devenir acteur dans le « scénario ». À ce moment-là, deux réalités se superposent : la réalité de la transe et lautre, la réalité physique ordinaire. Le sujet est conscient quil vit ces deux modes dêtre en même temps, il découvre un nouveau type de fonctionnement de son mental, en est dabord surpris, puis shabitue pour se laisser tout à fait aller dans ces nouvelles expériences. Cest à ce niveau quapparaît soit la sensation que son corps se modifie ou développe de nouvelles propriétés, soit celle davoir un autre corps humain ou animal. Le sujet nest pas troublé en cela, dans la mesure où il sait toujours que son corps physique est intact et que ses perceptions sont dun autre ordre.
&Mac183; Le troisième niveau est celui où le sujet « coupe le contact » avec la réalité physique ordinaire tout en continuant à savoir qui il est et où il est et que son corps physique est en sécurité , où il entre plus complètement et plus profondément dans la réalité de la transe. Ce vécu est tellement vivide que, pour lui, ce nest pas une hallucination ni un rêve, car la sensation de vécu, de réalité, est très forte. Cependant, la faculté danalyse et de réflexion peut être plus ou moins opérationnelle comme je lai déjà évoqué plus haut. À ce niveau, le sujet peut ne plus sentir son corps physique, toutefois il sait clairement où se trouve ce dernier. La sensation dun corps se reporte totalement sur le « corps de transe » dont il peut ressentir les moindres sensations à lexception de la douleur .
Transe et bien-être
La plupart du temps, dans ces transes, le sujet reste conscient de ce qui se passe et se laisse complètement aller sans désirer contrôler le processus. Il sait quil pourrait tout arrêter, mais ce serait au détriment de son vécu, de sa curiosité et surtout de son plaisir. Car ce type de transe procure parfois un bien-être intense, aussi bien physique que psychique, bien-être qui remue, électrise en des courants montants et descendants, virevoltants et tourbillonnants. La transe est un bain dendorphines, ces neurotransmetteurs du plaisir :
« Cétait formidable. Jai réellement ressenti des vagues deuphorie et une sensation de liberté absolument extraordinaire.
Je suis partie très très vite, cétait presque immédiat. Jai essayé de me concentrer sur le troisième il et là, jai vu une espèce de boule de lumière avec deux mains qui la tiennent. Jai eu très tôt la sensation que cétait la nature, la montagne, des collines et jétais dans une espèce de lumière laiteuse. Et je cabriolais (rires). Je ne sais pas si jétais un animal, mais javais vraiment les pattes avant, les pattes arrières... Et je sentais mon dos, vraiment comme si jétais une chèvre... À certains moments, javais carrément envie de sauter. Je me suis vraiment amusée. Et javais limpression dune sensation de galop aussi et de ne pas être seule non plus, comme sil y avait dautres animaux comme moi tout autour de moi. On courait, on sautait sur des rochers.
Je ne voyais pas les rochers, mais javais tout à fait la sensation des rochers. Jai vécu là quelque chose de très euphorique et avec une intense sensation de liberté.
Voilà, cest tout. Cétait extrêmement agréable. » (Anne 15/04/96)
Lors de la transe, les sujets peuvent vivre des expériences hors normes : sincarner dans des animaux, se promener dans des paysages parfois inouïs, voler dans les airs, chasser, vivre des initiations de type chamanique, rencontrer des personnages fabuleux ou numineux, mourir et renaître, expérimenter des transformations corporelles inhabituelles et surprenantes, participer à des rites, assister à la naissance de lunivers, accompagner les décédés dans le monde des morts, entrer en contact avec des entités diverses et variées, se décorporer... et cela leur apparaît tout à fait normal.
Ainsi, lorsque lon est dans cet état de transe, toutes ces expériences sont acceptées naturellement parce que létat de conscience est spécial. Alors que, si elles étaient perçues ou vécues dans létat de veille habituel, dans létat de conscience ordinaire, ces perceptions amèneraient la suspicion sur létat de santé et léquilibre psychique du sujet. On sait aujourdhui que, vécu dans létat de conscience ordinaire (ECO), ce type dexpérience signe une pathologie, alors que vécu dans certains ENOCs, ce même type dexpérience est curatif.
Dans la transe donc, on peut se sentir grandir et traverser le plafond ou expérimenter dautres sensations « impossibles » : les pieds peuvent traverser le sol, les mains pénétrer dans le corps... Les membres se transforment, on devient un autre, on est en plastique ou en bois... Tout ceci est simplement accepté, sans que la raison raisonnante ne stoppe le processus. Tout se passe comme si une autre instance psychique, obéissant à dautres lois, prenait le dessus et faisait en sorte que limpossible devienne possible dans lexpérience du moment.
Nen est-il pas de même dans les rêves ? Ne vole-t-on pas et ne traverse-t-on pas les murs tout naturellement ? Ne parle-t-on pas aux morts sans surprise ? Alors, rêve et transe, seraient-ils de même nature ? Le sujet en transe peut dire sans ambiguïté que ce nest pas un rêve : pour lui, cest une expérience vécue, réellement juxtaposée à sa vie ordinaire.
Dans ce mode de fonctionnement psychique de la transe, le traitement des informations sensorielles et cognitives est donc notablement différent de celui de létat de conscience ordinaire. La faculté danalyse peut être plus ou moins altérée et plus ou moins perméable aux pensées non-logiques. Dans certains cas, des distorsions importantes du jugement critique rationnel sont mises en évidence. Par exemple :
« Après que mes mains se soient levées delles-mêmes, jai senti quà un moment donné mon pied gauche senfonçait un peu dans le sol et que le droit se soulevait [Le sujet a des lévitations spontanées des membres pendant la transe. Précisons aussi que le sujet est assis.] Effectivement, il sest soulevé de quelques centimètres. [...]
Cétait très agréable. Jétais engourdie mais me sentais légère. Ce pied qui sest levé à la fin, ça ma fait bizarre. Comme pour les mains dailleurs ! Si le pied gauche sétait levé, je le laissais venir également. Je me laissais complètement porter par les sons du tambour.
Un vrai bien-être et un laisser-aller... Maintenant, après coup, je peux dire que, si à ce moment-là, on avait voulu couper ma jambe, eh bien oui, on la coupait, quoi. Sil avait fallu le faire, on le faisait. Cette impression de ne pas agir, de laisser faire. Finalement, je men fichais. Régulièrement, pendant la transe, je constate que mes membres se soulèvent et je me dis : je les repose ? Et puis non, je ne les repose pas, je les laisse aller. Et je suis vraiment bien. [...] » (Cathy 04/03/96)
En transe, Cathy accepterait donc lidée quon lui coupe un membre. Sa faculté danalyse est ici mise plus ou moins en veilleuse, linstinct de conservation ne semble plus vraiment jouer. Par contre, le détachement et le sentiment de paix sont importants. Précisons ici que de telles idées, qui peuvent paraître macabres, ne comportent absolument aucun danger, ni pour le corps, ni pour léquilibre psychique du sujet en transe. En effet il ny a aucun aspect de souffrance dans ces expériences, mais un profond bien-être, qui nest pas le signe dune pathologie mais bien plutôt de lordre de la félicité. Dailleurs, si un réel danger se présentait, le sujet sortirait de la transe immédiatement. Il faut bien comprendre que le sujet laisse agir mais ne subit pas : il peut à tout moment décider darrêter lexpérience mais il tend à ne pas le faire parce quil sy sent à la fois bien et en sécurité. Le sujet sait quil ny a aucun danger pour son corps physique : il sautorise donc des vécus du corps différents qui lui permettront de se familiariser avec les « lois » du « monde » de la transe.
Jai remarqué cela sur moi-même lors de mes propres expériences de transe : cette sensation dêtre là et de prendre les chose comme elles viennent, de ne pas se dire : « Mais cest impossible, cela ne se peut pas, il y a un problème !... » Des idées défiant toute logique ordinaire de notre monde physique semblent tout à fait normales et sont acceptées : en fait, je sais très bien que cela ne se peut pas dans la réalité de létat de conscience ordinaire mais, en même temps, je sais que je suis en transe et jaccepte ce qui arrive tel quel. Cest là un phénomène assez courant en état de transe :
« [...] Maintenant, je me rends compte que quand je suis en transe, je ne juge pas, je profite de la situation. On est complètement dedans. Je suis quand même très conscient de ce qui se passe, cest assez marrant. Mais je laisse passer. Parce ce que ça mintéresse beaucoup, cest peut-être pour ça que je reste en éveil. [...] » (Gérard 18/05/96)
« Lâcher-prise » et néanmoins agir
Dans les récits de ces sujets, il y a une altération de la pensée cognitive, du raisonnement : le sujet accepte les phénomènes et les événements de la transe sans réflexion, comme si cela était normal. Cest ce « lâcher-prise », cette acceptation, qui permet lexpérience car, si le sujet résistait ou se rebellait, il ny aurait pas de vécu de la transe.
La question se pose alors de savoir comment juger une telle expérience : dans ces vécus de transe induits par les postures découvertes par Felicitas Goodman, il y a apparemment peu de place pour la décision personnelle, laction, le libre choix de ce que lon veut vivre dans cet ENOC : les choses adviennent delles-mêmes et le sujet constate leur survenue.
Mais peut-être est-ce dû au manque dexpérience de la plupart des sujets ? Un chaman expérimenté, lui, sait prendre des décisions et suivre une stratégie délibérée pendant la transe. On peut donc en déduire que la transe est un mode de fonctionnement du psychisme humain dans lequel lapprentissage est possible et désirable. En effet, dans toute discipline, avec lentraînement vient la maîtrise et il en est certainement de même dans le domaine des ENOCs. Cest ainsi que, transe après transe, les sujets se familiarisent avec ces « mondes » et finissent par ne plus rester simplement observateurs : ils agissent, décident ou explorent comme lillustre le récit suivant.
« Au début, rien. Et ensuite jai commencé à voir des nuages noirâtres qui passaient devant mes yeux. À un certain moment, je me suis sentie sur une espèce de pont, une sorte daqueduc dans lespace, assez transparent. Ce pont nétait pas matériel et je mavançais dessus. Au bout de ce pont, il y avait quelque chose comme un il, cest-à-dire un il gigantesque, comme un portail en forme dil. En me tâtant, jai constaté que javais une petite robe courte. [...]
Et je marche donc ou plutôt je flotte sur ce pont sur cet espèce de pont. Enfin, jarrive au bout, devant lil. Et là, je sais que je veux traverser mais je ne sais pas trop comment faire. À un moment donné, je décide de me jeter dans la pupille et je me retrouve engoncée dans une espèce de glu. Maintenant, je dirais que cest peut-être comme ça quon peut imaginer une naissance : en rampant pour sortir dun utérus-vagin. En tous cas, cétait gluant et ça collait et il fallait faire de sacrés efforts pour bouger et aller de lavant. Jai fini par arriver de lautre côté.
Et me voici dans une sorte de ville, avec des maisons de petite taille, ambiance assez siècle dernier, baignant dans des couleurs beige-jaune. Il y a des rues, une fontaine, et jexplore. Ça a lair très paisible. À un certain moment, au loin, je vois ma mère qui marche [nota : la mère du sujet est morte depuis plusieurs années]. Je lai même revue plus tard à une fenêtre en train de me faire des signes. Mais javais limpression que, de toutes façons, elle ne pourrait pas arriver jusquà moi, parce que cétait comme sil y avait une sorte de vitre transparente pas comme une vitre de fenêtre, mais quelque chose de plus consistant qui lempêcherait de venir jusquà moi. Je lui ai fait un signe aussi.
Et puis, à un moment, jai limpression davoir une petite blessure à mon gros orteil droit et je saigne un peu. Je suis alors sur une petite place, très charmante, avec une fontaine et je trempe mon pied dans leau. Je nettoie un peu mon pied et ça cesse de saigner. Très peu de temps plus tard il y avait des gens, mais plus personne que je connaisse japerçois au loin, à lextrême droite, un homme et je sais que cest Jürgenson. Il mattrape par le bras et me dit : Viens. Il me conduit à un endroit où on rencontre un autre homme et je sais que cest Raudive . Puis ils memmènent au cinéma.
Nous nous installons dans une salle de cinéma où, apparemment, il ny a que nous trois. Lécran est panoramique et cest une salle de cinéma très habillée de rouge foncé, velours et quelques dorures, le genre cossu.
Le film senclenche. Je suis assise entre les deux hommes et ils me maintiennent les paupières ouvertes pour que je ne cille pas et que je voies toutes les images du film. Et là, je vois vraiment tout lUnivers. Je vois la danse des atomes, je vois les galaxies, je vois des constellations de choses et dêtres passant à toute allure. Et la dernière image que jai vue apparaître sur lécran, cest un homme, debout, qui tend les mains vers moi il a même lair dêtre en trois dimensions et, du bout de ses doigts, jaillissent des rayons qui entrent dans mes yeux, me percent le cerveau et qui sont encore des choses de lordre de la connaissance et de lUnivers.
Quand cest fini, je me retrouve seule dans ce cinéma. Jen sors par une porte latérale et me voilà à nouveau dans la ville et devant une autre fontaine. Je me penche sur la fontaine et je vois mon visage. Et mon visage, cest un visage extrêmement pâle avec des cheveux noirs assez longs. Un visage agréable, ovoïde, menton pointu [la physionomie du sujet est différente de ce portrait].
À ce moment-là, jai pris conscience que mon corps dici tremblait. Et instantanément, tout ce paysage sest brouillé comme si tout cela était de leau qui sagite. Tout a complètement disparu comme si ce navait été quun reflet dans leau. Et je me suis retrouvée dans un autre endroit, dans une vallée entourée de montagnes du genre Vosges. Jétais au bord dun lac et penchée sur ce lac. Et alors, jai continué à regarder mon visage dans leau, jétais toujours très pâle et javais ces cheveux noirs. Jai relevé la tête et observé les alentours, puis jai de nouveau regardé dans leau. Cette fois-ci, cétait le même visage, mais un peu plus tête de mort. Je regarde de nouveau le paysage autour de moi et je me repenche de nouveau. Et à ce moment-là, je nai plus vu que la couronne de cheveux. Le visage avait disparu, cétait le vide sous la couronne de cheveux. Ensuite, ça sest arrêté et jai vu une dernière image qui sest superposée, qui était juste comme une gigantesque aile de libellule avec des nervures. [...]
Ensuite je suis revenue ici. Cétait très impressionnant. Pendant tout ceci, une toute petite partie de moi savait que mon corps était ici et une grande partie de moi vivait lexpérience dans un autre corps. » (Erica 23/02/97)
Une double perception
Ce récit montre donc bien la force et la relative cohérence de la transe lorsque la personne est plus expérimentée, lorsquelle a une certaine habitude de cet état de conscience particulier et la capacité de « lâcher-prise ».
Cest de toute évidence le cas pour John Lilly , le créateur et spécialiste du caisson disolation sensorielle (CIS), un des explorateurs de ces contrées peu connues de la psyché humaine, qui nous apporte limmense étendue de son expérience de plus de trente ans dans ce domaine :
« Après quelques séances de dix heures [de caisson], je me suis rendu compte de phénomènes qui avaient été rapportés dans la littérature. Je suis passé par des états semblables au rêve, par des états de transe, par des états mystiques. Dans tous ces états, jétais en bonne condition, centré et présent... je nai jamais perdu conscience du fait de lexpérience. Une partie de moi-même savait toujours que jétais dans un caisson, dans le noir et le silence, et que je flottais tranquillement dans leau. » .
Lilly également énonce ainsi clairement cette double perception de soi que lon rencontre dans la transe et dans dautres ENOCs, comme le rêve lucide ou lOBE.
Traverser la « frontière »
Des nombreux comptes rendus dexpérimentation dENOCs quils soient dus à la transe ou à dautres états non ordinaires de conscience comme lOBE, les « voyages » en CIS et dautres encore... se dégage le fait que le sujet, à un moment donné, sait quil est encore ici, dans notre espace-temps habituel, mais est également « ailleurs ». Cet ailleurs recouvre la sensation de ne plus être dans son corps charnel, de ne plus percevoir le monde matériel habituel, et de se sentir hors de son corps physique, dans un autre corps quon appelle, dans la littérature des occultistes, corps subtil, corps de lumière ou corps astral... Cette sensation dêtre hors de son corps est très réaliste et ceux qui la vivent sont persuadés dêtre dans un environnement qui leur semble réel.
Certains chercheurs comme Suzan Blackmore pensent que cette expérience de sortie hors du corps est une sorte de vision où lactivité consciente est faible la faculté danalyse logique y étant cependant fonctionnelle , limagerie mentale vive et les sensations corporelles très faibles ou absentes. Pour Suzan Blackmore, le sujet dans cet état serait leurré par une activité intéroceptive du système nerveux les stimuli provenant du corps physique étant absents et les sensations extéroceptives coupées et la sensation de sortie hors du corps serait donc une sorte dhallucination. Stephen Laberge, spécialiste du rêve lucide, pense que les personnes se disant en OBE sont dans un état de rêve pré-lucide, c'est-à-dire quils ne sont pas vraiment conscients quils rêvent. Pour Laberge, donc, la sortie hors du corps est une sous catégorie du rêve lucide ou, tout du moins, une étape vers le véritable rêve lucide.
Cette question est en effet épineuse et lon comprend que les spécialistes ne soient pas daccord entre eux concernant la réalité de cette expérience OBE. En effet, doit-on faire confiance à ses perceptions, ou doit-on rejeter cette sensation dêtre en dehors de son corps comme étant un leurre psychique ? Des chercheurs et des expérimentateurs comme Robert Monroe et John Lilly par exemple, tranchent nettement en direction de la réalité du phénomène : ils sont sûrs dêtre en dehors de leur corps et dans un autre environnement pendant leur ENOC. Et il en est de même pour les chamans qui pratiquent le voyage chamanique.
Lorsquon induit un ENOC de sortie hors du corps, une transe ecsomatique, on commence par se relaxer puis on « coupe » les sensations qui viennent du corps physique et des cinq sens afin de se rendre réceptif aux stimuli intéroceptifs. Cest une plongée à lintérieur de soi. Et, à un moment donné, tout à coup, on se sent « dehors », on ne se sent plus dans son corps physique, on a la sensation dêtre dans un autre lieu, dans un environnement quil est possible dexplorer. Ainsi, certains « voyageurs » ont décrit de véritables « géographies de lInvisible ». La question ici, nest pas de se demander si cela est le fruit de leur imagination très fertile où si cela correspond à quelque chose de réel. Je voudrais simplement mettre laccent sur cette transition, cette frontière, qui délimite dun côté la sensation dêtre dans son corps physique, et de lautre côté, la certitude de ne plus y être. Passer du dedans au dehors.
Ainsi, tout se passe comme si, à un moment donné, lors dune transe par exemple, on a la certitude de ne plus participer à une expérience uniquement psychique, mais plutôt à un voyage hors de notre enveloppe corporelle, dans un autre « corps », comme si lon avait passé une « porte ».
E.J. Gold, un ami de Lilly, lors dun exposé destiné à de futurs utilisateurs du CIS, désigne clairement celui-ci comme une porte dimensionnelle :
« Si vous pensez au caisson en tant quespace, que vous entrez dans cet espace du caisson et que vous explorez cet espace, vous êtes dans le caisson et cest un cul de sac. Cest comme, douvrir une porte et de rester sur le seuil , vous allez rester coincé dans lespace du caisson. [...] Le caisson est essentiellement un passage. Ny restez pas. [...] Vous pouvez considérer le caisson comme un point dentrée et de sortie dans et hors de lunivers matériel. Vous pouvez le considérer comme un point dentrée et de sortie dans votre moi profond, vos états de conscience intérieurs. »
Lilly considère que ces espaces quil visite sont de double nature : ils sont à la fois intérieurs et extérieurs à lêtre. Il en déduit ainsi la possibilité que notre conscience nest pas forcément liée à notre cerveau, à notre corps physique et quelle peut le quitter et voyager dans dautres réalités :
« Mon programme est que je ne suis pas dépendant de cette sphère particulière [le monde matériel] [...], bien que, quand je parle à quelquun jutilise le système de croyance de ce monde-ci. [...] Ce quil faut, cest avoir lesprit libre, de manière à pouvoir vivre différents scénarios et tester différentes idées. Cest ainsi que jutilise le caisson. »
Pour Lilly, en effet, le CIS nest pas seulement un outil dexploration mais aussi une sorte de simulateur de réalités « virtuelles » ayant pour objet lentraînement à de nouveaux comportements et lacquisition de nouvelles capacités mentales.
En résumé, les éléments énumérés ci-dessous me semblent importants afin de permettre à toute personne expérimentant des ENOCs une bonne estimation de son vécu et de la qualité de son expérience :
1) la conscience de soi est un facteur important dun ENOC réussi et cette conscience de soi peut amener à ressentir une transformation à lintérieur de soi : la sensation dêtre dans un corps de transe et de se ressentir dans un autre environnement que le monde physique habituel ;
2) cette conscience de soi peut être fluctuante et des carences dans la faculté danalyse du sujet amènent des distorsions dans le déroulement de la pensée cognitive pendant la transe ;
3) le sujet peut accepter des idées que son intellect rejetterait en temps normal ;
4) le sujet est conscient dêtre « ici » et « là-bas » en même temps.
Pour terminer cet exposé, je citerai la phrase-clé de lenseignement de Robert Monroe, un des grands explorateurs de la psyché humaine de notre XXème siècle et qui, de ce fait, savait de quoi il parlait :
« Nous sommes bien plus que notre corps physique »...
Pour en savoir plus sur les ENOCs :
Michel Nachez, Les États Non Ordinaires de Conscience, Ed. Marabout, 1997.
Georges Lapassade, Les États Modifiés de Conscience, PUF, 1987.
Georges Lapassade, La Transe, Que sais-je, 1990.
Didier Michaux, La Transe et lHypnose, Imago, 1995
Également disponible chez lauteur (documentation sur simple demande) :
Cassettes audio de relaxation, de développement personnel et à 3hz pour expérimenter les postures de transe.
Pour toutes informations complémentaires ou questions à lauteur, vous pouvez écrire à ladresse suivante :
Michel Nachez
7 place dAusterlitz
67004 STRASBOURG
E-mail : nachez@club-internet.fr
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