Une alchimie des sociétés humaines
La question des modèles


Peut-on évaluer objectivement les modèles de société ? Difficile question, que l'on évite souvent de poser ! Un critère simple pourrait déjà donner quelques éléments de réponse. Tout au long de l'histoire, on trouve des conflits réglés par les armes. Cependant, le comportement guerrier collectif n'est pas constant : les massacres les plus importants se produisent dans les périodes où rien, ni coutume ni respect d'un droit international ou contractuel, ne vient réguler les combats. Une évaluation du nombre de morts par rapport à la population globale serait déjà un indice. Puisqu'une régulation efficace semble possible, nous pourrions chercher ce qui la favorise ou l'inhibe. A cette aune, le XXe siècle détient un triste record. La première guerre mondiale a fait environ 13 millions de morts, dont 8,6 parmi les combattants, pour une population globale d'environ 1600 millions d'hommes. Dans les régions les plus touchées, citons un pourcentage : 4,87 % de la population française. Ce chiffre est généralisable à l'Europe continentale. La seconde, toutes catégories confondues, fait plus de 32 millions de morts, sur une population globale de 2295 millions. Ces chiffres sont publics : pour tout dire, je les tire d'une édition du Quid ! Personne n'a encore publié le résultat cumulé des "conflits locaux" qui n'ont pas cessé depuis 1945, génocide cambodgien, guerre du Vietnam, etc.
Si nous regardons les faits tout au long de l'histoire, nous voyons que seules certaines périodes ont connu des flambées analogues : conquête assyrienne, conquête dorienne, guerre de Trente ans par exemple. En dehors d'elles, il faudrait analyser des fluctuations, mais il reste que, jusqu'à la fin du Moyen Age classique, les pertes par fait de guerre sont plutôt limitées. Et puisque nous parlons de ce Moyen Age, qui sait encore que le service militaire, le ban, y était réduit à 40 jours, et que les restrictions apportées contractuellement aux conflits permettaient de limiter au minimum le nombre de morts ? La règle était de faire des prisonniers à libérer contre rançon, et non de tuer. Face à ce critère d'évaluation des civilisations, qui a l'avantage d'être chiffrable, une question se pose, celle des modèles de société. Peut-on dégager des points communs entre toutes celles qui sont parvenues à une maîtrise efficace de la violence ?
Si nous regardons ce que ces sociétés disent d'elles-mêmes, au travers des sciences traditionnelles et des témoignages archéologiques, il semble bien que ce soit le cas. Par exemple, de l'Indus à l'Irlande en passant par Sumer, mais ce modèle semble encore plus général, nous trouvons une quadripartition de l'espace qui correspond à des activités spécifiques, à des catégories de population. Un quartier regroupe les temples, un autre les guerriers, un troisième, avec des subdivisions, les artisans et certains paysans, un quatrième enfin les activités d'échange (le marché). La plupart des commentaires textuels anciens montrent que cette répartition n'est pas alors conçue comme fonctionnelle mais comme organique, si l'on accepte la comparaison, elle aussi traditionnelle, avec le corps humain. Chacune de ces catégories possède sa hiérarchie interne, qui recoupe ou non des regroupements familiaux ou claniques. Au moins idéalement, dans les représentations, ces quatre modalités de l'activité sociale sont associées avec les saisons ou les points cardinaux, et avec les "éléments" : la Terre avec les activités manuelles, l'Eau avec les temples, l'Air avec les échanges, le Feu avec les guerriers. Ce modèle spatial n'entraîne pas forcément de hiérarchisation des catégories. En Irlande, par exemple, le mythe de Lug montre qu'un mauvais druide n'était pas supérieur par essence à un bon artisan ! Pour être admis dans la cité modèle, Lug doit faire la preuve qu'il possède une aptitude encore inconnue dans ces murs. Il cite 7 activités, dont 5 au moins sont artisanales. Mais toutes sont déjà assurées. Il lui faut démontrer qu'il est le seul à maîtriser 7 arts différents pour que les portes s'ouvrent. Dans le même temps, au moins dans l'espace sémitique et babylonien, une trifonctionalité s'exprime, dont l'action semble s'exercer transversalement aux catégories. Le "roi", par exemple, doit assurer l'épanouissement de toutes, il "dit le droit", ce qui pourrait se concevoir comme une mise en forme ; le "prêtre"aurait une mission plus diffuse de favoriser la pénétration d'énergies "divines", il serait l'agent du "mana" pour reprendre une terminologie d'ethnologues ; le "prophète" (le barde dans le monde celtique) semble surtout assurer des transformations ou une régulation de ces dernières. L'assimilation de ces fonctions à des catégories, que l'on retrouve chez des comparatistes comme Dumézil, pose d'insolubles difficultés de modélisation. Arrivée à ce point, la parenté avec le modèle astrologique babylonien, la médecine hippocratique ou les textes alchimiques s'imposait assez fortement pour que je me permette de consulter un spécialiste, l'alchimiste Olivier de Lara. Il m'a répondu par un texte théorique complet qui mérite de prendre place tel quel dans ce dossier.

Essai sur la symbolique des 4 éléments en Alchimie et sur son histoire

La théorie alchimique est née dans une grande civilisation où tout ce qui est visible dans l'univers se résume par la formule : l'univers visible est fait de changements, de mouvements. La marque dans la conscience n'est autre que la constatation de ces changements, qui peut s'exprimer par deux formules :
* c'est parce qu'il y a des changements que je sais que je suis.
* c'est en constatant les évolutions et les éclipses de ma conscience que je reconnais qu'il existe des changements dans l'univers.
La conscience est alors conçue comme un tout, le changement comme une frontière.
Si l'on exprime cette évolution par un mouvement, et que la conscience représente le point de vue implicite de l'observateur, le mouvement s'exprime comme "avant" et "après" :

Avant => après est une transition ;
Après =>Þ avant est aussi une transition ;
Les deux ensemble forment une métatransition.
Le problème est alors de répondre à deux besoins :
1. nommer les choses
2. en donner une représentation.
Le besoin de nommer va, dans cette civilisation très ancienne, amener à compter. Comme nous exprimons aujourd'hui l'information par 0 et 1, ils l'ont fait par l'opposition pair/impair.
Le besoin de représentation entraîne la modélisation, qui s'exprime par un schéma. Ce schéma ne sera pas totalement complet, mais donnera une idée de ce qu'on veut décrire.
L'idée la plus simple, pour décrire des changements, c'est de se donner une représentation par le mouvement, des mobiles certes, mais surtout de la conscience. Il est alors clair qu'il ne s'agit que d'une représentation, d'une carte, d'une image, d'un modèle. Beaucoup plus tard, cette représentation, ici ou là, sera figée et l'on confondra la carte avec le territoire : il est erroné de dire que tout ce que l'on voit comme changements est le fruit des mouvements des objets ! Dans cette perspective, la force est classiquement définie comme ce qui provoque le déplacement ou la déformation d'un objet, ce qui va très bien lorsque l'on veut décrire une partie de billard ou l'écrasement d'une boulette de pâte à modeler sous la pression des doigts. Mais avec cette définition, comment rendre compte des changements d'états, lorsque par exemple la glace fond et devient de l'eau, ou l'eau bout et devient vapeur ?

Les degrés de liberté

Revenons aux Anciens. Le modèle qu'ils élaborent est un modèle évolutif, qui donne aux êtres et aux choses des degrés de liberté de plus en plus importants dans un cadre de mobilité, dirions nous, plutôt que "mécaniste".
Prenons un être qui n'aurait aucun degré de liberté : il est donc immobile, immuable. Nous aurions tendance à prendre cela comme le degré zéro d'une évolution, mais c'est une erreur tardive. Dans cette conception du monde, l'immuabilité appartient à un autre état de l'univers, ce que nous appellerions le monde invisible. Quelque chose qui ne bouge pas et n'évolue pas se place forcément hors de l'univers visible, il appartient à un univers méta (l'hérésie grecque en fait un univers supra, c'est à dire un univers au dessus de l'autre, donc plus valorisé, et non pas un univers à côté de l'autre : littéralement, pour l'hérésie grecque, l'autre monde, le "monde d'à côté" devient l'univers archétypal, l'univers originel et supérieur).
Avec un seul degré de liberté, l'être évolue comme un marcheur sur une route, ce qui amène la notion de cheminement. En occident, dans les sociétés de métier, cela correspond au stade d'apprenti.
L'apprenti est celui qui sait que sa vie change tout au long de son existence. L'état de conscience qui lui correspond pourrait s'exprimer comme "je sais où j'en suis" et par le schéma que nous avons vu :

La transition, ne l'oublions pas, se fait dans les deux sens. La faculté de mémoire passe à l'examen du passé (pair) accompagné d'une prospective vers l'avenir (impair). Mais il peut y avoir aussi une contemplation de l'avenir amenant des constats sur le passé.
Dans les sociétés de métiers, la vie commence à l'initiation, donc par un avant et un après. L'initiation est pour celui qui la reçoit le rappel de sa propre naissance, mais aussi l'annonce de sa propre mort, conçue comme un passage de ce monde au monde méta.
On change d'état de l'être et de qualité dans la représentation du monde avec un degré de liberté supplémentaire.
Avec deux degrés de liberté, on constate l'existence de deux axes directionnels. C'est l'état crucifiant. Le monde est alors symbolisé par la croix ou le carré :
selon que la conscience est interne ou externe au centre de représentation.
Cette description plane du monde entraîne la distinction des axes cardinaux, est/ouest et nord/sud. Si l'on observe les limites du monde représenté par le carré, celui qui atteint les limites est plus libre parce que les deux directions deviennent indifférenciées, et il atteint alors le cercle.
Ces quatre aspects qui déploient la conscience peuvent se représenter par :
pair-pair ou 00
pair-impair ou 01
impair-pair ou 10
impair-impair ou 11
Dans les sociétés de métiers, ce stade est celui de compagnon. Or le compagnon est tenu de voyager au travers du monde jusqu'à ses limites et de revenir ensuite.
Avec trois degrés de liberté, il faut introduire un degré de transcendance, qui va se traduire par le sens de la hauteur. On ajoute le fond, ou l'abîme, et la cime ou le ciel. La représentation traditionnelle témoigne ici d'une confusion entre le psychique et le spatial, prouvant que ce modèle n'est pas purement mécanique comme le concevraient les "modernes" mais plutôt d'un type "mobile" selon ce que l'on a dit plus haut. L'abîme est conçu comme une descente, sous terre, en soi ou aux enfers ; la montée va mener vers le ciel ou au ciel.
Dans les sociétés de métiers, il s'agit de l'état de maître. Le maître est celui qui a su descendre dans l'abîme, monter au ciel et revenir sur terre.
La représentation se fait par 8 combinaisons de pair/impair sur chacun des 3 degrés de liberté:
000 001 010 011 100 101 110 111
Le quatrième et dernier degré de liberté inclut le temps. La culture ancienne, à l'origine de ce modèle, en parle comme d'une dimension de devenir qui exprime la volonté des dieux ou de Dieu. Ce quatrième état exprime l'ensemble de tout ce qui peut être en devenir, et la représentation s'en fera par 16, 32 ou 64 combinaisons de pair/impair. C'est le stade où les hommes sont potentiellement capables de devenir des dieux. Ces états, car il ne s'agit pas d'une limite, ne portent jamais de nom, mais sont regroupés sous le terme global d'épopsie (du grec epi optia, vision au dessus) et qui les atteint est qualifié d'épopte (ou épi-scope).
L'Alchimie occidentale participe à cette vision du monde. La tradition chinoise également. En fait, dans les cultures traditionnelles issues du grand rameau eurasianique à la fin de l'âge glaciaire, chacun la traduit à sa façon. La Chine utilise l'outil numérique du I Jing :
* l'apprenti perçoit le yin et le yang
* le compagnon perçoit les bigrammes
* le maître perçoit les trigrammes
* l'épopte perçoit les hexagrammes et au delà.
Une tradition que l'on considère généralement comme africaine, mais dont l'on trouve trace auparavant sur l'Indus, dans les sceaux de Mohenjo Daro, place au niveau de l'épopte les 16 figures géomantiques (la civilisation de l'Indus a eu très tôt des contacts avec Sumer, la Somalie, l'Ethiopie, Madagascar et l'Egypte par voie de mer pour des raisons de commerce de l'encens et de l'ivoire).

La représentation sumérienne

En occident, à partir de Sumer, la représentation sera un peu différente, combinant le nombre et l'astrologie. Le monde est perçu comme 4. La transition supplémentaire ne s'exprime pas comme "descente et montée" mais comme "en dessous, juste au niveau, au dessus", ce qui amène les équivalences :
* en dessous : passif
* au dessus : actif
* juste au niveau, entre les deux : le sage qui régule.
Cela se traduit, plus tard, en Alchimie, par les trois principes : mercure, soufre et sel.
Revenons à Sumer. Nous trouvons les deux expressions : 3 + 4 = 7 et 3 x 4 = 12. Elles expriment la source, l'origine et la comptabilisation de l'organique, 4, et du fonctionnel, 3. Le devenir se fait :
* du point de vue statique, par 7 forces
* du point de vue dynamique, par 7 étapes ou degrés.
Quant à la multiplication, elle signifie :
* du point de vue dynamique, 12 stases expressions ou propriétés, d'où viendront les 12 signes du Zodiaque
* du point de vue statique, 12 composantes nécessaires, d'où les 12 tribus d'Israël par exemple.
L'Alchimie, à ce niveau, dans sa tentative pour suivre et expliquer les mouvements de l'univers, utilise délibérément les 3 fonctions, active, passive et régulatrice, et les applique au monde de tous les jours, à l'univers matériel dont le nombre est essentiellement 4. Quand l'Alchimie s'est formée, le soufre a été conçu comme un élément énergétique et donc un donateur de forme, alors que le mercure, passif, épouse toutes les formes. S'ils étaient seuls, selon cette science sumérienne, on aboutirait à une catastrophe. Le soufre essaierait toutes les formes, et le monde prendrait un aspect chaotique : n'importe quelle forme appliquée à n'importe quoi. Pour une civilisation où le sceau imprimé sur l'argile exprime le nom, l'individualité, la propriété, cela voudrait dire aussi que n'importe qui pourrait s'approprier n'importe quoi. Et si le mercure domine, alors aucune forme ne se maintient. (cire coulante ou argile baveuse) Il y a donc nécessité, scientifique et de bon sens, d'un principe qui permet de choisir parmi les matériaux mémoriels un état efficace du mercure, et d'un principe judiciaire ou légal qui oblige à n'imprimer qu'une seule forme, qui garantisse le sceau. Ces deux aspects sont à la base de la conception d'un principe régulateur, le sel (ou scel).
L'Alchimie en tant que théorie n'utilise plus le formalisme du mobile, ni les états de conscience accompagnant le statut dans les sociétés de métiers. A ce propos, il est intéressant de regarder les nombres associés à ces statuts :
Apprenti Compagnon Maître Epopte
3 5 9 17
1 + 21 1 + 22 1 + 23 1 + 24
Dans une représentation tardive, ces nombres deviendront :
3 5 7 13
10+ (2 x1) 1 + (2 x 2) 1 + (2 x 3) 1 + (2 x (1 x 2 x 3)
Or l'état limite souhaité s'exprime comme 1 + 25 = 33, représenté par 11 ou 15. La conception tardive ne permet plus de l'atteindre.
Ces nombres (3 5 7 9 11 13 15 17) participent par des fractions à une construction géométrique approchée, suffisante pour l'architecture, de la quadrature du cercle et de la circulure du carré, en surface et/ou en périmètre, indispensable pour donner dans le temple l'expérience analogue à celle des voyages du compagnon, et qui résume l'art de passer du carré ou cercle à l'horizon du monde.


Les "éléments", principes organisationnels

En Alchimie, la conscience est centrée sur la matière du creuset. Les 4 principes organisationnels sont perçus comme 4 orientations "élémentaires" : Terre, Eau, Air et Feu. Cette terminologie vient des Grecs de l'époque hellénistique, mais qui ont repris une représentation préexistante : on la retrouve dans les querelles d'école des présocratiques, l'un tient pour le Feu comme origine du mouvement, l'autre voit dans l'Eau l'origine de tout, à moins que l'Air ne soit le plus important, et les atomistes font tout venir des grains de matière. La science moderne est l'héritière de ces 4 conceptions à la fois. La querelle des philosophes porte sur la question de savoir laquelle de ces orientations prévaut. Ce n'est pas une question absurde pour l'Alchimie. Il s'agit :
1. de considérer le monde comme un creuset
2. de savoir sur quelle propriété l'Alchimiste s'appuie pour opérer son Oeuvre, et comment le grand Alchimiste cosmique fait le monde.
Mais cette terminologie tardive est inappropriée si nous nous plaçons à l'époque où s'élabore l'ancienne science néolithique. Dans cette ancienne science, les 4 orientations agissent en même temps dans le creuset. Il ne faut pas entendre ces termes, Terre, Eau, Air, Feu, au sens trivial, mais revenir, pour comprendre, aux principes théoriques. Nous avons vu que les 4 orientations se décrivent par des nombres pair/impair, qui sont placés dans l'ordre suivant :
00 ou PP
01 ou PI
11 ou II
10 ou IP
Cette disposition permet de ne faire varier qu'un aspect à la fois, et de mettre en évidence une notion de rebouclage, de cycle. Ce qui se transforme dans le creuset passe successivement par chacune de ces 4 orientations.
Les deux propriétés représentées par pair/impair ont d'abord été comprises comme décrivant le formel et l'activité : Feu Forme Actif 11 Air sans forme Actif 01 Eau sans forme Passif 00 Terre Forme Passif 10 En notant forme = 1, sans forme = 0 ; actif = 1, passif = 0.
Cette représentation ne renvoie pas à un ressenti simplet, mais aux états de la matière :
Avec forme et passif : solide
Sans forme et passif : liquide
Sans forme et actif : gazeux
Avec forme et actif : igné.
En ce cas, le solide le plus solide de l'expérience quotidienne est la roche, la pierre. L'emploi du mot "terre" pourrait permettre de déterminer la culture d'origine de cette science, par une étude linguistique : quelle est la langue qui utilise le même mot pour désigner la pierre et la terre ? Le liquide le plus courant est effectivement l'eau. Elle est sans forme puisqu'elle épouse celle de n'importe quel récipient, et passive puisqu'elle se laisse conduire par la pente des collines, dériver par un barrage, etc. L'air est sans forme puisque impondérable à cette époque, et présent partout, mais actif : le vent souffle et peut gonfler par exemple une voile, déplacer des objets. La notion du feu comme actif et donateur de forme ne se conçoit qua dans une culture où le foyer est standardisé, où existe au moins la lampe à mèche ; et renvoie plus sûrement encore à la céramique, au moins dans son état primitif : cuisson des parois des fosses à feu utilisées jour après jour.
Dans cette représentation, des oppositions surgissent spontanément :
11 :: 00
01 :: 10
ou :
Feu :: Eau
Terre :: Air.
Ces oppositions spontanées viennent aussi de l'expérience quotidienne : l'eau jetée sur le feu ou la braise dans un récipient contenant de l'eau ; le vent disperse le sable, mais se laisse arrêter par la fermeture des maisons.
Cela nous paraît de petits jeux simplets, mais il s'agit alors d'une science en ébauche. D'autre part, la confirmation à des niveaux humbles de ce que représente un modèle ne signifie pas qu'il ne soit pas opératif à des niveaux plus élevés.
Plus tard, une autre représentation va intégrer l'expérience artisanale. Les liquides, et en particulier l'eau, permettent la dissolution. Les teinturiers utilisent cette propriété. Le feu, dans le travail des métaux, permet de figer les formes, il aboutit à une coagulation. Pour une civilisation du sceau, les premières métallurgies à cire perdue fournissent des modélisations intéressantes. Si nous reprenons notre tableau, avec les propriétés de figeage des formes et d'activité : Feu Coagu-lation Active 11 Coagu-lant Air Disso-lution Active 01 Dissous Eau Disso-lution Passive 00 Dissol-vant Terre Coagu-lation Passive 10 Coagu-lé Les aspects de coagulation et de dissolution sont à l'origine des phases alchimiques de solve et de coagula.
Plus tard encore, chez les Grecs, les propriétés actif/passif se transforment en vivant/mort, ce qui entraîne l'opposition chaud/froid. Il s'agit d'une modélisation orientante et non plus généralisante. D'une certaine manière, cette science se dégrade. L'opposition Feu/Eau va se retraduire en qualités de sec et humide. Cette division renvoie à la vie et à la source de vie, dans la perspective médicale de la problématique des humeurs.
Source de vie : humide :: sec
Vie : chaud :: froid.
D'où : Feu sec chaud Air humide chaud Eau humide froid Terre sec froid Ce nouveau tableau répond à des considérations de capillarité (le buvard, l'éponge) et à une pensée médicale obnubilée par les humeurs. Inversement, représenter les mouvements et les catégories sous cette forme ne peut que renforcer cette obsession. Mais notons que, sauf Platon et son école, jamais les philosophes ni les Alchimistes grecs n'ont fait de classification verticale, hiérarchisée, de ces 4 éléments, du plus épais au plus subtil. Pourtant cette catégorisation va demeurer jusqu'aux XVIIIe et XIXe siècles.
C'est ainsi que, si l'on revient au tableau de base (forme, activité), et si l'on refuse ou comprend mal la théorie alchimique, on sera tenté d'y calquer le schéma des "subtilités". On note alors que :
Terre = solide
Eau = liquide
Air = gaz
Feu = ?
De cette interrogation proviennent les errements philosophico-verbeux sur l'impetus ou le phlogistique. Si l'on enlève le "?", il reste les trois états connus de la matière :
Solide : forme, volume fixe
Liquide : sans forme, volume fixe
Gaz : sans forme, volume variable.
Les spéculations sur le phlogistique consistent à définir le Feu en lui associant une forme mais un volume variable.
Le quatrième état, le plasma, a été reconnu plus tard. Il s'agit d'une sorte de bouillie de protons, d'électrons, de particules élémentaires. Mais c'est aussi l'état le plus stable auquel parvient une étoile à la fin de sa vie (étoile à neutrons, naine brune). Elle possède à peu près une forme fixe (sphère), mais un volume variable puisque elle peut pulser. A l'époque, on n'en était pas là. Au milieu du XIXe siècle, l'étude des premiers plasmas dans les tubes de Crookes amènera à la révolution de la physique atomique des débuts du XXe. Si les savants de cette époque ne sont pas Alchimistes, ils restent imprégnés de toute cette vieille culture.

Les principes fonctionnels : Vraie Alchimie, alchimie idiote, fausse alchimie, contre alchimie

Nous allons maintenant parler du point de vue fonctionnel, mercure, soufre et sel, sous un point de vue inhabituel, celui de la pathologie.
Si l'oeuvre alchimique se compose de ces trois fonctionalités, le mauvais alchimiste fera des erreurs sur son propre mercure, son propre soufre et son propre sel :
* les erreurs sur le mercure portent sur l'ambivalence de son propre formalisme ;
* les erreurs sur le soufre portent sur son activité ;
* les erreurs sur le sel portent sur le processus régulateur.
Traditionnellement, les erreurs sur le mercure sont les plus simples, celle de l'école primaire alchimique. Elle se traduisent par les mauvaises alchimies et ce sont les erreurs des souffleurs.
Les erreurs sur le soufre correspondent au niveau du lycée, à la fausse alchimie. Nous les appellerons des erreurs de Zitoire (le suppôt de Satan, merci les Inconnus !).
Les erreurs sur le sel sont les plus graves, du niveau universitaire, celles qui mènent à la contre-alchimie. En d'autres termes, des erreurs de Berthold (B. Schwarz, ou "vieille lumière noire" si l'on traduit de l'allemand, l'inventeur légendaire de la poudre à tout faire sauter).
Les erreurs de type souffleur, au niveau de la théorie alchimique, ce sont celles qui amènent les discussions sur l'impetus, le phlogistique et autres vertus dormitives, les spéculations idiotes sur le feu secret, etc.
Les erreurs de Zitoire ou de fausse alchimie renvoient toutes à un classement de valeur "en soi" des 4 éléments, et non pas in situ dans le creuset. La Table d'Emeraude est claire là dessus. Elle demande de passer de l'épais au subtil, "doucement, avec grande industrie", mais dit bien que, dans le processus, "il monte et redescend" tout de suite après. Mais si l'on fige la montée, ou la sublimation, on se retrouve avec une hiérarchie des "règnes":
Terre : minéral
Eau : végétal
Air : animal
Feu : homme.
La Quintessence, qui est obscurément nommée par certains textes Ame du monde, dans une théologie matérialiste, s'identifie à dieu. Ainsi, selon ces "philosophes", le cerveau sécréte la pensée, et l'univers sécréte Dieu.
Dans les théories Zitoires, il existe une variante applicable à l'humanité. Nous allons, dans un tableau, la mettre en parallèle avec la véritable théorie : Eléments Faux Vrai Terre corps ossature Eau émotions liquides et humeurs Air pensée gaz Feu intution ou pouvoir magique (ambiguïté) énergie, en particulier échanges électriques Dans la fausse théorie, le "pouvoir magique" représente l'art de tripatouiller les causes subtiles pour arriver à ses fins.
A partir de là, pour Zitoire, l'humanité se répartit en 4 catégories hiérarchisées qui se traduisent, explicitement ou implicitement, par un tableau de ce type : Feu Sages philosophes, seuls dignes de diriger (cf. Platon) Air penseurs savants, technocrates Eau hommes émotifs le bon peuple Terre hommes corporels sous hommes Ce qui, bien évidemment, renvoie à un modèle de société. Ici, il s'agit de la République idéale de Platon.


La transformation du Tarot

Pour mieux comprendre comment peut s'introduire une erreur de Zitoire, nous allons partir d'un très ancien modèle traditionnel, celui que nous connaissons aujourd'hui au travers du Tarot. Les 4 "couleurs" des arcanes mineurs correspondent aux 4 éléments, selon un symbolisme graphique fort ancien.

Terre : Bâton.
Au départ, il ne s'agit pas d'une massue, mais du bâton qui sert d'instrument agraire et qui, associé au silex, donnera le soc de charrue ou la faux. Ceci indiquerait la date d'élaboration de ce modèle, sans doute vers la fin du néolithique.

Eau : Coupe
Elle deviendra le Graal. A l'époque, il s'agit plutôt de la calotte crânienne ou de la calebasse utilisée pour boire, ou du bol de céramique.

Air : Denier
L'actuel denier n'est que le dernier avatar d'une chaîne de transformations graphiques qui passe par l'arbre . On le retrouve au Moyen Age classique, sous une forme qui va, par stylisation, donner le cercle du Denier. Mais, à l'origine, il s'agit du soufflet des premiers forgerons (une simple outre ronde).

Feu : Epée
Nous sommes bien dans l'époque de transition entre néolithique et âge du Bronze, lorsque l'outil de métal est précieux, rare, et réservé aux usages qui nécessitent de couper ou de trancher. Avant de prendre la forme de l'épée, il s'agit d'abord d'une hache.

Les préoccupations qui se discernent derrière ce symbolisme sont purement alchimiques. Le bâton associé à la pierre renvoie à l'art de bâtir le foyer. La coupe est le récipient où l'on garde les liquides. Le soufflet puis les conduits de tirage ou cheminées et l'objet de métal sont à la fois les outils de travail et les objets à produire pour les premiers métallurgistes. Dans cette perspective, pour obtenir l'un des 4, il faut avoir les outils dans les trois autres. Prenons le soc de charrue, bâton et pierre : le bâton vient d'un végétal, nourri par l'eau, l'air et la lumière ; il faut posséder un outil de métal pour le découper et le façonner ; la pierre nécessite aussi des outils de métal et de l'eau lorsque l'on doit la sortir de sa minière ; l'air est supposé être l'agent qui fait gonfler les coins de bois que l'on enfonce pour la détacher d'un bloc de rocher. De même, un outil de métal demande du bois pour le feu, un soufflet pour l'attiser, de l'eau pour la trempe.
Si l'on applique alors ce symbolisme comme modèle de société :
Bâton : production agricole
Coupe : comptabilisation et gestion
Soufflet : technicité
Epée : vertus guerrières.
Les organes sociaux sont donc de même valeur et interdépendants. La valorisation de l'un d'entre eux ne peut être que temporaire et le résultat d'une nécessité évidente de par les contingences du moment.
Le Soufflet, aussi bien dans sa fabrication que dans son usage, demande une grande technicité et symbolise tout ce qui est volatil. Il s'agissait alors d'un art très difficile, qui était le fait de gens très mobiles, qui passaient de village en village. De ce fait, ils assuraient aussi les échanges de messages ou d'objets. Plus tard, on lui associera la trompette du héraut, (l'annonceur public et/ou celui qui énonce la guerre ou la paix) et toutes les activités économiques, d'échange ou de déplacement, par exemple le souffle du vent dans la voile du bateau.
La Coupe sert à la gestion des ressources, en tant que silo ou mesure. Mais, dans les pays secs où s'est développée cette culture, elle s'associe à la miséricorde : donner à boire. Elle va donc symboliser les serviteurs des temples, prêtres mais aussi sacrificateurs, gestionnaires chargés d'une distribution juste.
La première déformation, de type souffleur (le nul de l'école primaire d'Alchimie), intervient à la fin du XIVe et au début du XVe siècles. Elle renvoie l'artisan avec l'agriculteur sous le symbole du Bâton, et met exclusivement dans le Denier l'activité économique et intellectuelle.
Si nous revenons au modèle Zitoire "corps, émotions, pensée, intuition", on retrouve la représentation tardive du Tarot :
Bâton : corporel : travailleurs manuels
Coupe : émotionnel : religieux
Denier : pensée : philosophes, savants
Epée : intuition, pouvoir : guerrier, chevalier.
Ce modèle, avec peu de variantes, est celui repris par Héléna Blavatsky et Alice Bailey, en remplaçant :
* les manuels (serfs, esclaves) par les machines
* les émotifs par les hommes normaux, qui ne pourraient être initiés que par l'émotion et doivent donc être manipulés. Comme ils ne désirent pas d'emblée l'initiation, il faut la leur rendre attractive.
* les penseurs par l'intelligentsia ou les technocrates, qu'il s'agit de convaincre.
* les intuitifs seront les sages, ceux qui savent déjà puisque ils ont l'intuition. Ceux qui n'ont pas la même sont forcément perçus comme des mages noirs et exclus du système.


La science contemporaine



Face à ces déformations, il est important de parler de la science moderne là où elle rejoint l'Alchimie. Le problème posé depuis le XVIIIe siècle se traduisait par la question : qu'est-ce que le Feu ?
Tout naturellement, la science aux débuts de siècle trouve une réponse moderne pour une science moderne. Paradoxalement, c'est la Relativité qui donne la solution. moderne de la typologie alchimique Elle évite les étapes douteuses hiérarchisées de la matière, de l'épais au subtil. La Relativité est basée sur la constante fondamentale C, la vitesse de la lumière. On peut faire un lien entre E = MC2 et x = Ct, (ou C=x/t qui est une vitesse : distance/temps) qui indiquent une relation entre énergie et matière et entre espace et temps. Or, en Alchimie, nous avons vu qu'il existe un lien entre Eau et Feu comme entre Terre et Air. La Relativité établit un lien Terre/Feu et Eau/Air. Dans cette représentation :
Terre : matière
Eau : temps
Air : espace
Feu : énergie.
Les deux qualités référençant cela sont que l'énergie est source de transformations, et la matière agent de transformation ; l'espace exprime une translation libre, le temps une translation liée (a priori on ne va que du passé vers l'avenir). On aura ainsi :
Matière agent passif
Energie agent actif
Espace milieu d'action actif
Temps milieu d'action lié ou passif
Ces qualités sont donc action en tant qu'agent ou milieu, et activité : actif ou passif.
A partir de là, on ne peut plus exprimer un ordre graduel de la matière à l'énergie, puisque c'est la même chose, que la matière courbe l'espace et modifie le temps, que l'énergie est liée à l'espace et au temps.
On retrouve le même type d'approche si, au lieu de C, on prend la constance de Planck. Partons du principe d'incertitude de Heisenberg. Il s'exprime aussi par deux formules :

qui expriment l'oscillation de deux valeurs couplées par une relation, la première entre quantité de mouvement et position, la seconde entre énergie et temps.
Si énergie = Feu ; temps = Eau ; position = Terre ; quantité de mouvement = Air, on a le tableau suivant : Energie Feu tension subtile Agitation Air tension évidente Temps Eau quantité subtile Position Terre quantité évidente Tension et quantité sont des variables de thermodynamique. Une variable de tension a une dimension, un "haut" et un "bas". Une variable de quantité n'a pas de "haut" et de "bas". Pour donner des exemples, en chaleur, la température est une variable de tension, le volume est une variable de quantité ; en dynamique de la chute des corps, la hauteur est une variable de tension, la masse est une variable de quantité ; en électricité, le voltage est une variable de tension, le coulomb (quantité d'électricité) est une variable de quantité.


Les erreurs de Berthold

Il nous reste à voir un modèle qui combine la contre-initiation (Berthold) et la fausse alchimie (Zitoire), et nous prendrons l'exemple d'une modélisation fort à la mode, la PNL (programmation neurolinguistique).
Elle a pour caractéristique que les modélisations y sont non dites ou sous entendues, et tout se fait au travers d'une praxis. Nous allons découvrir ce modèle implicite à partir d'une praxis qui ne concerne pas l'un des modes principaux, mais un mode annexe, la praxis de la PNL dans un modèle de l'histoire.
On y retrouve les 4 étapes déjà vues dans les modèles Zitoire. Il reprend implicitement et en le truquant un modèle de fausse alchimie, celui d'Auguste Comte. On sait que, pour lui, la société passe par quatre stades :
* magique, prélogique ou polythéiste
* monothéiste
* philosophique
* positiviste (philosophie avec un doute cartésien corrosif).
Cette évolution, reprise dans un modèle de société selon l'optique de la PNL, devient :
* sociétés de type magique : comme le regard est foncièrement athée, le polythéisme et le monothéisme se retrouvent dans le même sac.
* sociétés techniciennes
* sociétés scientifiques
* sociétés holistiques.
Ce système vient des anglo-saxons qui ont subi plus que tout autres les traumatismes de la peste noire et des guerres de religion. Pour un Américain bon teint qui ignore le contexte culturel de ces traumatismes et vit avec les préjugés de sa propre culture, le moyen age est le dark age, celui des superstitions barbares vues au travers de la science fiction de style Conan ; c'est aussi l'époque des procès de sorcellerie, au mépris de la vérité historique (il s'agit des XVIe-XVIIe siècles ; d'autre part le "nouveau monde" n'a pas évité le problème, cf. Salem!) ; et il s'y greffe tout le romantisme déployé autour des querelles scientifiques du XVIIe siècle, comme le procès de Galilée. Pour un anglo-saxon américain vivant sur ses préjugés, ses ancêtres ont quitté cela en franchissant l'Atlantique, et c'est donc tout le passé d'avant l'Indépendance qu'il met dans le sac "magique".
La mémoire lui vient à partir du XVIIIe siècle, et des débuts du XIXe, c'est à dire de la révolution industrielle qui a lieu à la fois en Grande Bretagne et aux USA. Cette société technicienne finit dans le traumatisme de la guerre de Sécession. On peut constater le silence dans les manuels d'histoire sur les 20 ans qui suivent dans toute l'Amérique.
A la fin du XIXe et au début du XXe siècles se placent les découvertes scientifiques auxquelles les Américains prennent une grande part. La société scientifique se termine par un double traumatisme confondu dans le temps : on oublie et on condense dans le même hiatus la bombe A, la bombe H, la guerre froide, la guerre du Vietnam et les déboires avec l'Iran. Le réveil a lieu avec la guerre du Golfe et sa coïncidence avec la chute du mur de Berlin. De là naît le souhait mythique d'arriver à une société "holistique ". Ce schéma imparfait de l'histoire est le décor implicite inconscient du monde de la PNL.
Ce schéma renvoie implicitement à la doctrine des 4 âges, mais inversé :
* magique : âge de fer
* technicien : âge d'airain
* scientifique : âge d'argent
* holistique : âge d'or,
c'est à dire retour à une civilisation hors du temps. Il est intéressant à ce sujet de scruter la doctrine millénariste qui se développe actuellement et les fantasmes qui surgissent autour de l'an 2000.
Lorsqu'on applique ce modèle non plus à l'évolution de la société américaine, confondue avec la société tout court, mais à l'individu, en une sorte d'attitude comportementale de "Mister America" naïvement pensée comme la seule possible au monde, les stades magique, technique, scientifique et holistique, sont ceux de l'évolution psychique. Nous les trouvons ainsi décrits :
* attitude magique : inconsciemment inefficace (ou incompétent, dans le jargon PNL)
* attitude technique : consciemment inefficace
* attitude scientifique : consciemment efficace
* attitude holistique : inconsciemment efficace.
C'est le processus ordinairement décrit de l'apprentissage de la bicyclette. Pour un Américain PNListe, retourner à l'âge d'or est donc comparable à apprendre à rouler en vélo.
Nous retrouvons ainsi à terme, en "horizon et but", la vision mythique de la cité parfaite, de la Jérusalem d'En Haut. Il serait intéressant de voir cette progression et les fantasmes des sectes protestantes américaines à partir des textes de Luther et de James Knox commentant Augustin. Notons d'ailleurs qu'Augustin, qui vivait à une époque correspondant au stade magique du modèle PNL, soupirait après un âge holistique.
Si nous reprenons les deux qualités exprimées dans le modèle, conscientisation et pertinence, ou efficacité, et si nous les calquons sur le modèle alchimique, nous aurons alors une première possibilité : Feu coagula actif holistique Inconscient Compétent Air solve actif scientifique Conscient Compétent Eau solve passif technique Conscient Incompétent Terre coagula passif magique Inconscient Incompétent Le stade idéal permet de faire l'équivalence :
coagula = inconscient
solve = conscient,
ce qui, du point de vue de l'Alchimie, est une inversion des principes. Autrement dit, une option luciférienne.
Par contre, si l'on souhaite garder l'ordre alchimique dans les qualités, on est obligé de prendre la succession : Air solve actif holistique Inconscient compétent Feu coagula actif scientifique Conscient Compétent Terre coagula passif technique Conscient Incompétent Eau solve passif magique Inconscient Incompétent ce qui correspond à une volonté de sublimation et de désincarnation des principes. Dans cette modélisation, on met en tête le technocrate ; juste en dessous, les artistes ; ensuite les machines ; et bien en dessous, les hommes émotionnels et communs. On peut aussi le concevoir comme technocrate et scientifique au sommet, puis philosophe de feu, puis technicien, enfin prêtre et médiateux (marchands d'émotion). mais ce schéma ne correspond pas à la valorisation de l'excellence holistique telle qu'elle est présentée par le discours à usage externe de la PNL !
Donc soit on aboutit à une société technocratique— mais nous y sommes déjà et on se demande ce qu'apporte alors la PNL— soit la PNL est une contre-initiation, ce que nous croyons volontiers.
Inverser le solve et le coagula équivaut à vouloir décerner la Légion d'Honneur à des assassins et mettre les saints en prison.
Nous sommes donc en face d'une problématique qui peut se poser de la façon suivante. Soit on suppose une société d'hommes parfaits— et qui voudrait que ses dirigeants ne soient pas parfaits ?— qui sont efficaces par le moyen de processus inconscients à eux-mêmes ; soit une société de "technocrates holistiques". Dans l'un ou l'autre schéma, il est toujours dangereux, alchimiquement parlant, de terminer l'oeuvre par un solve. L'oeuvre véritable se termine toujours par un solve-coagula : c'est la Pierre Philosophale.
Nous n'allons pas développer ici en clair en quoi consiste une erreur de Berthold. Ce serait ennuyeux pour le lecteur non spécialiste de l'Alchimie et trop dangereux si le lecteur se sentait une furieuse vocation de mage noir par une voie d'alchimie sociale. Disons simplement que la différence entre un véritable Alchimiste et un Berthold, c'est qu'un Alchimiste laisse faire dans son creuset l'oeuvre de nature, alors qu'un Berthold détourne à son profit les forces naturelles. Vis à vis d'une société humaine, un Berthold agit comme une sorte de virus du Sida. En fait, Berthold est un prédateur.
Qu'est-ce qu'un prédateur au niveau écologique ? Une espèce animale qui utilise en la détruisant une autre espèce. (De ce point de vue, un travail de Zitoire est plutôt un parasitage.) La différence entre prédateur animal et prédateur humain, différence fondamentale mais qui a jusqu'ici échappé à l'observation, c'est que l'homme est conscient de ce qu'il fait. Lorsque le prédateur animal n'a plus de proies, il meurt de faim. Un prédateur humain sait préserver un minimum d'individus pour qu'ils se reproduisent et pouvoir ainsi prédater une autre fois. De ce point de vue, la limitation de la chasse et de la pêche sont des actes de prédation intelligente. Cela peut avoir un sens si cela est justifié par des raisons de nourriture, famine ou autre. Mais un prédateur de type Berthold ne commettra pas une erreur de Zitoire. Nous voulons dire par là qu'un Berthold maladroit, ce sont par exemple certaines sociétés du néolithique qui passaient d'un lieu à l'autre en épuisant les sols et en détruisant le paysage par la technique du brûlis. Au bout de quelques millénaires, des régions entières d'Amérique centrale, d'Europe ou d'Afrique ont été totalement désertifiées. De ce point de vue, l'économie moderne n'a employé, mutatis mutandis, que des sortes de techniques de brûlis (épuisement des matières premières, appauvrissement de certaines sociétés les unes après les autres, etc.). Ce genre de praxis du monde n'aboutit jamais, l'histoire le prouve, qu'à des situations de chaos à plus ou moins long terme ; ou bien à des sociétés figées, la pénurie pour tous équitablement imposée, ce qui revient au même scénario à 200 ou 500 ans près, avec plus de souffrances encore.
Le vrai Berthold, lui, conscient de son action, utilise sa proie de manière à ne pas rompre "l'équilibre". Pour cela, il ne prédate qu'à "bon escient", si l'on peut dire, et "s'arrange" pour anesthésier sa proie. La technique la plus classique consiste à hypnotiser les brebis pour leur faire croire qu'elles sont des chiens de berger ou même des bergers, et elles attendront tranquillement le loup. La meilleure technique trouvée jusqu'à ce jour consiste à trier le troupeau en deux catégories, celle des passifs, qui seront de toute façon toujours des proies, et celle des actifs. Pour ces derniers, il s'agit de les "hypnotiser", d'orienter et de tromper leur générosité pour les transformer, de "chiens de berger", en "chiens de chasse", en leur faisant croire qu'ils remplissent toujours la précédente fonction. Il suffit alors au prédateur de lancer les ordres, et le chien rameutera les brebis pour une chasse, en croyant lui-même que tout va bien : tout va bien puisque le chien croit être gardien et n'entend même plus le cri des brebis qui clament que tout va mal. Il l'interprète comme un signal confirmant que tout va bien.
Comment comprendre qu'un signal de détresse puisse être entendu comme le signe que tout va bien ? C'est là que nous retrouvons la problématique de l'inversion du solve et du coagula. C'est bien beau d'être "inconsciemment compétent", mais compétent en quoi ? Et si l'on agit correctement en toute inconscience, dans quel but ? Comment le savoir si ce dernier est non dit ou prétendu impossible à nommer ? D'autre part, il est de bonne politique pour un prédateur humain, selon le principe du moindre effort, de laisser s'élaborer une structure puis de conditionner par des doctrines savamment extravagantes ses meneurs. L'on pratique ainsi des sortes d'OPA sauvages où les apparences sont sauves, mais où tout fonctionne différemment. Si Berthold demeure dans l'ombre, la situation est la même qu'avec le virus du Sida.
Une question se pose enfin : quel est le but de Berthold ? Pourquoi a-t-il envie de prédater l'espèce humaine ? Un Zitoire a besoin du pouvoir pour s'en gargariser. L'odeur de l'encens est plus grisante que celle de l'alcool. Berthold, lui, est tellement fou d'orgueil qu'il devient insensible à ce genre de flatteries. Il se repaît, pour lui et pour ses maîtres diaboliques, de la seule nourriture commune chez l'animal et chez l'homme, mais plus subtile en l'homme donc plus intéressante pour lui, la souffrance. C'est avec cette énergie qu'il espère obtenir toutes les transmutations.
Comment parvenir à réduire les manigances et manipulations lucifériennes qui existent, nous en sommes persuadé, depuis le début du monde ? Il suffit de passer par la voie de la vigilance qui aboutit naturellement à la conscience, la conscience éveillée. Qu'est-ce que vigilance veut dire ? C'est être un bon gardien. Un prédateur n'aime pas l'attitude de gardien. Caïn ne répond-il pas à Dieu (après avoir tué Abel) : "Je ne suis pas le gardien de mon frère" ? Etre un bon vigilant, c'est avoir une bonne hygiène du corps (un malade ne voit rien et n'entend rien) ; des émotions bien placées, ce qui ne veut pas dire réprimées (l'adhésion à une décision par enthousiasme ou par peur est la pire qui soit parce qu'elle n'est pas faite en liberté) ; un intellect efficace, ce qui ne veut pas dire pinailleur ou sceptique, ou corrosif ; une intuition attentive sans crédulité (on ne cherche pas ici à sentir les "bonnes ou mauvaises vibrations" ou à se prendre pour une Pythie sauvage). Mais, les Alchimistes l'affirment tous, tout cela ne peut se faire que dans le silence intérieur ("La paix que je vous donne, je ne vous la donne pas comme le monde la donne"). Et, bien sûr, cette harmonie des 4 "tendances" de l'homme ne peut se parfaire que dans l'Amour, non celui qui réclame, qui exige ou qui propose n'importe quoi n'importe comment, mais celui qui donne et reçoit avec simplicité. C'est un long chemin, plusieurs voies ont été proposées pour y parvenir, la voie de la compassion de Bouddha, le Tchan, le christianisme de l'orthodoxie...
Pour moi, si tu veux, mais ce n'est qu'une représentation personnelle, je résumerais cela brièvement par :
* au corporel : tenir droit sans blobloter ou tituber (et dormir quand il faut)
* à l'émotionnel : "la peur n'évite pas le danger" et aussi "jubilation, ce n'est pas ivresse : un peu de calme, là dedans !"
* à la réflexion : ce qu'on me dit ou ce que je pense, est-ce cohérent, et où cela me mène, nous mène-t-il ?
* à l'intuition : "d'où te vient ceci, ô mon âme, d'où te vient ceci ?"
* au spirituel (les 4 à la fois) : "malheureux que je suis, je ne fais pas le bien que je veux mais je pratique le mal que ne veux pas !" (Rom. VII 24 et 19)
Tout projet sur l'homme, tout projet de société qui ne définit pas clairement ses buts et ne les donne qu'à des initiés (au sens étymologique : in-itiare, aller dans ; il s'agit de ceux qui ont fait le pas de rentrer dans le groupe ou le mouvement), et dont on sait, en l'analysant en tant que pseudo alchimie, qu'il fait parvenir à la confusion mentale avant la "réalisation" ne peut être le fait que de fous ou de factieux. La mort alchimique n'est pas une confusion mentale, mais une mort.(suivie d'ailleurs d'une renaissance à un "autre" état). La véritable initiation mène à un état autre pour et avec tous les autres hommes, sinon la Création entière, non pour l'usage d'un "petit" groupe. En ce sens, pour nous alchimistes, la Mort est la seule véritable pierre de touche du Grand Oeuvre et la seule réalité ultime en ce monde. Toute cérémonie suivie de renaissance dans une église ou société initiatique, si elle est vraie et sincère, ne peut être, selon nous, que préfigure prophétique de ce qui arrivera un jour à tout homme, sinon elle n'est que parodie ou tromperie.
Une vérité qui n'ose pas se dire n'est qu'un mensonge qui se cache.
Pour résumer tout ce chapitre, nous citerons un passage du Livre de l'Ecclésiaste (IX, 11-18) :
"J'ai encore vu sous le soleil que la course n'est pas aux plus agiles, ni la guerre aux plus vaillants, ni le pain aux plus sages, ni la richesse aux plus intelligents, ni la faveur aux plus savants, car les circonstances bonnes ou mauvaises surviennent pour eux tous.
L'homme ne connaît pas plus son heure que les poissons qui sont pris au filet néfaste, ou que les oiseaux qui sont pris au piège ; comme eux, les humains sont enlacés à l'heure néfaste qui s'abat sur eux tout à coup.
J'ai aussi vu sous le soleil cet exemple de sagesse qui m'a paru remarquable.
Il y avait une petite ville, avec peu d'hommes ; un roi puissant marcha contre elle, l'investit et construisit contre elle de vastes retranchements.
Il s'y trouvait un homme pauvre et sage qui aurait pu délivrer la ville par sa sagesse. Et personne ne s'est souvenu de cet homme pauvre.
J'ai dit : La sagesse vaut mieux que la vaillance. Cependant la sagesse du pauvre est méprisée, et ses paroles ne sont point écoutées.
Les paroles des sages écoutées dans le calme valent mieux que le cri qui domine parmi les insensés.
La sagesse vaut mieux que les armes de combat ; mais un seul imbécile maladroit anéantit beaucoup de bien."

Quelques exemples de sociétés placées sous un éclairage alchimique

par Geneviève Béduneau

Remercions Olivier de Lara de sa contribution, car une telle clarté est rare dans un texte qui parle d'Alchimie ! Il m'est venu à le lire l'idée qu'à partir de ce modèle, il est possible de prévoir un certain nombre d'erreurs dans l'application de modèles de société, et leurs conséquences, même à partir du schéma de base des 4 composantes organiques et des 3 fonctions. Or l'histoire confirme, par l'absurde pourrait on dire, la validité de ce modèle.
Une première erreur consiste à confondre organes et fonctions. Dans ce cas, il est impossible d'exprimer les 4 éléments à la fois, et l'on aura tendance à en rejeter un. L'exemple le plus frappant de cette erreur est la trifonctionalité que Georges Dumézil croit déceler dans la mythologie comparée des peuples indoeuropéens. En fait, consciemment ou non, il l'emprunte aux intellectuels du moyen âge, qui distinguaient trois classes sociales fonctionnelles : les oratores (ceux qui prient), les bellatores (ceux qui combattent) et les laboratores (ceux qui travaillent, le terme a donné en français laboureur). C'est l'Air, l'activité d'échange, qui se trouve rejeté de ce schéma. D'autre part, la confusion des éléments et des fonctions, comme on ne saurait dans une telle conception des choses assimiler tous les paysans à des prophètes, rejette forcément les producteurs, la Terre, au bas de l'échelle. Par contre, la hiérarchisation du "mercure" Eau et du "soufre" Feu pose question. Qui doit occuper le sommet, le prêtre en contact avec la volonté divine ou le guerrier qui maintient la structure par la force, en assurant la défense contre les agressions externes et internes ? Celui qui interpète la volonté divine ou celui qui assure la cohésion de la forme ? Une telle question est insoluble. On peut donc s'attendre à de sérieuses querelles de préséance. D'autre part, l'Air étant éliminé, il reste les besoins qui lui correspondent. Besoin de technicité : le moyen âge l'a résolu en rejetant la plupart des artisans dans la même catégorie que les paysans. Besoin de technicité mobile : comment faire lorsque l'on n'a pas le spécialiste sous la main ? Besoin d'échanges : comment les réaliser ? Les activités que l'on ne peut ni accepter dans le schéma ni éliminer concrètement seront forcément confiées à des marginaux, minorités religieuses, ethniques, étrangers, etc., envers qui l'attitude collective ne sera jamais claire. C'est le schéma classique d'un double lien psychologique tel que le décrit Bateson. La lutte pour la préséance s'est traduite par la rivalité du pape et de l'empereur et, en Italie, par la guerre armée entre guelfes et gibelins. La circulation monétaire a été fortement réduite, mais avec elle, le droit de parole également. Les activités mobiles, artisanales ou marchandes, ont été confiées les unes aux sociétés de métiers et les autres aux Juifs et aux Lombards. Exclus du système mais nécessaires pour sa survie, les uns et les autres ont été l'objet de mesures d'ostracisme. Une telle société se voit incapable de gérer un afflux soudain de richesses d'échange. De fait le modèle de féodalité instauré par les Francs s'est brisé dès que la production artisanale a nécessité une augmentation du commerce, en particulier celle des drapiers anglais et flamands. Il faut noter que c'est lors de cet échec du modèle faussé qu'apparaît, comme un rappel du modèle exact, le jeu de cartes.
Nous aurons dans l'histoire plus récente l'exemple du rejet d'une autre catégorie organique, du fait de la confusion avec les 3 fonctions. Celle du XIXe siècle, issue idéologiquement de la révolution française, a rejeté le service du temple, l'Eau. Dans une telle perspective, avec confusion du temple et du "prêtre" fonctionnel, le besoin de sens, de signification n'est pas comblé. Refoulé, il se manifeste de manière désordonnée et sauvage. On peut déchiffrer ainsi les excès du romantisme ou du surréalisme, l'engouement pour le "magnétisme animal" et le spiritisme, ou pour les idéologies parareligieuses. Le choc de ces dernières a fait basculer le monde de monsieur Homais dans les enfers des totalitarismes. D'autre part, le besoin de miséricorde et de répartition juste qui est l'une des activités des temples, reste indispensable. Il ne peut être confié à des populations marginales, et va donc être soit réduit à sa plus simple expression, ce qui s'est traduit par la misère des ouvriers de la révolution industrielle. Et si son absence devient dangereuse, car génératrice de révoltes, il va se reporter sur les pseudo temples que sont les administrations spécialisées. Une telle société ne peut que se dessécher et se voir submergée par le retour tempêtueux du refoulé. De fait, elle a été dissoute par la grande vague des luttes idéologiques des années 1930. On sait ce qui en résulta.
Depuis la dernière guerre mondiale, c'est le Feu, le guerrier qui s'est trouvé rejeté du modèle. Le résultat fut l'exportation des conflits vers les marginaux de la mondialisation, le tiers monde. On peut en voir aussi les effets dans le désarroi des policiers, à qui personne ne savait plus assigner de mission cohérente et précise. Cette phase aurait pu s'achever par un embrasement général, que tout le monde redoutait, d'ailleurs. En fait, elle s'est achevée par la "nécessité" d'intervention là où l'on avait laissé quelque place au combattant honni, c'est à dire à l'extérieur des frontières nationales.
Enfin, nous abordons depuis quelques années une période où c'est la Terre, l'homme de la main, qui n'a plus sa place, dans le même temps où l'armée retrouve une certaine justification (guerre du Golfe, forces d'interposition en Bosnie, etc.). L'incapacité à juguler le chômage, sauf en créant des "petits boulots" sans portée humaine et mal payés, en témoigne. Tout se passe comme si, ayant opéré cette confusion de l'organique et du fonctionnel, il fallait essayer toutes les combinaisons de 3 éléments et se rendre compte enfin que cela ne marche pas. Ce dernier rejet est sans doute le plus grave. Comme il faut bien assurer un minimum de production, qu'il s'agit des besoins vitaux de nourriture, mais aussi de ce qui alimente les activités d'échange, on ne peut alors les confier qu'à des substituts de l'homme ou à des esclaves. C'est sur le même rejet que la société athénienne a achoppé. Elle avait choisi la solution de l'esclavage. Notre époque, et cela est nouveau dans l'histoire, a préféré développer des substituts, les machines automatisées. Or ce n'est pas une question de "progrès". A leur échelle, les Grecs avaient les connaissances et les moyens de mécaniser leur monde.
A l'intérieur de chaque fausse triade fonctionnelle, pratiquement toutes les hiérarchisations ont été tentées. Elles se sont brisées les une après les autres, celle des guerriers durant la guerre de cent ans, celle du clergé durant les guerres de religion, etc. Actuellement nous sommes dans une phase de domination de l'Air qui ne peut pas davantage tenir. Il est assez terrible de s'apercevoir qu'une erreur de modélisation par confusion de l'organique et du fonctionnel a engagé la société pour plus d'un millénaire.
La seconde erreur consiste à bien distinguer fonctions et éléments, mais à vouloir hiérarchiser ces derniers, à établir un régime de castes plus ou moins valorisées, avec plus ou moins de pouvoir. Le plus évident est celui de l'Inde, repris et théorisé par René Guénon. Il établit la hiérarchie brahmane (temple, rite) > kshatriya (guerrier) > vaisha (paysan) > marchand, c'est à dire Eau > Feu > Terre > Air. Cette division a pour résultat de figer la société et d'empêcher les fonctions alchimiques de s'exprimer à l'intérieur, puisque les éléments n'interagissent plus. De ce fait, elles se marginalisent et forment des structures en excroissance par rapport aux castes : ashrams, vagabondage vécu comme voie spirituelle, etc. Cependant, la fonction royale est forcément minimisée, puisque la forme sociale est fixée une fois pour toutes. De ce fait, la régulation est vidée de son sens, et seul le mercure peut véritablement s'exprimer dans cette marginalité. Le système ne peut supporter les chocs ni la confrontation avec l'extérieur, donc avec une pluralité de formes, et l'effondrement amène une anomie, faute de soufre. C'est exactement ce qui s'est passé pour l'Inde.
Les totalitarismes modernes nous donnent l'exemple d'autres hiérarchisations du même genre. Le nazisme a valorisé le guerrier qu'il a placé au sommet. L'échelle est alors guerrier > paysan > temple > marchand. Cet excès de Feu finit par tout brûler. Aucune fonction alchimique ne peut véritablement s'exprimer : la forme est donnée une fois pour toutes, la diffusion des énergies refusées (concentration au profit de l'hypothétique "surhomme") et la régulation est ainsi rendue impossible. Notons que les deux modèles que nous venons de voir impliquent, en dessous de la dernière caste, une "sous humanité" (intouchables, races inférieures, etc.) formée de ce qui reste inassimilable, en particulier l'étranger. Une telle société dominée par le feu guerrier s'effondre, elle, à la première défaite militaire. On l'a vu pour le nazisme. Ce fut aussi le sort de la société assyrienne fondée sur un modèle très proche.
La société "communiste" n'admet en théorie qu'un seul élément, la Terre du paysan-ouvrier. En fait, dans le modèle de Staline, la hiérarchisation des catégories s'accompagne d'une confusion avec les fonctions, et l'on trouve une succession théorique paysan-ouvrier > guerrier > temple (idéologie, intellectuels). La liste s'arrête là, avec le rejet de l'activité marchande, la capitalisme honni. Ce modèle intenable dans la pratique aboutit dans les faits à un renversement de la hiérarchie théorique, assorti d'une circulation forcée des individus d'une caste à l'autre : on favorise par exemple l'accès à l'université des fils de travailleurs, alors qu'on oriente les enfants d'intellectuels vers une activité manuelle, comme dans une sorte de circuit oscillant. Les fonctions alchimiques y sont perverties, mais s'expriment au travers de circuits compliqués et obligés. De ce fait, elle ne peuvent jouer pleinement leur rôle et la machine tend à tourner à vide. Le soufre domine, incarné par les "petits chefs" ; le mercure se confond avec la diffusion de l'idéologie ; le sel passe par les complots internes de la nomenklatura. Un tel système ne s'effondre pas d'un coup : il se détraque jusqu'à ce qu'une pichenaude suffise à l'écrouler. Mais comme le soufre est en excès, on aboutit à une granulation de micro-systèmes en conflit.
Il est intéressant de voir aussi un système qui a perduré durant plusieurs millénaires dans l'antiquité, le modèle pharaonique. Il consiste à concentrer les trois fonctions en un seul homme, Pharaon, dont l'alchimie personnelle est censée rejaillir sur le pays, et à le placer au sommet de la hiérarchie. Les quatre catégories sont présentes, avec une hiérarchisation par couples : au sommet, l'opposition Eau/Feu, temples et guerriers. En dessous, les paysans et les marchands et artisans, l'opposition Terre/Air. Cependant, là encore, l'Air n'est pas totalement exprimé, ce qui donne un modèle étouffant . D'autre part, il est figé par le manque d'interaction entre les éléments, puisqu'elles doivent toutes passer par Pharaon. Ce modèle entraîne le développement parasitaire d'une administration qui répercute les trois fonctions. L'erreur, ici, ne consiste pas tant dans la hiérarchisation que dans une mauvaise compréhension de la fractalité, confondue avec une répercussion en cascade. Ce modèle est extrêmement fragile. Tout l'écroule, les tensions internes comme les pressions extérieures. En même temps, il possède une puissance d'attraction telle qu'il ressurgit périodiquement, ce qui vaut à l'Egypte une alternance de "périodes intermédiaires" et de dynasties installées. Lorsque Auguste s'est fait introniser pharaon, l'égrégore ainsi structuré s'est reporté sur Rome, générant le culte impérial et le mythe d'empire. Dans un ensemble polyculturel, cette greffe n'a suscité que le développement de l'administration et la confusion entre fractalité et cascade. Dès qu'il passe à un ensemble plus réduit, monoculturel, il retrouve tous ses défauts d'antan. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'empire carolingien, à ce propos, ou sur la papauté lorsqu'on voit que les rites qui l'entourent depuis l'époque carolingienne sont exactement ceux du modèle pharaonique.
La nouvelle utopie qui se développe aux USA mérite aussi un examen. La société américaine depuis sa fondation valorise à la fois l'Air et l'Eau. Elle s'est formée à partir d'une double revendication de liberté d'expression et d'échanges, et de possibilité d'installer des temples à son goût. C'est toute l'aventure du Mayflower. Mais comme il s'agissait d'une aventure coloniale, le Feu et la Terre ont trouvé leur place dans le système, sans qu'une hiérarchisation théorique ne s'installe. A partir de l'Indépendance, s'est installée une hiérarchisation de fait Air > Feu > Eau > Terre, avec des alternances de position entre Feu et Eau. Elle tend à se fixer dans cet ordre en temps de guerre, dans l'ordre Air > Eau > Feu > Terre en temps de paix. Depuis le traumatisme de la bombe A, qui nécessitait le secret de sa mise au point, il existe un conflit de pouvoir entre Air et Feu, qui entraîne des revendications et des révoltes dans les autres catégories. On ne peut pas dire que fondamentalement un élément l'emporte sur l'autre, car la hiérarchie reste très mouvante. Plusieurs modèles d'utopie sont proposés à l'heure actuelle, qui se résument à une refonte de l'ordre hiérarchique et de l'ordre des valeurs, sans plus. Tous sont censés mener à l'âge d'or par miracle. Ce qui manque au modèle américain, au fond, c'est la conscience des trois fonctions. Elle existent mais s'expriment de manière anarchique : le mercure au travers de l'engouement pour un spiritualisme flou, où se mêlent aussi bien des lamas tibétains que des prêcheurs protestants, les "nouvelles thérapies" que le chamanisme amérindien mal compris ; le soufre au travers des multiples associations et organisations. Nous sommes bien dans un monde où le soufre essaie toutes les formes et où le mercure les rend toutes éphémères. L'illusion américaine est de croire que la régulation se fera d'elle-même. A partir de là, n'importe quelle dictature pourrait s'installer et imposer n'importe quoi, surtout si un groupe décidé pratique une contre-alchimie.
Une dernière erreur serait de concevoir un modèle idéalement parfait, mais de vouloir l'imposer de l'extérieur. Cela ne marche pas, simplement parce que cela viole la nature. La seule solution qui me semble alchimiquement juste, c'est de partir du réel tel qu'il est, même s'il ne nous plaît pas vraiment, et de là où on se trouve, au fur et à mesure des circonstances, d'essayer de dire la parole juste au bon moment, de poser un acte juste quand il s'impose. Les théologiens orthodoxes ne se sont jamais pris la tête devant un papyrus vierge pour pondre d'un coup une théologie parfaite. Ils ont rectifié la donne quand une hérésie, c'est à dire une vérité partielle prise pour le tout, une erreur de compréhension, surgissait ici ou là, et c'est tout. Continuer ce travail patient et humble est sans doute la meilleure voie possible.



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